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« Histoire(s) sans fin » est la toute dernière exposition présentée à la Galerie Le Réverbère, à Lyon. Catherine Derioz et Jacques Damez ont annoncé avant l’été la fermeture définitive de la galerie après 43 ans d’activité. Un arrêt aussi triste que brutal. Après avoir interrogé les premiers photographes de la galerie, nous poursuivons avec un nouvel entretien avec la photographe allemande Beatrix von Conta, représentée par la galerie depuis 1991 qui revient sur cette aventure photographique et se confie sur l’arrêt du Réverbère.

© Beatrix von Conta. Série TEL QUEL – Cancale – Ille et Vilaine 2003

© Beatrix von Conta Série TEL QUEL Saint Jean de Muzols – Ardèche 2011

© Beatrix von Conta Série TEL QUEL – Murdochville Gaspésie – Québec 2012

© Beatrix von Conta Série TEL QUEL Bord de l’Hers – St Michel de Lanès – Aude 10 09 22

© Beatrix von Conta Série Tel Quel Aire de Jugny A6 14 12 2021

Ericka Weidmann : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Catherine et Jacques et comment avez-vous intégré la galerie ?

Beatrix von Conta : Histoires(s) sans fin, le titre de cette exposition collective qui, pourtant, clôt les quarante-trois ans de l’incroyable aventure foisonnante et engagée de la galerie Le Réverbère, exprime la croyance en la puissance de la photographie et ses multiples manifestations, sa capacité toujours surprenante à figurer le monde et ses bouleversements.
La RENCONTRE, instant fulgurant au carrefour d’inattendues confluences de disponibilités, souvent vécu comme un impact aux répercussions déterminantes, une porte qui s’ouvre, jalonne, telle une balise, mon cheminement photographique.
La rencontre inoubliable, à six ans, de l’emblématique photographie « Walk to Paradise garden » de W. Eugene Smith dans le catalogue de « The Family of Man », la découverte éblouie en 1975 des Rencontres Internationales de la Photographie en Arles et la bouleversante présentation par W. Eugene Smith de son reportage Minamata dans la cour de l’Archevêché, la rencontre avec André Kertesz, Robert Doisneau et Jean Dieuzaide qui, en 1976, m’avait offert ma première grande exposition à la galerie du Château d’Eau à Toulouse. Des temps de rencontres joyeuses, sans mondanités, portés par une ambiance de partage festive et passionnée.
Ma rencontre avec la galerie Le Réverbère en 1991 s’inscrit dans cet univers arlésien lumineux et effervescent. En fait elle est due à un formidable hasard, une « bifurcation » initiée par un ami photographe, Lionel Fourneaux, croisé dans les rues d’Arles et qui m’avait vivement conseillé d’aller montrer mon travail, sans détours par d’autres lieux, au Réverbère. Je l’ai écouté et rencontré Catherine Dérioz en présence d’Arièle Bonzon, déjà artiste de la galerie, installées derrière une table dans la cour de l’Hôtel Calendal. Je leur ai présenté ma série Reconnaissances, des photographies colorées à la main, réalisées en 1989/1990 à Chaumont sur invitation de Vincent Cordebard. Le contact spontané et chaleureux, la compréhension immédiate de ma démarche photographique, le désir de travailler ensemble, ont ainsi marqué nos débuts. Et la série Reconnaissances a été exposée l’année suivante au Musée Réattu à Arles et à la galerie Le Réverbère.

© Beatrix von Conta Série ARAN – Une île faite main – Black fort Inishmor 2019

© Beatrix von Conta Série ARAN- Une île faite main – Inishmor 2019

© Beatrix von Conta Série Aran – Une île fate main – Inish Meain 2019

© Beatrix von Conta Série ARAN – Une île faite main – Black fort Inishmor 2019

© Beatrix von Conta Série ARAN- Une île faite main – Inishmor 2019_MG_1472

E. W. : Que représente pour vous cette collaboration ?

B. C.: Pendant plusieurs décennies cette collaboration exigeante, investie et fidèle, a su résister aux « temps modernes », aux chimères du conformisme et du formatage évoquées par Catherine dans le dossier de presse de l’exposition. Le sentiment d’appartenance à un collectif d’artistes liés par des affinités, parfois des amitiés durables, les échanges nombreux avec Catherine et Jacques autour de mon travail sur la base d’une confiance mutuelle, leurs conseils avisés et critiques, la défense de mes photographies dans les expositions, à la galerie ou dans d’autres lieux et lors des salons Paris Photo, le partage de moments de joie, mais aussi de déception ou de grande tristesse, ont conféré à ces années un parfum unique dans le contexte du monde photographique. Je dois à leur regard curieux, explorant une pile de petits tirages couleur, l’amorce d’une de mes séries coeur, Tel quel, qui se poursuit depuis 25 ans (ci-joint 5 images de Tel quel prises au fil des années). Et la publication de Glissement de terrain aux éditons Loco en 2018 retraçant vingt ans de traversées paysagères, a été rendue possible grâce à l’aide de deux collectionneurs de la galerie. J’ai appris à manipuler
les photographies tel un Rubik’s cube, à explorer leurs facettes jusqu’a ce que cela « fonctionne », et réalisé que l’accrochage d’une exposition, bien loin d’un sage alignement de cadres côte à côte, propose une écriture singulière dans un lieu qui devient partenaire indissociable. Nous avancions parfois à tâtons, toujours créatifs, curieux et convaincus par la beauté et la non négociable nécessité d’un métier difficile, mais magnifique : la photographie.

Le lendemain matin du vernissage Honneurs aux éditeurs 09 09 2018. © Beatrix von Conta

E. W. : Comment voyez-vous la suite, sans Le Réverbère ? Cherchez-vous une autre galerie pour vous représenter ?

B. C. : Comme pour toute longue histoire qui se finit, professionnelle ou amicale, il faut accepter la sensation d’un deuil. Comment ne pas penser au film d’Ettore Scola  » Nous nous sommes tant aimés » (1974) et les mots de l’un des protagonistes  » Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ».
En 2024, le budget de la culture a été amputé de 204 millions d’euros, les subventions sont inégalement reparties, l’écosystème a changé, les regards s’habituent au lissage sans aspérités et au facilement consommable. Par contre mon bonheur de faire de la photographie persiste, puise à ses sources, résiste. Le temps insidieusement à l’oeuvre grignote, déplace les curseurs, fait vaciller les valeurs et broie ce qui semblait acquis, mais il finit aussi par imposer un « retour à soi » afin de définir de nouvelles perspectives et à dégager la fine ligne d’horizon parfois masquée par le brouillard du doute ou du découragement. Mais ce processus indispensable de re-création se nourrit, s’appuie aussi sur un passé dont la densité et la richesse des expériences partagées figurent un socle résistant et précieux. Et puisque la photographie me porte et m’accompagne depuis des décennies, que les questionnements sociétaux, paysagers et environnementaux me préoccupent avec toujours la même intensité, je continuerai à faire confiance aux rencontres providentielles et passerelles improvisées.
Qui sait…ce n’étaient peut-être pas « Nos plus belles années » (Sidney Pollack, 1973), puisque le futur nous appartient et est, plus que jamais, toujours à (ré)inventer.
En clin d’oeil et amicaux remerciements, j’adresse aujourd’hui à Catherine et Jacques de la galerie Le Réverbère, aux assistant et assistantes toujours à nos côtés, cette « Reconnaissance(s) » sincère, titre emblématique de la série à l’origine de notre rencontre il y a trente-trois ans.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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