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Des mondes flottants, une Biennale fulgurante et en expansion continue

Temps de lecture estimé : 6mins

Ce moderne définit par Baudelaire comme « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immobile »
Emma Lavigne, manifeste.

Des vaches qui flottent dans l’espace, des palles d’hélicoptères qui se mêlent au violon, une caverne noire géante et pénétrable, des bols qui dérivent et s’entrechoquent sur une eau bleutée, une pluie de sel sans fin.. on peut dire que les phénomènes à l’œuvre pour cette Biennale signée Emma Lavigne, relèvent parfois de l’hallucination mais avec une grande maîtrise et cohérence faisant de ce tout, un paysage instable et mouvant où la poésie et le hasard vous invitent à lâcher prise. Ce cheminement intérieur passe par des phases transitoires que la commissaire signale par des sous-titres : archipel de la sensation, corps électriques, circulation/infini, développés dans le précieux catalogue.

Abordons ces rivages au MAC dirigé par Thierry Raspail à l’origine de cette manifestation qui prend de plus en plus d’ampleur (24 000 visiteurs pour un budget total de 6M €). Les 75 artistes internationaux se répartissent entre le Mac et la Sucrière, quartier de la Confluence, deux archipels libres en devenir.

Nous sommes accueillis par l’œuvre « Babel » de Cildo Meireles où des sons dissonants sortent d’anciens postes de radio. Immersion et état d’incertitude sont posés en préambule.
Puis nous prenons l’ascenseur sur une musique conçue par le compositeur américain Ari Benjamin Meyers pour se mettre en état d’éveil.
La libre interprétation du japonais Yuko Mohri de Marcel Duchamp la Mariée mise à nu par ses célibataires même (la boîte verte), avec « Moré Moré » installation inspirée des réseaux de fuites d’eau du métro de Tokyo, perçus comme des écosystèmes autonomes et improvisés, est l’un des temps forts de cet étage.
Autre écosystème sonore cette fois avec David Tudor, proche collaborateur de John Cage, qui imagine un groupe d’objets hétéroclites et joyeux, telle une forêt de son. Robert Barry l’un des pionniers de l’art conceptuel, avec LOVE TO dessinés à la craie blanche et pas immédiatement lisibles joue de la polysémie des mots et du langage.
Magnifique et fragile sol parsemé de l’œuvre « Vivre » de l’allemand Jochen Gerz que le public efface peu à peu en traversant la pièce. D’une grande poésie.
La brésilienne Rivane Neuenschwander à partir de slogans issus de pancartes de manifestations du Brésil à Lyon, propose un alphabet intimiste que chaque visiteur peut recomposer et transporter en les épinglant, un signe d’insurrection subtil.
L’œuvre du tchèque Jàn Mancuska « Oedipus » est fascinante également. Il déploie dans l’espace des fils composés de lettrines délivrant un message à déchiffrer.
Grand défenseur de la poésie Marcel Broodthaers avec la Pluie (collection Centre Pompidou) et cette image dérisoire d’une tentative d’écriture face aux éléments. A ses côtés en écho la plasticienne et musicienne américaine Laurie Anderson avec son « Windbook », journal intime encapsulé dans une boîte de verre qui par un système de soufflerie propose une lecture très aléatoire au regardeur. Le photographe américain Peter Moore ouvre sur la scène de la performance à travers l’avant garde newyorkaise (Fluxus, Merce Cunningham..) rappelant que la Biennale de Lyon est aussi la Biennale de la danse, l’une des raisons qui ont amené Thierry Raspail à choisir Emma Lavigne, capable de creuser ces porosités entre les mediums et leur élasticité spatio-temporelle.

Au 2ème étage du musée, le plus spectaculaire est cette confrontation entre Jean Arp (collection du centre Pompidou) et le brésilien Ernesto Neto qui déclare : « Je commence là où s’arrête Arp »à travers cet horizon textile et olfactif que l’on peut dominer d’un marchepied « Stand up, Speaker up, see up », ou traverser telle une cosmogonie blanche « Two Columns for One Bubble Light ». Il est à noter l’influence de Jean Arp et son biomorphisme sur une grande partie de la scène brésilienne et plus particulièrement Lygia Pape présente à travers plusieurs œuvres dont « Luar do Sertao » (Clair de lune dans l’arrière-pays) un tapis de pop corn éclairé à la lumière noire, métaphore lyrique de l’anthropophagie indigène au Brésil.
Jorinde Voigt (Allemagne) entre le Mac et La Sucrière déroule ses écritures sismographiques comme une vague ondulatoire d’un possible chaos du monde.
Jill Magid (Etats-Unis) se consacre aux confiscations et dissimulations de l’histoire et récits officiels avec « Tapete de flores »il rend mémoire à l’architecte mexicain Luis Barragan à travers une offrande inspirée de celles du Jour des morts au Mexique.
Shimabuku qui a fortement influencé Emma Lavigne pour imaginer ces « mondes flottants », traduction occidentale du concept de l’Ukiyo-e, à travers sa performance « Let’s Make Cows Fly » (à l’origine de l’affiche de la Biennale), dans le cadre de sa résidence sur le territoire (Veduta) prolonge une histoire des objets flottants dans l’art, héritée de Magritte et Hans Richter « Ghosts Before Breakfast ». Ces cerfs-volants d’apparence bovine dont se saisissent des volontaires inversent notre rapport au monde, de façon ludique et créative.

Au 3ème étage Julien Creuzet et sa vidéeo « En suspens »en ouverture rejoue l’un des moments de l’histoire de l’art, cette main tendue vers le ciel traversé d’un éclair, sorte de haïku matérialisé. Lars Fredrinkson (Suède), chercheur et sound artist, enregistre les sons dans l’espace et les transpose sur papier électrosensible. Dominique Blais (également à la Sucrière) que je retrouve avec plaisir, imagine un dispositif réglé par les phases croissantes et décroissantes de la lune.
Fernando Ortega (Mexique) filme une flûtiste qui interprète le requiem de Kazuo Fukushima dans la soufflerie Jules Vernes à Nantes. Une collusion sensible et poétique.
C’est avec le dialogue amorcé entre Cerith Wyn Evans et des représentants du groupe Zero : Heinz Mach, Otto Piene et Lucio Fontana des collections du Centre Pompidou, que l’on perçoit la démarche totalement inédite d’Emma Lavigne. La sculpture miroitante en suspension « A=P=P=A=R=I=T=I=O=N » rejoint les préoccupations du fondateur du Spatialisme.

La promenade se poursuit à la Sucrière et au Dôme avec des œuvres invitant « au vagabondage spatio-temporel, à la dérive, à l’indiscipline ». Prochain article !

INFOS PRATIQUES :
14ème Biennale de Lyon
Jusqu’au 7 janvier 2017
MAC, Musée d’art contemporain de Lyon
Cité Internationale
81 Quai Charles de Gaulle
69006 Lyon

http://www.mac-lyon.com/mac/
Carte de la biennale :
http://www.biennaledelyon.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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