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Pour sa deuxième carte blanche, notre invitée de la semaine, la photographe plasticienne et co-fondatrice des Ēditions de l’ēpair, Soraya Hocine, partage avec nous la recherche autour de la création contemporaine et en particulier l’image photographique à travers les médias de diffusion numériques tels que les réseaux sociaux que mène Sandy Berthomieu. Entre recherche en sciences humaines et démarche artistique, elle interroge le rapport de l’image sur ces canaux de diffusion.

Ma rencontre avec Sandy Berthomieu s’est faite lors d’une interview, mais s’est véritablement concrétisée lors de notre collaboration pour l’ouvrage « Méta(mor)phoses ». Depuis nous avons cofondées les éditions de l’épair.

Depuis quelques années, Sandy Berthomieu mène un travail de recherche autour de la création contemporaine et en particulier l’image photographique à travers les médias de diffusion numériques tels que les réseaux sociaux (Facebook et Instagram). Entre recherche en science humaine et démarche artistique, elle interroge le rapport de l’image sur ces canaux de diffusion. Son sujet de doctorat soulève de multiples questionnements sur la représentation, sur l’identité, sur la création sur ces réseaux mais aussi sur la réception de ces images.

Un sujet dense qui au départ l’emmène à se concentrer sur les photographies de profil postées par les internautes de la plateforme Facebook. Elle analyse scrupuleusement, décortique, exploite l’outil « social » afin d’en saisir et de comprendre les rouages, les mécanismes de communication et de représentation de soi.
Puis, en questionnant le portrait, autoportrait et selfie, elle oriente en partie son analyse vers les logiciels de reconnaissance faciale. Cette intelligence artificielle capable d’analyser le contenu d’une image afin de se rapprocher, voir dépasser les capacités humaines. Cette vision par ordinateur en plein développement et perfectionnement permet à un smartphone un dévérouillage biométrique, à un appareil photo de détecter les visages pour améliorer la netteté, à l’industrie automobile d’améliorer la sécurité… Sur les réseaux sociaux cette technologie permet notamment d’aider à l’identification d’un ami sur une image ou encore à détecter une usurpation d’identité sur un faux-profil.

En 2015, Facebook relance ses recherches sur la reconnaissance faciale, avec le programme DeepFace (source plateforme facebook)

Le « merveilleux » outil social Facebook ainsi que d’autres réseaux sont aujourd’hui quasi indispensable que ce soit pour une communication privée ou professionnelle. Nous les avons invités dans nos intérieurs, dans nos quotidiens, parfois dans notre intimité, cela rappelle le culte de l’adoration. Ce qui frappe d’entrée avec l’outil de reconnaissance faciale est la question de notre propre image, Nous appartient-elle encore ? La question de la vie privée serait-elle difficile à maintenir ? Si l’on en juge l’expérience du photographe Egor Tsvetkov intitulé « Your face is big data » ; pour cette œuvre il a couplé de simple photographie d’anonyme avec une application de reconnaissance faciale, ce qui lui a permis de découvrir une partie de la vie privée de ces personnes par simple outil informatique (âge, profession, nom, hobbies, ville d’habitation, etc.).
Comme le convoque Sandy Berthomieu, le visage est le lieu où se joue la rencontre avec l’autre, c’est aussi l’une des parties du corps admettant l’identité. A travers les photos de profil notamment, le visage est mis en avant, il est nu, sans défense, vulnérable dans son rapport aux autres et au monde de surcroit dans son rapport aux interfaces numériques (Emmanuel Levinas, Totalité et infini, 1961).

Depuis une dizaine d’années, les réseaux sociaux numériques, particulièrement Facebook, utilisent des logiciels de reconnaissance d’images pour analyser les contenus visuels, ceci pour diverses raisons (valider un contenu avant publication par exemple).
Comment le visage vulnérable aux regards et à la vision par ordinateur, image de notre identité, peut-il se protéger face à la reconnaissance faciale automatique ? Quel dispositif artistique et/ou photographique peut déjouer cette surveillance automatisée ?

En matière de création, elle s’appuie sur le travail de l’artiste américain Adam Harvey. Il questionne les enjeux de la surveillance particulièrement autour du visage comme support de camouflage, la création artistique devient alors un acte de résistance aux logiciels de reconnaissance faciale. Cet artiste-chercheur détourne les outils de reconnaissance faciale par le biais de « masque camouflage ». Maquillage tribal, cheveux de biais, capuche anti-drones et ligne de vêtements occultant pour échapper aux caméras, il développe une gamme d’objets pouvant échapper à la surveillance. Par exemple, le « CV Dazzle » qui est une création de camouflage du visage dont les principes peuvent être déclinés et appropriés par chacun.

CV Dazzle Look 2. For DIS Magazine Creative direction by Lauren Boyle and Marco Roso. Model: Irina. 2010. Hair by Pia Vivas. Photo: ©Adam Harvey

Anti-Drone Hoodie. Photo: © Adam Harvey

Cette thématique soulève de nombreuses réflexions sur son propre usage des réseaux sociaux. Droit privé, usurpation, anonymat dans l’espace public, le rôle du regardeur (voyeur) ; cette recherche aborde aussi les enjeux de contrôle de l’image ainsi que la représentation de soi qui s’adapte et se multiplie suivant la communication souhaitée. Les réseaux sociaux sont à la fois fascinants et inquiétant dans le pouvoir sur l’image qu’ils ont, vecteur de communication, de communauté, de diffusion et de découverte mais aussi source de standardisation, de contrôle et de censure.

Dans le cadre de ses recherches, Sandy Berthomieu va prochainement lancer un formulaire de collecte sur la thématique de la censure de photographies publiées sur les réseaux sociaux, que l’image soit une œuvre d’art ou non. Le but sera de mettre en lumière cette expérience par les utilisateurs (vécu, compréhension des critères, contournements éventuels, etc.). En effet, dans son ambivalence les réseaux sociaux peuvent-être à la fois un formidable outil de création collaboratif ou performatif et d’autre part un outil de censure déterminée entre autres par des « standards de communautés ».

Bio
Sandy Berthomieu est doctorante en esthétique à l’université Paul Valéry, Montpellier 3 au sein du laboratoire CRISES. Elle soutiendra sa thèse de doctorat en 2022.
Par ailleurs, elle accompagne les artistes dans leurs projets culturels. Elle est critique d’art et collabore pour la presse culturelle. En 2017, elle cofonde Les Editions de l’épair, lui permettant en parallèle de son thème de recherche et théorie sur l’image numérique de retrouver la matérialité à travers le livre.

Site internet
Egor Tsvetkov : https://cargocollective.com/egortsvetkov
Adam Harvey : https://ahprojects.com/
https://www.theses.fr/s142281

La Rédaction
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