Pour sa première exposition personnelle en Europe chez Semiose, The Borders of Innocence, Philemona Williamson se concentre sur une période clé de la vie, remplie d’attentes et d’ambiguïtés : l’adolescence. La narration met en scène des personnages inventés qui font face à leurs émotions et à la perte de contrôle dans une nature luxuriante peinte avec des couleurs vives. Sa jeunesse dans un contexte multiculturel l’a beaucoup inspirée forger sa résilience et transcender les stéréotypes raciaux. L’artiste nous révèle les moments décisifs de sa vocation de peintre, l’influence de la poésie et du réalisme magique.
Le titre de l’exposition « The Borders of Innocence »
Je préfère les titres qui laissent au visiteur le soin de les interpréter plutôt que de les expliciter littéralement. L’idée qui sous-tend mon travail est que le tableau communique avec quelqu’un d’autre. Les personnages que je peins ne sont pas réels, ils sont mon invention, afin de défier le spectateur dans sa perception et son jugement.
On peut observer beaucoup d’enfants et d’adolescents dans vos œuvres. Pourquoi la jeunesse vous intéresse-t-elle ?
J’ai commencé à peindre lorsque j’étais adolescente. C’est un moment crucial de la vie, car votre corps change et vous vous sentez complètement hors de contrôle. C’est à cette époque que j’ai découvert la peinture. J’ai eu un professeur qui m’a enseigné la peinture comme une véritable discipline. Je me suis sentie tout à fait à l’aise avec la prise de décision de peindre et d’aller à l’atelier comme si c’était mon travail. C’est pour cela que c’est significatif pour moi. L’adolescence est aussi une période où l’on est le plus vulnérable. Sur le plan sexuel, vous devenez une femme, un homme, mais vous restez un enfant. On peut profiter de vous et pourtant vous avez tant d’espoir en l’avenir. C’est une courte période transitoire de notre vie, mais elle est très fascinante et pleine d’émotions.

Philemona Williamson view of the exhibition The Borders of Innocence Photo : A. Mole
Courtoisie Semiose, Paris
Il y a une sorte d’ambiguïté dans les scènes et les personnages que vous peignez.
Mes personnages sont ambigus en termes de race, de classe et de sexe. Ils ne vivent pas des situations spécifiques auxquelles on est associé en tant qu’Afro-Américain ou en tant que fille. Ils aiment jouer avec tous ces stéréotypes typiques et s’en débarrasser. J’ai été élevée dans une famille très multiculturelle où la couleur de la peau n’était pas particulièrement importante. L’accent était plutôt mis sur la personnalité et les compétences.
Les poupées jouent un rôle important dans votre travail.
Les poupées que je collectionne sont également issues de plusieurs cultures. Les Topsy-Turvy sont mes favorites, car elles véhiculent de nombreuses dichotomies liées aux stéréotypes raciaux et féminins. À l’origine, elles étaient noires d’un côté et blanches de l’autre, et selon les personnes qui jouaient avec elles, elles utilisaient l’un ou l’autre côté, ce qui est insensé ! Dans mes peintures, certaines poupées sont noires des deux côtés et représentent la dualité d’un même esprit. On m’a donné une poupée Topsy-Turvy qui n’a pas porté de robe une seule fois, et je l’aime en tant qu’individu non binaire, comme l’un de mes personnages dans January March (2017).

Philemona Williamson view of the exhibition The Borders of Innocence Photo : A. Mole
Courtoisie Semiose, Paris
Toni Morrison et autres influences
Il y a beaucoup de poètes noirs auxquels je pense et que je lis. En littérature comme en peinture, j’aime le réalisme magique. Beaucoup d’artistes américains qui m’inspirent sont exposés ici, à Paris, comme Mira Schor qui vient d’ouvrir une exposition récemment à la Bourse de Commerce – Collection Pinault, qui traite aussi des enfants dans ses collages. Cela me fait réaliser que les Français nous apprécient !
Les couleurs sont-elles liées à des sentiments ?
Je me considère comme une coloriste. J’aime les couleurs qui peuvent être inattendues et qui peuvent créer une sorte d’ambiance qui met en place la narration du tableau.
Il y a aussi la transparence.
Oui, il y a une transparence que je commence tout juste à révéler. J’avais l’habitude de mettre des couches et des couches de peinture sur ma toile pour cacher mon pentimento. Ces cinq dernières années, j’ai réalisé que je n’avais pas vraiment besoin de tout couvrir. J’aime maintenant que le processus soit plus transparent parce que, d’une certaine manière, cela permet aux spectateurs d’en faire partie, en leur permettant de le terminer d’une certaine façon. Je veux qu’ils soient impliqués et qu’ils puissent voir toute la réflexion qui se cache derrière. J’ai laissé derrière moi une sorte d’insécurité. En fait, je ne sépare pas mon travail de moi-même ou de ma vie. Je ne compartimente pas.

Philemona Williamson view of the exhibition The Borders of Innocence Photo : A. Mole
Courtoisie Semiose, Paris
Comment s’est passée la période de la pandémie ? Créative ?
Je l’ai trouvée très créative parce qu’il y avait un calme dans le monde entier. Bien sûr, beaucoup de conséquences ont été horribles, mais heureusement, je n’ai pas eu de personnes touchées autour de moi. Je pouvais me rendre à mon atelier en voiture et il n’y avait personne sur la route. Les gens ont simplement repris leur souffle. J’ai eu l’occasion de m’asseoir, de regarder et de réfléchir beaucoup. Je pouvais me pousser à essayer quelque chose de différent. En ce qui concerne les sujets de mes peintures, j’ai fait en sorte que les personnages se touchent davantage, car c’est ce qui me manquait.
Paula Rego semble être une source d’inspiration pour vous ?
Son travail résonne vraiment en moi. Je l’ai vue il y a 25 ans lors du vernissage d’une de ses expositions à New York. Je n’ai même pas pu lui dire bonjour. Elle m’est apparue comme un dieu ! L’autre artiste que je respecte totalement et que je considère comme un être humain incroyable est le peintre et activiste Benny Andrews. À l’université, des étudiants noirs lui ont demandé de faire une présentation et il a été la personne la plus généreuse que j’ai rencontrée. Il a eu un impact important sur moi. Surtout à l’époque où je n’avais pas beaucoup de soutien.

Philemona Williamson view of the exhibition The Borders of Innocence Photo : A. Mole
Courtoisie Semiose, Paris
Que pensez-vous de la place accordée aux femmes artistes par les musées et les institutions ? Est-elle suffisante ?
Je n’y pense pas en termes de personnes méritantes. Je pense plutôt en termes d’égalité. Il y en a pour tout le monde. Le plus important, c’est la générosité de l’esprit. J’ai été très heureuse de recevoir le prix Anonymous Was A Woman l’année dernière, car c’est un prix pour lequel on ne postule pas. C’est très significatif d’être reconnue par ses pairs.
INFOS PRATIQUES / Practical Information :
Philomena Williamson
The Borders of Innocence
jusqu’au 30 décembre 2023
Laurent Le Deunff / Easter Eggs
Galerie Semiose
44 rue Quincampoix
75004 Paris
https://semiose.com/