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Sur les traces de Gerda Taro, un documentaire hommage à une pionnière singulière

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Demain soir, vendredi 25 juin, France 5 diffuser le documentaire de Camille Ménager sur l’une des pionnières du photojournalisme, Gerda Taro – de son vrai nom Gerta Pohorylle. Pionnière mais également victime du processus d’invisibilisation des femmes photographes. Son nom, disparu de la mémoire collective, a récemment resurgi des limbes de l’oubli et ce documentaire participe à lever le voile sur cette photographe trop tôt disparue, dans les tourments de la guerre d’Espagne.

A une époque où s’inventait le photojournalisme, Gerda Taro photographiait la tragédie de la guerre d’Espagne. Elle créait une œuvre pionnière, avant de perdre la vie, à la veille de ses 27 ans.
De l’Allemagne hitlérienne, aux combats désespérés de la République Espagnole, en passant par la bohème parisienne de l’entre-deux-guerres, sa courte vie a traversé toute la grande histoire de la première partie du XXe siècle.
Ses photographies expriment la folie des hommes, la douleur de la guerre mais aussi l’idéal de fraternité et l’espoir d’un monde meilleur.
Son nom, disparu de la mémoire collective, a récemment resurgi des limbes de l’oubli…

Note d’intention de la réalisatrice, Camille Ménager

Il faut croire que Gerda Taro a ce pouvoir posthume de fasciner celles et ceux qui croisent sa route. Tout au moins aura-t-elle inspiré nombre d’écrivains contemporains. C’est un roman qui, il y a quelques années, a pour la première fois attiré mon attention sur l’histoire de cette jeune Allemande d’origine polonaise, poussée à l’exil par la montée du nazisme, réfugiée en France, et morte en Espagne. Tous les ingrédients étaient en effet réunis pour faire de la jeune femme une héroïne à la lisière du personnage de fiction. Belle, pauvre, intrépide. Une vie courte mais aussi intense que tragique. Le livre, écrit par Susana Fortes, s’appelle « En attendant Robert Capa ». Gerda Taro est effectivement indissociable du mythique photoreporter dont elle partagea la vie. L’absence de son nom dans ce titre, paradigme de sa disparition dans l’historiographie, fut le germe d’une histoire que j’allais bientôt vouloir écrire à mon tour. Car après avoir consacré mon dernier film à une grande histoire collective des femmes sous l’angle de la maternité (Tu seras mère, ma fille, 90′, Brotherfilms), c’est cette fois vers le destin individuel d’une femme hors-norme que je choissisais de me tourner, en m’intéressant, dans sa vie et dans son oeuvre, aux éléments qui font de Gerda Taro une femme de notre temps.

« Gerda Taro a subi le plus cruel destin que puissent connaître les ombres : celui de ne même pas être sa propre ombre, mais celle d’un autre » : dans un ouvrage qu’il lui avait consacré, François Maspero soulignait ainsi la double tragédie qui a frappé Gerda Taro : sa mort précoce, et son oubli, peu après, dans le sillage de la célébrité de Robert Capa.

Il a fallu, pour que son nom et son importance émergent, que surgisse d’une armoire oubliée, il y a une dizaine d’années, la « valise mexicaine ». Un ensemble de boîtes contenant environ 4500 négatifs signés de Robert Capa, David Seymour (Chim), et Gerda Taro. Les deux premiers noms sont alors bien connus. Le dernier, très peu. Environ un tiers des négatifs lui sont pourtant attribués. Lui consacrer un film aujourd’hui me semble d’autant plus nécessaire que toute la force de son œuvre se révèle finalement depuis peu : atemporelle, elle raconte avec acuité les désastres causés par la guerre et l’engagement d’une jeunesse farouchement indignée.

À ma volonté d’exhumer son travail, s’est conjugué l’attrait pour la romantique histoire d’amour de ces deux réfugiés fuyant le nazisme menaçant. Et sa fin doublement tragique : la mort de Gerda Taro sur le front espagnol, celle d’un Robert Capa inconsolable des années plus tard, dans les mêmes conditions.

Pour autant, je souhaitais m’émanciper de l’exercice proprement biographique, en cherchant dans le parcours de Gerda Taro les éléments qui éclairent notre époque contemporaine. Dans cette perspective, plusieurs interrogations ont traversé l’écriture du récit : comment une photographe si jeune et peu expérimentée a su créer une œuvre si intime, et en même temps si universelle, racontant avec force la mythologie de la guerre, immémoriale, séculaire ? Une oeuvre si proche de l’individu et en même temps reflétant avec force le collectif ?

Lorsque l’on essaie de retracer sa vie, en rassemblant ses photographies, les lettres de ses proches, les parutions de ses clichés dans la presse, se dessine une femme libre, courageuse, ambivalente aussi, cherchant la lumière et le regard des autres… Au café comme au front, sa présence ne laisse personne indifférent. Indépendante et désinvolte, elle vivait sa vie très librement, au mépris des conventions sociales de son temps.
Les quelques photographies qui existent d’elle montrent une jeune femme aux traits fins, aux cheveux courts, au visage souriant parfois, sérieux souvent. On y devine la farouche détermination dont elle a fait preuve pour rapporter des photos toujours au plus près du danger, jusqu’à sa disparition.

Ce film tente de lui redonner vie. Redonner vie à une ombre, en dressant un portrait non-linéaire de cette flamboyante figure des premières heures du photojournalisme moderne. Une vie exceptionnelle à bien des égards, car si Gerda Taro n’est pas la seule femme photographe de l’époque, la pratique de la photographie est alors encore le fait de femmes d’exception.

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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