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Partager Partager Temps de lecture estimé : 13minsCet été, l’arsenicgalerie située au coeur de Saint-Germain-des-Prés, présentait l’exposition « L’alchimie du cerveau à la mine de plomb » de l’artiste japonais, Yoshifumi Hayashi. À cette occasion Maria Xypolopoulou a pu le rencontrer pour une rencontre croisée avec l’auteur professeur de philosophie de l’art Xavier-Gilles Néret. Pour accompagner cette exposition, la galerie a publié l’ouvrage éponyme, lauréat du Prix Sade du livre d’art 2024. Plongez dans l’univers singulier de cet artiste japonais qui s’est mis au dessin pour des raisons économiques, et a fait de la mine de plomb, son outil de prédilection de création. Maria Xypolopoulou : Commençons par le titre de l’exposition « L’alchimie du cerveau à la mine de plomb », comment avez-vous pensé cette métaphore ? Xavier-Gilles Néret : Pour le titre du livre, qui est aussi celui de l’exposition qui l’accompagne, je suis parti d’une citation de l’artiste qui synthétisait un aspect important de son travail : « Le système du cerveau n’est pas un conte de fées ». Hayashi se considère comme un scientifique de la matière et du cerveau, dont il cherche à saisir les mécanismes, en lisant par exemple des livres de neurologie. Sa pratique du dessin est à comprendre dans cette perspective. Avec son corps, dont le cerveau est un organe essentiel, prolongé par ses crayons à la mine de plomb en contact avec la feuille de papier, il explore ses obsessions, et fait surgir un monde singulier, composé de femmes callipyges, de fleurs phalliques et vulvaires, de natures mortes et de paysages fantastiques. La métaphore de l’alchimie et de la transformation du plomb en or s’est donc imposée naturellement. Mais ce n’est qu’une métaphore : Hayashi ne croit pas au surnaturel, et ses dessins ne sont pas des contes de fées à l’eau de rose. Pour lui, ce que l’on appelle « l’esprit », et plus généralement toutes les illusions métaphysiques, ne sont rien d’autre que des productions de la matière corporelle, dans la lignée des philosophes matérialistes depuis l’antiquité grecque jusqu’aux physiciens contemporains, en passant, notamment, par le marquis de Sade. Scène hermaphrodite, 1998 © Yoshifumi Hayashi Nous aimerions en savoir plus sur votre premier contact avec le travail de Hayashi. Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour son travail? Comment la coopération entre vous est-elle née? XGN : J’ai d’abord découvert son travail dans des livres publiés depuis le début des années 1980, et j’ai été touché par son érotisme singulier et sans concessions aux normes du « bon goût ». J’ai donc collectionné ses livres. Mais c’est en voyant tous les originaux exposés en 2021 par Arsenicgalerie que j’ai éprouvé un choc littéralement bouleversant, mêlant une émotion érotique à une profondeur due à la matérialité de ses originaux. Hayashi est un maître à nul autre pareil des dégradés de la mine de plomb, et la contemplation prolongée d’un de ses dessins me met dans un état de joie intense, d’ordre existentiel. Témoin de mon intérêt pour l’œuvre, Christophe de Fabry, le directeur d’Arsenicgalerie, m’a proposé d’écrire un livre sur le sujet qu’il publierait, comme nous l’avions fait déjà, avec bonheur, pour Daisuke Ichiba et Pakito Bolino. Je suis alors entré en contact avec l’artiste, et nous avons immédiatement entretenu une complicité intellectuelle et sensible… Croissance d’ecorce cérébrale – 1976 © Yoshifumi Hayashi En plus de l’exposition, vous avez en effet également édité la première monographie d’importance en français sur l’œuvre de Hayashi publiée par Arsenicgalerie. L’un des éléments intéressants de cette monographie est l’échange de textes critiques et d’extraits de conversations que vous avez eues avec l’artiste. Quels ont été les défis de ce travail d’écriture et combien de temps a-t-il fallu pour le préparer ? XGN : Hayashi a vécu en France entre 1974 et 2021, année de son retour au Japon. Il parle donc bien la langue française, et la communication entre nous a été facile à ce niveau-là. Par ailleurs, puisqu’il se considère comme un homme de science plutôt que comme un artiste, il était content d’échanger avec un professeur de philosophie, de surcroît convaincu comme lui de l’importance du corps matériel et du désir sexuel… La principale difficulté a été l’éloignement géographique, entre le Japon et la France, sachant qu’il n’utilise pas internet, et qu’aucun de nous deux n’a de smartphone ou autre gadget numérique de ce genre… Dès lors, comment avons-nous procédé ? Très simplement, comme on le faisait au siècle dernier : il m’a passé un ou deux coups de fils, et il a répondu à mes questions par courrier postal. Il m’a en particulier envoyé une longue lettre manuscrite de 13 pages, une sorte de confession ou testament intellectuel d’une grande puissance. Le travail de recherche et d’écriture a duré plus d’un an. J’ai essayé d’être digne de sa confiance, en prolongeant sa pensée sans la trahir, humblement, tout en la situant avec rigueur dans un contexte historique autant qu’esthétique, philosophique et existentiel. Il y a trop de critiques d’art, de théoriciens ou de « philosophes » de l’art qui se regardent écrire et se mettent en avant au détriment du travail des artistes. Je n’aime pas ça, et ce n’est pas ma méthode. Pour ma part, je n’écris pas « sur » un artiste, en position de surplomb, mais « avec » lui. C’est d’abord une aventure humaine, et il importe que l’artiste soit content du résultat. Les calanques, 2013 © Yoshifumi Hayashi Yoshifumi, vous aimez bien préciser que vous ne vous considérez pas comme artiste. Nous aimerions savoir comment vous avez commencé à faire de l’art. Yoshifumi Hayashi : Ma pratique artistique a commencé pour une raison économique et non artistique. J’ai commencé à dessiner à l’âge de 25 ans après avoir quitté le Japon pour venir en France afin d’apprendre la peinture à l’huile. Mais je n’ai jamais été intéressé par la peinture en général. Il n’y a que quelques genres seulement qui ont attiré mon attention, comme par exemple la peinture surréaliste. D’ailleurs, je suis très inspiré des œuvres de Salvador Dalí et de Giorgio De Chirico. Pourtant, j’ai rapidement abandonné la pratique de la peinture pour différentes raisons. D’abord, je n’avais pas beaucoup d’argent, et puis le matériel pour peindre coûtait trop cher. Les crayons et le papier étant plus abordables, par conséquent je me suis mis à dessiner. De même, je dois mentionner que je me considère comme un autodidacte. J’ai appris tout seul le dessin. La pratique du dessin m’offre l’opportunité de travailler isolé. J’aime la solitude et travailler sans que personne ne me dérange. Cette démarche me procure énormément de plaisir. Pourtant, apprendre à dessiner m’a demandé beaucoup d’efforts. Et il faut avouer que l’apprentissage ne finit jamais. Je trouve que ma technique n’est pas encore achevée. Je dessine tous les jours, pendant des heures, sans jamais prendre de vacances. L’achèvement ce n’est pas intéressant. Ce qui m’intéresse c’est le travail lui-même. En réalité, nous pourrions dire que l’art n’est qu’un prétexte pour élaborer des théories. Le dessin me permet d’expérimenter quelque chose qui m’aide mieux à penser. Je n’ai pas étudié la science à l’Université mais j’ai toujours lu des livres sur des sujets relatifs à la physique du vivant, la philosophie et depuis ces dernières années je me tourne de plus en plus vers la neurologie. Contrairement au dessin, la peinture exige beaucoup de temps. Le dessin me permet d’avoir le temps de réfléchir et de faire mes recherches. Je peux ajouter une première, une deuxième ou une troisième couche sans être obligé d’attendre pendant des semaines que cela sèche. Dans le cas de la peinture, le rythme du travail est cassé. Mon ange, 2017 © Yoshifumi Hayashi L’érotisme est le sujet principal de vos œuvres et vous êtes considéré comme le dessinateur du désir japonais. Nous aimerions savoir quand et comment avez-vous été orienté vers cette thématique. En effet, qu’est-ce qui vous inspire et comment est-ce exprimé dans votre travail ? YH : Mon travail au fil des années est resté dans la même direction. Je n’ai pas changé de chemin depuis le début de ma pratique artistique. Le noyau de celle-ci, c’est exclusivement l’érotisme ; c’est ce qui m’a toujours touché émotionnellement et inspiré. Plus précisément, il faut expliquer que l’amour charnel pour les femmes m’a fait m’orienter très tôt vers le dessin érotique. J’étais encore jeune quand j’ai commencé à vouloir exprimer artistiquement mon désir passionnel et intérêt érotique pour les femmes. Le désir sexuel est une puissance dynamique qui a déterminé ma pratique artistique et ma vie personnelle. D’une période à l’autre, et du passage de la jeunesse à la maturité, l’influence, la compréhension et la sensation de ce désir changent progressivement et fondamentalement. C’est inévitable, si moi-même j’évolue, mon univers et mes perceptions évoluent aussi. Les différentes lectures ont aussi influencé mon rapport à l’interprétation de l’érotisme et son expression par le biais de mes dessins. Même si, au début, je cherchais à expliquer mon attirance pour ce sujet par le biais des théories psychanalytiques freudiennes, j’ai rapidement compris que celles-ci ne pouvaient pas me donner des réponses satisfaisantes. Pour moi, le désir sexuel est avant tout matériel et sa base est fondamentalement la matière. Notre cerveau est une matière bien animée par l’érotisme. L’énergie philosophique provient de notre désir sexuel, elle est une énergie puissante. Le désir sexuel n’est pas seulement pour la libido : il est indispensable pour produire de la pensée philosophique, et pour faire avancer les systèmes de la pensée (Un moyen pour développer le cerveau, 2022 ; Croissance d’écorce cérébrale, 1976). Comme le disait déjà Platon dans l’Antiquité, c’est l’amour, l’éros, qui nous pousse à faire de la philosophie. De plus, la sexualité ne se limite pas seulement à une pratique humaine concernant le corps féminin mais elle s’élève au-delà de celle-ci, à une échelle cosmique. Il y a d’autres sexualités dans ce monde ; les formes de sexualités animales par exemple. Mais, pour aller encore plus loin l’électricité ou la gravitation peuvent être considérées également comme des formes de sexualités dirigées par les lois de la nature. Dans mon travail, l’érotisme est exprimé par plusieurs éléments sexualisés et notamment la représentation des corps fantasmés, des paysages fantastiques, des nuages, des îles, des fleurs phalliques ou des natures mortes. Au niveau technique, je pars toujours du réel, souvent je commence avec un vrai modèle ou une photo, et ensuite j’ajoute des éléments fantastiques jusqu’à sublimer le résultat de l’image finale complètement par mes obsessions. Pour mieux comprendre ma démarche artistique, je vous invite à observer deux de mes pièces. Prenons par exemple Les calanques (2013). Ce dessin est le fruit d’une inspiration au départ par une photographie du paysage des calanques à Marseille. Puis, la série des dessins J’ai faim (2024) et Dans une chambre froide (2023) est créée d’après des photographies prises dans les chambres froides des boucheries parisiennes, comme l’indique aussi le titre d’un de ceux-ci. Une des caractéristiques principales de mon travail dans l’expression du désir sexuel pour les femmes, c’est la dépersonnalisation. En effet, je ne m’intéresse pas à exprimer des sentiments, des émotions ou le désir senti pour une femme précise. L’objectif c’est de montrer le désir sexuel d’une manière universelle, sans me limiter à la représentation de mes passions personnelles ou intimes. Pour moi, la femme existe toujours dans le désir cosmique, celui-ci se détache d’un désir sexuel plus primitif et il s’ouvre à l’univers. Enfin, une seconde caractéristique essentielle dans mes œuvres, c’est que fréquemment dans celles-ci, autant que dans ma manière de vivre, les plaisirs de la chair retrouvent ceux de la table (Mon ange 1, 2017 ; J’ai faim, 2024 ; Dans une chambre froide, 2023). Manger et baiser sont deux plaisirs essentiels. Sans eux, on n’a pas envie de penser. Xavier, vous caractérisez dans le livre l’érotisme « hayashien » authentique. En quoi consiste sa singularité ? XGN : Son érotisme est authentique précisément parce qu’il est singulier et original. Il ne s’agit pas d’un érotisme conventionnel et commercial comme on en voit un peu partout. Par ailleurs, il n’est pas édulcoré. Hayashi va très loin dans la représentation de ses fantasmes, sans se soucier du « bon goût » dominant, par-delà la distinction discutable entre « érotisme » et « pornographie ». Et il le fait avec toute la grâce des dégradés de la mine de plomb. Par exemple, avec Scène hermaphrodite (1998), la perfection des formes d’un derrière féminin s’offre immédiatement au regardeur, mais peut aussi se manifester comme un gland géant, d’où le titre de l’œuvre. Une telle tension, typique de son art, est saisissante. En cela, Hayashi s’inscrit dans la lignée du surréalisme, et ce n’est pas un hasard si Sarane Alexandrian lui a consacré un beau texte dans les années 1990, voyant en lui « le visionnaire de la faim sexuelle poussée jusqu’à ses extrêmes conséquences, trouvant désirables même des amalgames effrayants et recréant le monde en fonction de ses pulsions fatales ». Et tout ceci est magnifié par les subtils jeux de lumière suggérés avec une virtuose sensibilité. Enfin, l’érotisme d’Hayashi a une dimension cosmique. Son érotisme a d’abord été centré sur le corps féminin, avec une obsession particulière pour les fesses et les jambes bien en chair, dont les compositions constituaient déjà autant de microcosmes. Puis il s’est élargi, dans les années 2010, à l’échelle de l’univers, à travers des paysages fantastiques et sexualisés (Les calanques, 2013). Sans oublier ses natures « mortes » qui en réalité grouillent de vie. Dans tous les cas, il s’agit de traduire par le dessin l’énergie cosmique du désir. Que pensez-vous des frontières entre érotique et pornographique dans la tradition picturale ? YH : Je ne fais pas la différence entre pornographique et érotique. Pourquoi considérer qu’a priori le terme « pornographie » caractériserait quelque chose de mauvais, vulgaire, tandis que l’érotisme ne serait que de connotation positive ? La pornographie c’est bien, l’érotisme c’est bien. Je trouve qu’il s’agit d’une « distinction de curé », comme le dit Xavier. Elle implique un propos moral que je ne partage pas. Dans mon travail, j’exprime l’érotisme qui s’intéresse à la fois au plaisir sexuel et à la connaissance. Le plaisir c’est essentiel pour tous dans la nature : les humains, les animaux, même pour les plus petits microcosmes naturels qui nous entourent. Comme je l’ai déjà mentionné, pour moi l’art érotique est inconditionnellement reliée à la pensée philosophique et à la science. Il y a des mécanismes plus profonds qui s’activent grâce à l’expérience sexuelle, érotique. L’érotisme ne se limite pas à un acte sexuel, il alimente notre matière, ça devient une dynamique forte qui nous permet d’évoluer, de sentir, de réfléchir, de nous découvrir et découvrir le monde, l’univers, l’Autre. Pour en savoir davantage, lire : Xavier-Gilles Néret, Yoshifumi Hayashi, L’alchimie du cerveau à la mine de plomb, Arsenicgalerie, 2024, avec une préface de Catherine Robbe-Grillet. Favori1
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