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Sommes-nous de simples tâches de couleur ? L’exposition Virus d’Antoine d’Agata

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Au printemps dernier, à mesure que les rues se vidaient les hôpitaux accueillaient de plus en plus de nouveaux malades. Quelques-uns parmi nous quittaient leur lieu de confinement soit simplement pour aller se promener, faire quelques courses (pour les plus chanceux). Pour d’autres moins chanceux, sans domicile fixe ou travailleurs en première ligne, ceux-ci continuaient à arpenter les rues désertées. Durant ce confinement, le photographe Antoine D’Agata a porté son attention sur ces ombres furtives qui peuplaient les rues.

Il a aussi suivi quelques-uns parmi au parcours plus tragique jusqu’à l’hôpital. Présenté comme cela et hormis l’outil technique utilisé pour ce faire, rien ne distingue ce travail de tant d’autres réalisés dans des conditions identiques à ce moment-là. En effet, d’Agata a réalisé ces images muni d’un appareil thermophotographique. Ces images ont été quasi instantanément publiées dans les pages du journal Libération au printemps. Aujourd’hui une partie des 13 000 images réalisées est exposée à la fondation Brownstone et au Carré du Temple à Paris. Un livre paraitra aussi à la fin du mois d’octobre.

Ce n’est pas la première fois que d’Agata utilise cette technique pour réaliser ses images. En novembre dernier par exemple, le quotidien Libération avait déjà publié des images réalisées avec le même type de caméra dans le quartier de Noailles à Marseille. Cette série intégrait un corpus plus large que l’auteur nomme « Psychogéographie ».
Forgé par Guy Debord et endossé par le photographe, ce néologisme définit selon lui les rapports affectifs de l’humain à son environnement fonctionnel et urbain qui est le plus souvent dégradé et ennuyeux.

Mais revenons à cette série « Virus » et sa genèse technique. L’outil thermographique est muni d’un capteur qui réagit à la chaleur et a divers usages.
Dans le secteur du bâtiment, par exemple il est ainsi utilisé pour repérer des pertes d’isolation et donc des déperditions de chaleur.
Dans le domaine médical il est utilisé à des fins de dépistage. Cette vision permet donc essentiellement de repérer des symptômes et d’établir un diagnostic avant une intervention de réparation.

L’outil a aussi des usages plus controversés. Ainsi, lors de la crise sanitaire due au Sras en Asie en 2009, ce type de vision a été utilisé pour repérer la thermie anormalement élevée des corps et invisible à l’œil nu.
Cette technique a aussi des applications militaires de vision nocturne.
A l’évidence, l’usage artistique de ce type de vision dans le cadre de la Covid ne peut relever uniquement d’un simple partage de champ lexical normatif fait de chaleur symptômes, de diagnostics et de prise de température. D’autant plus, lorsque l’on se réclame d’une démarche situationniste.
Cette technique est donc aussi un outil mis à disposition de l’artiste revendiquant une position politique et contestataire dans l’exercice de son art.

On retrouve dans cette série « Virus » certaines des caractéristiques picturales très prononcées de quelques-uns de anciens travaux l’artiste. On y relève un glissement vers une abstraction des motifs avec des lignes de couleur dégradées qui s’opérait déjà dans beaucoup de ses autoportraits seul ou accompagné.
Dans « Virus » point d’autoportrait. Le pouvoir habituel et tacite que le photographe exerce symboliquement sur ses sujets se trouve renforcé par l’entremise d’une technique intrusive et normative.

Hélas, « Virus » reste au seuil de tout détournement anormatif qui semblait hautement séduisant sur le papier, avouons-le.
Aucune ambiguïté ou dissidence à l’égard de l’objet initial de cette technique. Les sujets sont des silhouettes colorées. Sous des aspects esthétiques assez chatoyants, c’est une vision utilitaire ou fonctionnelle de la photographie qui se présente aux regardeurs.

Le pseudo détournement de la technique normative s’apparente ici si ce n’est à un pacte faustien du moins à un jeu de dupes qui se résume à une esthétisation de la norme. Or, sommes-nous de simples tâches de couleur ?
Le jeu avec la norme aurait pu être passionnant. Que faire de cet outil normatif ? Comment en donner une vision critique ou en souligner les insuffisances ou les dangers ? On est venu pour avoir des débuts de réponses à ces questions, on repart avec encore plus de questions. Ce n’est déjà pas mal, direz-vous.
Dans l’espace restreint de la fondation Brownstone, il y a des tirages de grand format avec des silhouettes individuelles. Il y a aussi un mur entier fait de mille petits tirages aux cadres métalliques collés les uns aux autres.

Assez ironiquement, en ces temps de distanciation physique, cette nécessaire solidarité symbolique imposée aux individus qui peuplent ces images est le seul élément dissonant de cette œuvre où c’est le beau normatif qui prime. A ce virus pauvrement esthétisant aucun antidote n’est proposé.

INFORMATIONS PRATIQUES
EN CE MOMENT

sam16jan(jan 16)14 h 00 min2020sam31oct(oct 31)19 h 00 minVirusAntoine d'AgataFondation Brownstone, 26 rue Saint Gilles 75003 Paris

jeu15oct(oct 15)11 h 00 minlun02nov(nov 2)19 h 00 minVirusAntoine d'AgataCarreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller 75003 Paris


BIENTÔT

mer11nov(nov 11)14 h 00 mindim15(nov 15)19 h 00 minVirusAntoine d'AgataExposition annulée cause de confinementGalerie Les filles du calvaire, 17 rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris

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