Temps de lecture estimé : 6mins

Poursuite de notre tour d’horizon des lieux qui comptent à Marseille à la galerie de la SCEP, Société de commissariat d’expositions de plasticiens, sur les recommandations du PAC. Dirigé par l’artiste Diego Bustamante et fondé avec son frère, cet espace, sarl et galerie, organise des expositions dans une approche qu’il qualifie volontiers de “slow-art”. Les artistes invités pour les expositions peuvent bénéficier d’un budget de production, d’un logement (la galerie comprend un studio) et de l’espace de la galerie (90m2) comme atelier avant le vernissage.

Gillian Brett et Antoine Nessi nous mettent au défi d’un monde post-apocalyptique dominé par l’aliénation, l’obésité technologique ou l’hyper contrôle. Diego Bustamante revient sur le choix de cette confrontation et les motivations qui l’animent pour ce lieu.

Portrait de Diego Bustamante photo Marie de la Fresnaye

Quel est l’ADN de la galerie de la Scep ?

La galerie de la Scep s’attache tout d’abord à réaliser des expositions que je souhaite qualitatives. C’est pour moi un réel enjeu que de montrer des œuvres au public et chaque projet d’exposition me tient à cœur. L’œuvre d’art est au centre du projet et je ne les considère pas simplement comme des objets. Les œuvres sont des vecteurs qui ont la capacité de modifier le rapport au monde de chaque spectateur, c’est donc avec cette relative charge de responsabilités que j’aborde mes projets. Ainsi je m’attache à sélectionner des œuvres d’art pour leurs qualités formelles et pour la singularité de leur fond (qu’il soit poétique, conceptuel ou politique). Quand le fond et la forme s’accordent, c’est souvent que l’artiste vit son travail de manière intense. Quand un artiste fabrique des formes gratuitement, par réflexe, par habitude ou de manière systématique, alors on se trouve souvent face à des œuvres insipides. J’ai un ami artiste, Maxime Sanchez, qui soutenait récemment (et je suis d’accord avec lui) combien une pratique nécessite d’être deep. En d’autres termes, nous avons besoin de pouvoir entrer dans un travail et que ce dernier puisse nous bouleverser par ses perspectives. Un autre ami artiste, Romain Dumesnil, me disait récemment que ce que je faisais à la galerie était du slow-art, par opposition à la fast-food. Moi ça me va très bien d’être un petit restaurant gastronomique pour l’art contemporain.

Vue exposition Gillian Brett et Antoine Nessi : I have no face but you can trust me, SCEP galerie, photo Nassimo Berthommé

L’exposition de Gillian Brett et Antoine Nessi : origine du projet, dialogue entre les artistes, scénographie

Dès que j’ai l’occasion d’aller visiter un atelier d’artiste, dont le travail me donne le sentiment de ce que j’ai expliqué plus haut, alors je n’hésite pas. J’avais visité les ateliers de Gillian Brett et d’Antoine Nessi et il était assez clair que leurs œuvres renvoient à un moment donné à une source de mal être lié à l’état actuel du monde. Mais ce qui m’intéressait également d’instinct, c’était la force plastique de leurs œuvres qui allait être décuplée par le rapprochement spatial qu’allait provoquer la mise en vis-à-vis de leurs formes, de leurs gestes et de leurs matériaux. Cette cohabitation allait de pair avec ce que j’ai perçu comme un effet de zoom et de dézoom sur l’état actuel des choses, en effet Gillian Brett semble regarder le monde de manière structurelle en se concentrant sur des problématiques à grande échelle (la course aux technologies, la conquête de Mars) tandis qu’Antoine Nessi semble plutôt se concentrer sur l’échelle de l’individu, ses souffrances, ses aliénations et ses espaces intimes partagés. Les scénographies des expositions sont toujours construites en dialogue avec les artistes, je suis une force de proposition et non un commissaire autoritaire. Pour cette exposition, la richesse des échanges s’est trouvée pour moi dans des points de désaccords, il nous a fallu plusieurs jours pour décider de l’emplacement de certaines pièces et des débats de fonds ont pu s’installer au cours du montage.

Vue exposition Gillian Brett et Antoine Nessi : I have no face but you can trust me, SCEP galerie, photo Nassimo Berthommé

Portrait de Diego Bustamante photo Marie de la Fresnaye

Pourquoi un tel dynamisme de l’écosystème marseillais selon vous ?

Pour moi il n’y a rien de très actuel dans ce dynamisme, l’art et la culture sont des traditions à Marseille, pour s’en rendre compte il y a de nombreux témoins. Mais il est vrai que depuis quelques années, les artistes affluent dans cette ville et montent des projets collectifs qualitatifs qui font vivre de manière plus intense cet écosystème. En plus des évidences que tout le monde comprend, prix des loyers, possibilité d’accéder à des résidences et expositions, possibilité d’intégrer un écosystème vivant qui permet des échanges critiques (de plus en plus rares après la sortie d’école), je pense que Marseille est une ville où l’on ne regarde pas la jeunesse de manière condescendante, au contraire, on lui donne les clés. J’ai un exemple qui me vient tout de suite à l’esprit, Stanislas Colodiet dirige le Cirva (centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques), il a seulement 30 ans ! De plus, le milieu de l’art contemporain y est inclusif et bienveillant de mon point de vue. Je l’ai très bien senti en m’installant ici, que ce soit le public, les institutions, les professionnels, mes collègues, je n’ai jamais ressenti une once de mépris. Cela n’a rien d’anodin et c’est dans ce contexte que la liberté artistique peut se développer. A Marseille , j’ai l’impression que nous les jeunes avons oublié de singer le vieux monde de l’art, misogyne, raciste, transphobe, vertical et cloisonné et qu’ensemble, sans pour autant être les meilleurs copains et parfois sans se connaître ni se concerter, nous participons à la construction du monde demain. Appelons un chat un chat, cette avant-garde Marseillaise est à l’image d’une jeune génération (concernant tous les domaines d’activité) pour qui l’éthique, la justesse, l’horizontalité, la solidarité et l’honnêteté intellectuelle sont des piliers partagés qui forment une nouvelle pression sociale assez bénéfique à mon goût, soit vous êtes avec nous, soit vous êtes dépassés. Peut-on citer une autre ville semblable ? La question maintenant n’est plus de se demander pourquoi autant d’artistes sont attirés par Marseille, mais plutôt comment faire pour les garder, sinon ils n’auront fait que participer malgré eux à la gentrification de la ville.

Vue exposition Gillian Brett et Antoine Nessi : I have no face but you can trust me, SCEP galerie, photo Nassimo Berthommé

INFOS PRATIQUES :
I have no face but you can trust me
Gillian Brett et Antoine Nessi
Galerie de la SCEP
102 rue Perrin Solliers
13006 Marseille
visites professionnelles sur rendez-vous
Galerie de la SCEP @galerie_de_la_scep • Instagram …
PAC – Galerie de la Scep
Site de Diego Bustamante : actualités et expositions
https://www.diegobustamante.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

You may also like

En voir plus dans Interview Art Contemporain