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La photographie au placard !

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Quand tu penses que tu as touché le fond et que tu te rends compte qu’il y a encore un gouffre, sous l’épaisse couche de vase… Je suis sure que beaucoup d’individus évoluant dans le secteur de la photographie voient parfaitement l’image que je décris… Un incroyable ras-le-bol, face à ce qui ressemble à du mépris. Bien que je ne sois pas persuadée que la délégation à la photographie, initiée en 2018, ait considérablement amélioré la situation, le fait est que cette décision de rétrograder cette délégation au rang de simple bureau pourrait être le coup de trop qui pourrait bien tous nous mettre au tapis.

« Aider la photographie à vivre ;
A durer ;
Et à éclairer la société.
Permettre à la photographie de vivre, d’abord, c’est faire vivre ses artistes-auteurs« . – Discours de Françoise Nyssen à Arles en 2018, au moment de dévoiler la création de la Délégation à la Photographie

La profession a tremblé la semaine dernière à la sortie du papier de Libération. Maintenant on le sait, la culture est un secteur dit – non essentiel. Merci à cette crise sanitaire d’avoir mis le doigt sur ce qui était vraiment important. Cela étant, nous étions tous logés à la même enseigne, quel que soit le médium utilisé. Mais voyez-vous, que vous utilisiez un appareil photo, une caméra, une plume ou un pinceau, vous n’êtes finalement pas considérés de la même manière. Il y aurait des secteurs plus sérieux que d’autres, des secteurs qui méritent d’être épaulés, d’autres sacrifiés… Un choix arbitraire assurément.

Le ministère de la culture gouverné par Roselyne Bachelot, a décidé de se pencher sur le secteur photo ! Et oui on existe !… Enfin on subsiste et c’est le rapport Racine qui le révèle en janvier 2020, avec un état des lieux pointant un grand nombre de dysfonctionnements de nos métiers des arts visuels. Un rapport édifiant et glaçant pour la photographie : baisse des revenus, droits de représentation non respectés (dans des lieux subventionnés par l’Etat notamment), des dizaines de milliers de photographes qui se retrouvent sans retraite (la faute à un bug informatique), et une situation de travail qui est de plus en plus précaire…
Bref, ce rapport rédigé par Bruno Racine, haut fonctionnaire et ancien Président de la BnF, révélait officiellement ce qui ne tournait pas rond dans le domaine des arts visuels, qui rappelons le encore – dans l’industrie culturelle, est en tête en terme de revenus mais aussi en terme d’effectif, loin devant la télévision, la musique et le cinéma. L’espoir est ainsi né que (peut-être) des actions concrètes allaient être menées afin d’endiguer une profession qui se paupérise de plus en plus.

Malheureusement c’était sans compter sur la crise sanitaire qui est venue redistribuer les urgences. L’attention s’est portée sur les masques, inutiles tout d’abord, puis finalement nécessaires et obligatoires, sur la fermeture des lieux culturels pour mieux ouvrir les centres commerciaux, entasser des milliers de gens dans les transports en commun pour mener la guerre à l’apéro, alors oui les histoires des photographes et les artistes en général, on s’en « fout » un peu. Enfin non d’ailleurs parce que la photo est dangereuse, alors on pond une loi « sécurité globale » répressive empêchant notamment les professionnels de presse de photographier les forces de l’ordre…

Dans tout ce contexte, où des dizaines de milliers de professionnels sont en danger, il aurait donc été courtois de ne rien faire finalement ! Mais au lieu de cela, le 31 décembre alors que vous prépariez un réveillon de dingue en tête à tête avec votre chat (couvre-feu oblige), Le Journal Officiel annonce que la Délégation à la photographie, née dans la douleur il y a 3 ans sous le règne de Françoise Nyssen, est rétrogradée au rang de simple bureau. Bref, une mise au placard, comme vous l’aurez compris. Car finalement, on ne sait que très peu de choses sur ce « bureau ». Que vont devenir les chantiers entamés par la délégation ? Quel avenir pour la photographie ?

Le problème est que la photographie souffre de ne pas avoir une grosse industrie sur laquelle se reposer. On nous reproche également notre manque de cohésion. Que dans la photographie, il y a trop d’interlocuteurs et que les discours divergent pour être efficacement entendus (mots prononcés dans les couloirs du Ministère)… Serait-ce la raison d’un tel mépris pour la photographie ?
Lors de la présentation de son plan, Roselyne Bachelot avait annoncé “L’enjeu du plan de relance dans la Culture est à la fois de reconstruire les secteurs culturels et de refonder les politiques culturelles, afin de pouvoir soutenir les reprises d’activités et se projeter dans l’avenir”. Cette aide à la culture de 2 milliards d’euros va finalement privilégier le secteur des arts vivants et de l’audiovisuel, sans grande surprise pour cette amoureuse et animatrice des plateaux TV.

Ainsi, face à ces discours pour sauver la culture, décider de faire disparaître cette délégation dédiée à la photographie fait retentir le glas.

 

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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