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Pour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, Pauline Caplet, fondatrice de L’Enfant Sauvage — un espace d’exposition bruxellois dédié à la photographie contemporaine nous plonge dans sa passion pour la collection de photographie vernaculaire. Ce thème est d’ailleurs au cœur de le future exposition présentée à partir du 6 juin prochain et qui se concentre sur la vie d’un couple belge, Paul et Sylvie. Pauline et son ami Paul de La Marandais, les deux commissaires de l’exposition ont découvert des albums photo soigneusement conservés témoins silencieux de la vie de ce couple.

La photo tombait dans la poche de manteau, photomaton rue haute, octobre 2024.

Je commence certaines de mes journées par une balade dans mon quartier, les Marolles.
Je m’arrête saluer les amis du Tropicall Record rue haute, où les vinyles tournent souvent plus vite que le temps, puis je passe chez Versus, pour y choisir quelques fleurs, comme un petit rituel de douceur. Ensuite, je termine toujours à la place du Jeu de Balle pour une petite fouille aux trésors, toujours à la recherche d’une image oubliée, d’un négatif abandonné, parfois il y a pleins de choses, parfois il n’y a rien. Et je m’installe en terrasse pour un café et laisser venir la suite.

03 octobre 2024 — La photo tombait dans la poche de manteau

J’étais installée en terrasse au jeu de balle en train de lire un livre (Traversée en eau claire dans une piscine peinte en noir de Cookie Mueller, amie de Nan Goldin), je vois un couple de touristes ramasser « un truc » par terre devant moi, « ce truc » s’envole, je continue ma lecture et le couple arrive vers moi en souriant : « excusez moi », en tendant la main vers mon manteau, « ce truc » qui volait était en fait une photographie d’archives, arrivée tout droit dans la poche de mon long manteau, portée par le vent, Je ris, un peu surprise, et je leur explique que je collectionne justement les photographies d’archives, que je les cherche, les retrouve, les garde. Ils sont ravis et me laissent cette image avec un sourire complice, comme un clin d’œil du hasard ou du quartier.

La photo tombée dans la poche du manteau.

Je trouve aussi très régulièrement des photographies d’archives par terre dans la rue (et pas seulement au jeu de balle!), comme si elles venaient à moi, c’est ce genre d’histoire qui ont fait de moi une collectionneuse d’images d’archives.

Des histoires justement il y en a toujours à raconter, à s’imaginer, à s’interroger pourquoi ces images se sont retrouvés sur une place dans des cartons. Ce qui reste. Ce qui parle encore. Une main sur une épaule, une nappe posée sur une table de cuisine, un sourire timide, des jeunes mariés, des enfants.
On y voit tous un peu de nostalgie, parfois on y retrouve nos propres souvenirs de famille, même si ce ne sont pas les nôtres. Comme si ces photographies oubliées portaient en elles quelque chose de commun, d’universel.
Un geste, une lumière, un silence qui nous touche sans qu’on sache pourquoi.
C’est ça, ma passion pour les archives photographiques : un lien invisible entre les vies passées et ce que nous sommes encore capables de reconnaître.

« Le petit bureau des archives », mon atelier, se trouve en plein cœur des Marolles, dans une vieille maison du XVIIIe siècle. Dans ce petit lieu sans enseigne, j’y classe, étudie et scanne les images trouvées. Il y a une vieille machine à écrire, un scanner, des boîtes remplies de tirages noir et blanc, des enveloppes annotées à la main, des livres. L’endroit sent le papier, la poussière fine et parfois le café.
Ce projet je l’ai démarré l’année dernière en 2024 quand j’ai vu toutes mes boîtes d’archives s’accumuler. Je récupère ces photographies un peu partout depuis quelques années, mais surtout sur la place du Jeu de Balle. Certaines me sont aussi données par des particuliers, touchés par ce travail de mémoire. À travers ce projet, je cherche à valoriser ces fragments de vies oubliées, à préserver une mémoire collective fragile, et à enrichir, à ma façon, le paysage culturel belge.

Mon idée est de faire revivre ces images, souvent prises entre les années 1920 et 1970, sous différentes formes : des fanzines, des cartes postales, parfois des expositions.
Jusqu’à présent il y a 4 fanzines qui sont sortis, bientôt un 5ème, c’est aussi l’occasion de collaborations précieuses, comme celle avec l’artiste Mathieu Van Asche pour le numéro Bien à vous, autour d’une sélection d’images réinterprétées ou encore un numéro avec le Tipibookshop qui sortira prochainement.
À long terme, j’imagine ce petit bureau comme un lieu ouvert et accessible, où l’on pourrait déposer des photos, organiser des ateliers, des projets participatifs, des expositions en lien avec les habitants du quartier. Un espace vivant, où les images dialoguent avec les voix d’aujourd’hui.

Fanzines « le petit bureau des archives »

Paul & Sylvie
A Belgian Love Story (1930’s – 1960’s)

En septembre 2024, avec mon compagnon qui est également commissaire d’exposition, Paul de La Marandais, nous avons trouvés dans une brocante 7 albums d’un couple belge : Paul & Sylvie. Réalisées entre les années 1930 et 1960, les photographies qu’ils renferment racontent une histoire d’amour à travers des voyages, des vacances à la mer, faite de regards complices. Nous nous sommes pris d’une grande affection pour Paul & Sylvie et avons décidés de les mettre en lumière sous forme d’exposition qui aura lieu à L’Enfant Sauvage à partir du 06 juin prochain (vernissage le jeudi 05 juin à 18h), L’exposition rassemblera l’intégralité des 7 albums retrouvés, invitant le public à une immersion sensible dans leur quotidien et la tendresse de leurs instants partagés. Certaines photographies ont été recolorisées à la main, des vrais trésors ! Cette relecture sensible s’accompagne d’une mise en espace qui respecte la chronologie et la narration des albums, tout en invitant à la rêverie autour de ce couple inconnu, dont les souvenirs deviennent peu à peu les nôtres.

EN CE MOMENT À L’ENFANT SAUVAGE

ven06jui(jui 6)14 h 30 mindim24aou(aou 24)19 h 00 minPaul & SylvieA Belgian Love Story (1930’s - 1960’s)L'Enfant Sauvage, 23 Rue de l'Enseignement - 1000 Bruxelles

Mes livres coup de cœur sur la photographie d’archives

Pound – Auto-Photo : A Life in Portraits, Perimeter Editions

Coup de cœur récent pour ce livre que j’ai trouvé au Tipibookshop, ce livre raconte l’histoire d’Alan Adler, pendant plus de 50 ans, Adler a entretenu un ensemble de photomaton à Melbourne et effectuait chaque semaine des tests et des révisions sur chaque machine. Il a fini par accumuler des archives de milliers de photographies de lui faisant ces tests.

Du vent au bout des doigts, La Conserverie, un lieu d’archives

Mon coup de cœur infini pour ce livre dédié aux oiseaux réalisé par La Conserverie, un lieu d’archives, projet mené par une main de maître par Anne Delrez à Metz. Foncez découvrir ce projet !

En dilettante. Histoire et petites histoires de la photographie amateur, Edition Le Caid

S’appuyant sur les collections du Musée de la Photographie à Charleroi, d’un collectionneur privé (Michel F. David) et de La Conserverie, un lieu d’archives, ce livre raconte les moments forts de l’histoire de la photographie amateur. J’ai justement eu le plaisir de collaborer avec Adeline Rossion du Musée de la Photographie à Charleroi et Anne Delrez de La Conserverie pour montrer sous forme d’exposition un extrait de ce livre, « La photographie sentimentale » en juin 2024 à L’Enfant Sauvage.

Incomplete Encyclopedia of Touch, Erik Kessels, Karel de Mulder, Thomas Sauvin / RVB Books

Également trouvé au Tipibookshop (mon fournisseur officiel de livres photo), ce livre rassemble 2 948 photos trouvés dans 15 000 albums de famille, Incomplete Encyclopedia of Touch archive le désir humain de mettre la main sur les choses. Qu’il s’agisse de voitures, de bateaux, d’animaux, d’arbres, de réfrigérateurs, de ponts, de buissons, d’autres humains ou même de leurs tombes, tout ce qui peut être touché le sera.

Toutes deux semblent figées dans un moment suspendu. Rien n’est clair, rien n’est posé. L’événement qui les entoure échappe au cadre. Peut-être un mariage, une fête, un dimanche d’hiver chez des cousins. Peut-être tout autre chose. Ce qui reste, c’est ce petit instant de flottement, ce presque-rien, capturé par l’appareil.
Ce qui me touche, dans cette image, c’est le décalage. Entre la lumière et l’ombre. Entre les âges. Entre ce qui est dit et ce qui ne le sera jamais.
Une scène banale, oui, mais à force d’être banale, elle devient essentielle. Comme une conversation qu’on n’aurait pas entendue, mais dont on garde la résonance.

Découvrez la photographie dans le dernier article.

https://www.instagram.com/lepetitbureaudesarchives.bxl/

 

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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