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Covid-19 et l’art : Rencontre avec Nathalie Guiot présidente et fondatrice Fondation Thalie, Bruxelles

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Dans le cadre de nos rencontres spéciales autour de l’impact du Covid-19 sur l’art et ses acteurs, Nathalie Guiot a accepté de nous répondre depuis Bruxelles et l’élégante fondation Thalie qu’elle a conçue comme un carrefour de rencontres et d’échanges autour de l’art et de la création, résidence d’artistes et plateforme de production. Curatrice, éditrice, collectionneuse d’art, Nathalie Guiot est également l’auteure de « Collectionneurs, les VIP de l’art contemporain » (Anabet Éditions, 2008), « Conversations, l’artiste et le collectionneur », (BlackJack Éditions, 2013).

« Cette crise est l’occasion de repenser l’engagement vis-à-vis de l’art et de la culture »

Comment vous organisez-vous dans ce contexte au niveau de la Fondation et sa programmation dont l’exposition Caroline Achaintre initialement prévue début avril ?

Nous avons dû bien évidemment fermer la Fondation Thalie, arrêter toute la programmation du jour au lendemain et nous adapter à cette situation. Nous avons tout reporté jusqu’à nouvel ordre n’ayant pas de visibilité sur la sortie de crise et la reprise potentielle. Techniquement mon équipe est au chômage partiel et nous sommes tous suspendus à ce qui est devenue une tragédie planétaire.

De nouveaux projets ont-ils émergé au cours de la période que nous traversons ?

J’ai eu très vite l’idée de créer une dynamique en ligne autour de la poésie. Aimant beaucoup la poésie, j’avais décidé avant même la pandémie et le couvre-feu d’organiser une nuit blanche sur ce thème. La Fondation a en effet vocation à soutenir l’art et la culture sur un angle collaboratif, pluridisciplinaire par le biais de résidences d’artistes, d’expositions dédiées à la scène émergente et tout particulièrement aux femmes (que je soutiens activement dans ma collection) et d’invitations faites à des auteurs autour de leur « bibliothèque idéale ». Dans ce cadre, Barbara Polla, galeriste et commissaire, avait décidé de proposer une nuit blanche de la Poésie le 21 mars dernier. Nous avons donc décidé de prolonger cette initiative en proposant chaque jeudi, à partir de 20h30, une plateforme poétique en direct sur le site de la fondation où nous invitons différentes personnes à déclamer des vers, de la prose ou d’autres formes de récits. Un vrai moment de partage et d’amour qui donne force, verticalité et assise et permet de créer au fil de l’eau une communauté de poètes, que ce soit des artistes, des écrivains, des réalisateurs… J’avais par ailleurs invité Caroline Achaintre à montrer à partir du 2 avril à la Fondation ses œuvres textiles, masques et céramiques que j’apprécie et collectionne. Nous espérons pouvoir ouvrir cette exposition avant l’été, sans aucune certitude.

Quel impact peut avoir selon vous un tel séisme sur le monde de l’art en Belgique ?

En Belgique la scène culturelle et les artistes sont tous très impactés, à l’arrêt, sans projet, très peu aidés et c’est très difficile. À titre personnel, je continue à les encourager par des projets, que ce soit d’expositions ou d’éditions, et aussi par la plateforme de poésie qui nous permettra d’éditer, à la sortie du confinement, tous les textes lus à voix haute lors de ces jeudis soir. J’ai également un projet dédié à une vingtaine d’artistes femmes de ma collection ou en lien avec la Fondation, qui vont écrire leur journal de confinement, comment cela impacte leur pratique, leur vision du monde et leur rapport à l’autre. Cela va s’appeler « la Traversée » et prendra la forme d’une œuvre collective. Ces femmes, qu’elles soient des artistes émergentes ou confirmées, sont déjà familières du confinement dans leur vie de créatrice, dans la solitude de l’atelier. Elles peuvent témoigner de leur expérience, nous enseigner la lenteur, le silence, nous apprendre à nous mettre dans cet état de création et de réceptivité.

Des mesures gouvernementales de soutien sont-elles proposées en Belgique comme c’est le cas en France ?

Les efforts à fournir seront énormes face à toute une économie qui est totalement fragilisée. Je ne suis pas spécialiste et ne pourrai répondre dans le détail mais je sais que les salariés des institutions culturelles, privées ou publiques – qui ne peuvent plus programmer ni ouvrir leur lieu au public – peuvent faire une demande auprès de l’ONEM et des organismes sociaux pour accompagner ce chômage partiel.

Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entraine des changements durables dans nos habitudes et comportements ?

Je trouvais déjà que le marché de l’art contemporain marchait sur la tête avec cette explosion de foires et biennales, un système absurde pour les artistes et pour toutes les parties engagées, qui engendrait une course à la production, une fuite en avant perpétuelle et une catastrophe écologique en termes de voyages, de transports, de déplacements…
A présent le monde s’arrête et nous nous posons tous la question de comment réinventer notre façon de vivre, pour être davantage dans des circuits locaux, dans une économie de proximité, dans la lenteur et la profondeur. Nous réfléchissons à comment réinvestir les espaces des galeries, à travailler ensemble en développant davantage de solidarité, de liens entre les acteurs culturels, de programmation conjointe et partagée. Les artistes aussi peuvent imaginer se réinventer pour un art plus collaboratif, même si tous ne sont pas dans la pédagogie. Pour ma part, je voudrais réagir face à toutes ces populations isolées et fragilisées, et réorienter certains choix pour agir avec ma fondation. Je souhaiterais faire des choses moins spectaculaires et davantage tournées vers des publics plus divers. Je reste convaincue que les lieux de culture doivent plus que jamais continuer à être soutenus car ils renforcent le lien, ce lien social à rebours de l’explosion technologique que nous vivons actuellement. Plus que jamais nous avons besoin de nous retrouver en communautés autour de ce qui nous anime et nous devons préserver le capital naturel que nous avons en commun, la terre et l’humain.

INFORMATIONS PRATIQUES
La plateforme poétique
Les Podcast et vidéos : la Bibliothèque idéale de …
Fondation Tahlie
15 rue Buchholtz
1050 Bruxelles – Belgique
https://www.fondationthalie.org/fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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