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Pour cette troisième édition de la Biennale de l’Image Tangible, nous recevons dans notre rubrique l’Invité·e de la semaine, son co-fondateur et directeur général, Francois Ronsiaux. Durant un mois d’expositions et d’événements situés dans l’Est et le centre de Paris, la Biennale présente une sélection d’œuvres qui tendent à s’émanciper d’un usage classique du médium photographique. Aujourd’hui, retour sur l’exposition phare « HETEROTOPIA » autour de six artistes contemporains présentée par Dominique Clerc, Co-fondateur et directeur général associé.

L’exposition phare HETEROTOPIA, curatée par les organisateurs de la Biennale, a réuni seize artistes français et internationaux à l’espace 24 Beaubourg. Photographes ou plasticiens, les artistes exposés mettent en exergue des images détournées, déconstruites, reconstruites ou falsifiées, et sont porteurs d’idées photographiques innovantes tant sur les sujets abordés que les méthodes employées.


Comfort Zone © Tadao Cern

Pour l’Exposition Phare 2023 de la troisième édition de la Biennale de l’Image Tangible nous nous laisserons porter par le vent de la légèreté, de l’absurde et de la dérision. Comme un antidote aux sombres prophéties qui nous submergent, nous allons savourer l’impertinence de ceux qui ne voient pas tout en noir. De ceux qui savent infléchir la réalité et nous transporter avec leur fantaisie au-delà des angoisses contemporaines. Mais loin de tout discours et de toute morale, cette posture artistique souligne en creux l’état de désespoir de nos sociétés et la nécessité de le combattre avec discernement.

Série Overprint © Frédérique Daubal

Et nous en avons besoin. Avec la fin des idéologies et l’absence de toute perspective positive, l’imaginaire de notre époque s’est soudainement obscurci au point de se projeter dans des futurs sombres et des univers contre-utopiques. Non pas que d’autres raisons ne manquent pour alimenter cette noirceur parmi lesquelles la crise climatique, les guerres et la récente épidémie, reste que le pessimisme s’est durablement installé dans les esprits. Dans ce contexte, beaucoup d’artistes se sont recentrés sur des recherches formelles souvent portées par le champ considérable qu’offrent les nouvelles technologies. D’autres documentent et font œuvre de la catastrophe à venir, mais l’absence de solutions et le repli sur soi caractérisent globalement notre époque. Exit donc la révolution et ses promesses intenables, pour autant devons-nous nous contenter de solutions raisonnables ou ponctuelles pour réenchanter l’avenir ? Devons-nous croire aux promesses technologiques pour sauver le monde ou les adopter pour justement ne jamais se remettre en cause ?

Montage photo à partir de photos de banque d’images © Nicolas Deville

Les artistes de cette exposition phare ne posent pas le problème en ces termes, et si leurs œuvres semblent parfois déconnectées des problématiques actuelles, elles n’en abordent pas moins des sujets de genre, d’identité, de sexualité, de consommation et plus généralement de notre propre place dans le monde au sens métaphysique du terme. D’une grande diversité formelle, la forme couvre plusieurs registres, montage, installation, mise en scène, objets photographiques et implique de multiples techniques.

Quand les œuvres d’Erwin Würm, Frédérique Daubal ou Roman Signer rivalisent d’imagination dans un registre loufoque, Tadao Cern préfère prélever sur le terrain et témoigner à la façon d’un reporter. Les installations de Sandrine de Pas, les découpages d’Amir Chasson ou les portraits de Nicolas Deville forment un corpus hétérogène et cohérent d’images provocantes et dérangeantes. Rachel Joode, Anne De Vries, Letha Wilson s’amusent à déconstruire notre perception de l’espace tant physique que mental, tandis que Manon Pretto, Oli Serenson, Marie Serruya investissent la technologie pour développer des univers où l’artificialité assumée de leurs pièces tient le rôle d’un miroir déformant de la réalité. Le travail de Lingfei Guan explore avec cynisme et une habile touche de kitch le fétichisme et l’érotisme asiatique. Philippe Katerine, connu pour ses performances musicales ou cinématographiques, met un pied dans le tangible en exposant une partie de son dernier projet plastique Le Mignonisme.

© Letha Wilson. Valley of Fire Idaho Craters (Two Holes), 2021, Impressions UV sur acier. – Courtesy de l’artiste et de la Galerie Christophe Gaillard. – © Tous droits réservés à l’artiste. – © Photo: Rebecca Fanuele.

Si la somme de tous ces regards forme un ensemble, c’est qu’il se démarque en plusieurs points des tendances actuelles. Par la présence humaine dans les œuvres mais aussi par l’engagement subtil que permettent justement l’humour et la désinvolture. A contre-courant donc, ce corpus relève du concept d’Hétérotopie cher à Michel Foucault [1]. Et cette exposition propose effectivement un espace autonome, loin des tendances, de la pensée dominante et des perceptions normées. Un espace de décompression où utopies et dystopies deviennent un peu plus tangibles.

Dans une actualité toujours plus catastrophiste, le point de vue décalé de ces artistes ose introduire l’esprit farceur qui les habite. Sans ambition particulière pour remédier à nos faillites idéologiques, leur travail nous interpelle et nous incite à prendre les choses graves avec plus de légèreté. En l’absence de tout autre message, saurons-nous saisir la perche, abandonner toute idée de sérieux puisqu’il n’y a pas de solution ?

Il semble qu’un air neuf puisse enfin souffler sur un monde qui n’en finit pas de mourir. Si l’humour est la politesse du désespoir, il peut aussi renverser la table de tous les académismes. L’urgence est aujourd’hui de remettre l’énergie au centre et plus encore de bousculer les codes d’une époque pessimiste et formatée.

Dominique Clerc – Cofondateur, directeur général associé

[1] Il y a dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. – Michel Foucault, Les Hétérotopies, 1967.

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INFORMATIONS PRATIQUES

mer01nov10 h 00 minsam16déc(déc 16)19 h 00 minBiennale de l’Image Tangible de Paris 20233ème édition Organisateurbit20--paris

La Rédaction
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