L'InterviewPhoto

Rencontre avec Olivier Goy de la Fondation Photo4Food
Pour une vision entrepreneuriale de la philanthropie

Portrait d'Olivier Goy, co-fondateur de Photo4Food
Temps de lecture estimé : 9mins

En 2019, le couple Virginie & Olivier Goy a créé la fondation Photo & Partage, qui met l’art au service des autres. À cette occasion, nous avons rencontré l’un des deux fondateurs, Olivier Goy, entrepreneur de 45 ans. Il nous explique avoir souhaité, dans ce projet photo4food, associer sa passion pour la photographie et son soutien pour les causes de charité. Le principe est simple, en organisant des ventes de photographies, 100% des revenus sont reversés pour financer des repas pour les plus démunis.

9 Lives : Votre femme et vous êtes les deux fondateurs de Photo4Food, de quel univers venez-vous ?

Olivier Goy : Ma femme Virginie était directrice financière d’un groupe de restaurants. Elle est aujourd’hui secrétaire générale bénévole au sein de la Fondation, c’est donc une reconversion professionnelle totale. De mon côté, je suis entrepreneur dans l’univers de la finance, depuis 2014 je suis à la tête d’une plateforme de prêts aux PME qui s’appelle October. Ma vie professionnelle est totalement distincte de la Fondation, en revanche ce sont mes sociétés qui m’ont donné les moyens de financer ce projet.

9 Lives : Pouvez-vous nous raconter comment vous est venue l’idée de cette fondation photo4food ?

© Letizia Le Fur / Fondation Photo4Food

O. G. : Je suis un passionné de photographie, à la fois en tant que collectionneur et photographe amateur. Au fil du temps, je me suis rendu compte des difficultés liées au métier de photographe, et en particulier celle d’exposer. Une exposition coûte très cher, et les photographes n’ont pas toujours les moyens de produire les tirages, la scénographie, et d’avoir accès à des lieux d’exception… Je me suis donc demandé comment on pouvait les aider en faisant la promotion de leurs travaux artistiques, tout en continuant à soutenir les associations qui luttent contre la pauvreté, car c’est une cause qui nous touche tout particulièrement. C’est terrible de voir qu’en France, il y a toujours plus de pauvreté.
Nous voulions donc trouver un moyen d’associer les deux, cela peut paraître paradoxal de prime abord, mais l’idée était d’utiliser la photographie pour lutter contre la pauvreté.
Nous avons donc proposé à 20 photographes de rejoindre le projet, en faisant le don de quelques images avec les droits de reproduction de leurs œuvres. De notre côté, nous allons mettre en valeur leur travail pour les remercier de leur générosité, en organisant des expositions, des ventes aux enchères, et en éditant des livres. Les revenus dégagés grâce à cela vont permettre de payer des repas.
L’engagement personnel que nous avons, ma femme et moi, c’est de financer pendant 10 ans tous les frais de la fondation, même les frais fixes. Plus concrètement, ce que l’on veut, c’est que lorsqu’on vend une photo 1000€, il y ait vraiment 1000€ qui soit reversée aux causes que l’on soutient, nous nous occupons donc de tout le reste.

9 Lives : Quelle est votre cible d’acheteurs ?

O. G. : Nous avons une double cible. Celle des collectionneurs avertis qui souhaitent acquérir des œuvres qui seront amenées à être valorisées, parce qu’on propose des photographes auxquels on croit, et dont la cote va augmenter. Et celle des particuliers et des entreprises qui n’ont pas forcément acheté de photographie auparavant. Auprès d’eux, nous allons faire un travail de sensibilisation pour les amener à une réflexion à la fois sur l’art et sur le fait de permettre une bonne action, tout en leur expliquant l’importance de mettre l’art au service des autres. La photographie est un médium accessible, nous avons une vraie carte à jouer. S’ils sont capables d’acheter des œuvres d’art tout en servant une cause, ils passeront le message, et on déclenchera une nouvelle démarche.

9 Lives : Comment cela se passe concrètement ? Quels sont les tarifs pratiqués pour la vente des œuvres ?

O. G. : Tous les tirages que l’on produit pour être exposés seront vendus. Dans le détail, on s’adapte aux pratiques de chacun des photographes, les tarifs et les numérotations diffèrent en fonction de chacun. Nous sommes là pour défendre la cote du photographe, on ne veut pas que les prix soient bradés. On s’aligne à leur cote et aux prix publics. La personne qui acquiert un tirage a une double satisfaction, car quand il achète une œuvre 2500€ par exemple, en plus d’avoir une œuvre d’art, il a en permis d’offrir pour 2500€ de repas.

© Julien Mignot / Fondation Photo4Food

9 Lives : Les fonds récoltés vont ensuite à des associations, comme Les restos du cœur ou août secours alimentaire ?

O. G. : Nous avons déjà participé à deux actions. En décembre, nous avons soutenu Les restos du coeur de manière à financer une année de repas chaud dans leur point de distribution dans le 9ème arrondissement. Commencé en décembre dernier, les 25000 repas seront servis toute l’année 2020*. On essaie également de mobiliser une équipe de bénévoles pour aider au service. Ensuite, l’une des manières de réduire le coût de production des repas chauds, c’est de récupérer les invendus dans les supermarchés et les restaurants. Rien qu’à Paris ce sont 370 tonnes de nourriture qui ont pu être récupérées en 2018, et cette année on a pour objectif d’en récupérer le double. Mais pour cela, on a besoin de véhicules. La Fondation a donc financé l’achat d’un Renault Master (28.500€). Aujourd’hui nous n’avons pas vendu suffisamment de tirages pour prendre en charge tout cela, nous l’avons donc nous-même financé, le temps que la machine soit lancée.

9 Lives : Pourquoi avoir créé une fondation et pas une association ?

O. G. : Pour plusieurs raisons. La fondation a un côté sanctuarisé. Elle est pérenne et est donc faite pour durer plus qu’une vie. Un des points importants, c’est que lorsqu’un photographe nous donne une photographie, nous ne sommes pas tenus de la vendre, on peut en garder quelques unes comme actif de la Fondation. On espère que certains de ces tirages vont prendre de la valeur, pour permettre dans le futur d’autofinancer la fondation. Potentiellement, mon rêve c’est que demain, si je n’ai plus les moyens de financer, ou si je décède, la fondation continue. L’autre avantage c’est que comme c’est une fondation abritée par l’Institut de France, elle est reconnue d’utilité publique, on peut donc permettre aux donateurs – contrairement à une association à but non lucratif – de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu, sur la fortune immobilière (IFI) ou d’impôt sur les sociétés. La partie défiscalisation est une donnée importante. Le 16 juin nous organisons un dîner de charité, la table est vendue 8000€, après réduction d’impôt, elle ne coûtera plus que 3200€…

© Flore / Fondation Photo4Food

9 Lives : Vous vous êtes engagés à doter la fondation pour couvrir les coûts sur les 10 prochaines années. Que se passera t-il ensuite ?

O. G. : J’ai dit 10 ans, car j’ai 45 ans et que je vois à peu près où je me situerai dans 10 ans, j’espère pouvoir m’engager pour une décennie supplémentaire. C’est une certaine philosophie de la philanthropie. Il y a des gens qui nous disent « mais pourquoi l’argent que vous donnez aux associations, vous ne le donnez pas directement sans passer par la Fondation ? ». La réponse est simple, c’est que ça ne permettrait pas d’avoir ce levier que nous avons aujourd’hui. On espère que quand nous on met 1€, derrière c’est 5 ou 10€ qu’on est capable de donner à des associations à travers la fondation. Et puis en plus on défend la cause des photographes. C’est une vision entrepreneuriale de la philanthropie, même si ce sont deux mots qui ne vont pas trop ensemble. Tout cela est inclus dans une démarche pour avoir le meilleur levier possible pour permettre l’émulation et la motivation. Mon rêve c’est peut-être que dans 10 ans, il y ait eu un tel effet vertueux qu’on pourra faire encore plus de choses.

9 Lives : Quelle est votre première rencontre avec la photographie ?

O. G. : Je pense que c’est lorsque j’ai acheté une photographie du duo Lucie & Simon, issue de la série Silent World. Cela remonte à 7 ou 8 ans. C’était la première fois que je m’achetais une vraie belle photo. Et c’est pour cela que nous avons demandé à ces deux photographes de faire partie du conseil d’orientation de la Fondation.

9 Lives : Quel est le rôle de ce conseil ?

O. G. : Il est composé de 6 personnalités que sont : Arnaud Adida (galeriste), Akrame Benallal (chef étoilé), Lucie de Barbuat & Simon Brodbeck (photographes, pensionnaires Villa Médicis, Prix HSBC), Emmanuelle de l’Ecotais (ancien conservateur pour la photographie du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, spécialiste de Man Ray, docteur en histoire de l’art) et Isabelle Juy (architecte). Pour chacun, ce sont de vrais rencontres, nous n’avons pas fait appel à des personnalités que nous ne connaissions pas, à chaque fois, nous avons une histoire forte avec eux. Il nous apportent une crédibilité, ça va de soi, mais surtout nous entretenons des liens étroits, car ils nous aident à travers leur expérience. Lorsqu’on a travaillé sur la première exposition, c’est Emmanuelle de l’Ecotais qui nous a aidé à choisir les œuvres et dessiner la scénographie, c’est une aide précieuse.

9 Lives : Aujourd’hui vous avez 18 photographes, allez vous agrandir le nombre d’artistes de la Fondation ?

O. G. : On reçoit beaucoup de propositions spontanées de la part des photographes. Ce qui est très généreux. Pour cette année, nous souhaitons nous concentrer sur ceux que l’on a déjà. Cela représente tout de même 300 œuvres. Mais dans un an, on lancera un appel à candidature pour grossir l’inventaire de la Fondation.

 

INFORMATIONS PRATIQUES
Fondation Photo & Partage – Photo4Food
Institut de France
23, quai de Conti
75006 Paris
http://www.fondationphoto4food.com

Les expositions en cours et à venir
WeAre
(exposition permanente)
73 rue du Faubourg Saint Honoré
75008 Paris
Philanthro-Lab
(printemps 2020)
12 rue de la bûcherie
75005 Paris

*Chaque année, à Paris, les Restos du cœur distribuent 2,6 millions de repas.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Interview