Temps de lecture estimé : 7mins

Chaque été depuis 1970, la ville d’Arles et ses environs vibrent au rythme de la photographie. Cette année ne fait pas exception : le festival propose une programmation particulièrement riche, mettant à l’honneur la diversité des cultures, des genres et des origines à travers tous les continents — de l’Australie au Brésil, en passant par l’Amérique du Nord et les Caraïbes. À l’occasion de cette nouvelle édition placée sous le signe des « Images indociles », rencontre avec Christoph Wiesner, directeur des Rencontres d’Arles, qui est également notre invité cette semaine à l’occasion de l’inauguration de la manifestation.

Portrait de Christoph Wiesner © Olivier Metzger / agence modds

La 56e édition des Rencontres d’Arles a ouvert ses portes lundi. Comment avez-vous conçu cette nouvelle programmation placée sous le titre Images dociles ? Quels ont été les critères déterminants dans le choix des artistes et des projets présentés cette année ?

Nous vivons une période troublée, où la tentation de réécrire l’histoire est forte. Dans ce contexte, l’image devient un moyen de résistance. Cette idée traverse toute la programmation de cette 56e édition, de Contre-voix à Histoires de familles, en passant par Contes d’archives et Émergences. La photographie y est envisagée comme un outil de témoignage des transformations sociales face aux crises contemporaines.
L’engagement est le fil conducteur de cette édition, dont les propositions photographiques proposent une réponse critique aux récits dominants, mettant en lumière la richesse des cultures, des identités et des origines.

Louis Stettner. Nancy jouant avec un verre, New York, 1958.
Avec l’aimable autorisation des Archives Stettner, Saint-Ouen.

L’une des lignes directrices de cette programmation est l’engagement. Selon vous, la photographie a-t-elle le pouvoir de « changer le monde » ou, du moins, de bousculer les consciences — en particulier dans le contexte mondial tendu que nous connaissons aujourd’hui ?

La photographie n’a pas vocation à changer le monde, mais elle a le pouvoir d’éveiller les consciences et de pointer les enjeux essentiels. Elle peut aussi servir de catharsis personnelle, en offrant à la fois la reconnaissance de soi et celle de sa communauté. C’est un moyen d’affirmer les existences. On retrouve cette dimension dans plusieurs des expositions de cette édition, où les photographes soulignent des luttes identitaires et revendiquent la visibilisation.

Tony Albert (Kuku Yalanji), David Charles Collins et Kirian Lawson.
Super-héros de Warakurna #1, série Super-héros de Warakurna, 2017.
Avec l’aimable autorisation des artistes / Sullivan+Strumpf.

Quels photographes ou quelles tendances ont particulièrement retenu votre attention ces dernières années ?

Une tendance marquante ces dernières années est l’utilisation croissante de l’IA dans la photographie, même si elle reste avant tout un outil au service de la créativité. Ce qui me frappe également, c’est l’évolution vers une photographie plus consciente. Les photographes semblent toujours aussi, mettant en lumière des problématiques qui me semblent essentielles.

Kourtney Roy. Marilyn Wig, série La Touriste, 2019-2020.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Galerie Les filles du calvaire.

Quelles expositions incontournables recommanderiez-vous à nos lecteurs pour un court séjour à Arles ?

Le festival c’est aussi l’occasion de (re)découvrir la ville d’Arles, et c’est ce qui fait sa richesse. La quarantaine d’expositions tissent une agora où toutes les voix et les voies se rencontrent, nous cultivons cette diversité. De la mémoire personnelle à la mémoire collective, des figures tutélaires connues du grand public, des collections incontournables au expositions de photographie vernaculaire, jusqu’à l’émergence de nouvelles pratiques : chaque visiteur peut y trouver quelque chose de marquant, quel que soit son intérêt pour le médium.

Quelles sont vos projections ou ambitions pour le festival dans les années à venir ?

Nous continuerons à porter une attention particulière à toutes les voix, en cherchant à offrir de nouvelles lectures. À partir de l’année prochaine et jusqu’en 2027, nous entamerons le bicentenaire de la photographie, une occasion unique de revisiter son histoire et de projeter son avenir, notamment en explorant les enjeux techniques, les nouvelles pratiques numériques et les évolutions du médium. Le festival sera au rendez-vous, comme depuis plus de 50 ans : un carrefour de réflexion sur le rôle de l’image dans notre société. La scène française sera comme toujours mise en écho avec des scènes étrangères, souvent moins connues, dont l’Inde (avec le Serendipity Arles Grant) et la Chine (avec Jimei x Arles) sont par exemple des fidèles relais.
Nous nous attachons plus que jamais à la mise en commun des expertises en poursuivant nos collaborations de coproduction avec des institutions européennes et internationales, qui participent au rayonnement du festival.

Les Expositions à ne pas rater !

On Country : photographie d’Australie.

Dans la séquence d’expositions « Contre-Voix », l’exposition « On Country » présentée à l’Eglise Saint-Anne réunit une vingtaine de photographes artistes autochtones et non-autochtones pour donner le voix au peuples premiers d’Australie. Une exposition rare visant à mettre en lumière l’impact du colonialisme, les liens communautaires contemporains et la continuité culturelle des Premières Nations, présentes sur ces terres depuis plus de 60 000 ans.

Diana Markosian. Le Découpage, série Père, 2014-2024.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Père – Dana Markosian.

Réalisée en partenariat avec le FOAM d’Amsterdam, le festival présente la série « Père » de la photographe Diana Markosian dans le cadre de la séquence « Histoires de famille ». Ici, au sein de l’espace Monoprix, se dévoile un portrait intime retraçant le parcours complexe qu’elle entretient avec son père, marqué par une longue absence, et qu’elle retrouve en Arménie afin de redécouvrir une part essentielle et méconnue de son histoire personnelle.

Yves Saint Laurent et la Photographie.

Il compte parmi les plus grands couturiers français, il est également celui qui a été le plus photographié, Yves Saint Laurent a toujours porté une attention particulière aux photographes du XXe siècle. Parmi les « Relectures » que proposent le festival, cette exposition inédite est conçue à partir du fonds du Musée Yves Saint Laurent Paris et nous plonge dans l’histoire de ce couturier révolutionnaire et à travers des signatures mythiques de l’histoire de la photographie. À voir à la Mécanique Générale.

Photographe amateur anonyme. Sans titre, Houlgate, France, 1931.
Avec l’aimable autorisation de l’ancienne Collection Marion et Philippe Jacquier / Don de la Fondation Antoine de Galbert au musée de Grenoble.

Eloge de la Photographie anonyme.

Au cloître Saint-Trophime, un bel hommage est rendu à la Galerie Lumière des Roses, fondée par Marion et Philippe Jacquier, récemment fermée. Spécialisée dans la photographie vernaculaire d’amateurs et d’anonymes, la galerie a constitué une collection exceptionnelle, acquise par Antoine de Galbert puis donnée au Musée de Grenoble. L’exposition, intégrée à la séquence « Contes d’Archives », en offre un aperçu rare.

Berenice Abbott
Post Office, East Machias, Maine, 1954.
Berenice Abbott sArchive, The Image Centre © Estate of Ronald Kurtz / Getty Images.

US Route 1.

Sur les traces de Berenice Abbott, les photographes Anna Fox et Karen Knorr empruntent la plus ancienne route des États-Unis, reprenant un projet laissé inachevé par Abbott dans les années 1950. À travers ce voyage photographique, elles dressent un état des lieux critique de l’Amérique contemporaine, soulignant l’impact destructeur des politiques conservatrices sur les droits des femmes, des minorités et des communautés les plus vulnérables.

Voir le programme complet et la programmation associée
https://www.rencontres-arles.com/

INFORMATIONS PRATIQUES

lun07jul(jul 7)10 h 00 mindim05oct(oct 5)19 h 00 minLes Rencontres d'Arles 2025Images IndocilesLes Rencontres d'Arles, 32, rue du Docteur Fanton 13200 Arles

À LIRE
Christoph Wiesner, directeur des Rencontres d’Arles est notre invité de la semaine
Sous la Surface: Rencontre avec Christoph Wiesner, directeur du festival des Rencontres d’Arles

Entretien publié dans le numéro #381 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Interview