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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, Thierry Merré — directeur artistique de la galerie HASY — lance un appel aux éditeurs au sujet de la série « Prologues » de Gwenola Furic. Ce travail de « carnet » n’existe aujourd’hui que sous la forme de planches originales, mais il mériterait de voir le jour sous la forme d’un ouvrage. Cette série a été exposée à la galerie en 2021, après avoir été présentée à la galerie Confluence de Nantes (devenue aujourd’hui le Centre Claude Cahun).

Prologues est un travail réalisé entre 1997 et 2000. En 1997, je finis mes études à l’école de photo d’Arles. J’utilise toutes sortes d’appareils photographiques, avec une prédilection pour les moins techniques, ceux qui vont produire le plus d’accidents et de surprises, comme les vieux Brownie Flash, les appareils à soufflets, à cartouches de tout petit format.
Chez moi, j’ai un mur empli de photographies, de morceaux d’images et de textes, collés avec des petits bouts de scotch. Ce sont des notes, des toutes petites choses qui se sont mises en place au fil des jours, sans intention première. Lorsque je dois déménager pour rentrer à Brest, je ne peux me résoudre à détruire cette accumulation in situ, et je les transpose dans un cahier à spirale, selon une organisation assez aléatoire. Je continue ensuite ce cahier, exutoire à la difficulté de se retrouver hors du paradis qu’était cette école, sans plus de moyens pour obtenir des images autres que celles, en noir et blanc, tirées dans mon petit labo de fortune. Une fois le cahier rempli, cette série est bouclée.

© Gwenola Furic

© Gwenola Furic

Presque 20 ans après, je ressors cet ensemble qui dormait dans une boîte. Je l’assume toujours. Aujourd’hui, au-delà des fragments de vie, il parle aussi d’une époque révolue, où la pratique du tirage nous faisait produire des bouts d’essai avant le tirage final, petites images partielles et imparfaites, mais que je ne me résolvais jamais à jeter. Il parle aussi de voyages entre la Bretagne et la Méditerranée, d’amis, de moments anodins mais précieux aujourd’hui, à l’aune du temps passé.
Merci à Xavier Martel, historien de la photographie, enseignant, commissaire d’exposition, photographe, qui m’a donné confiance en soutenant ce travail, et qui m’en a confié sa lecture, au fil de nos discussions par-delà les terres et les mers.

Vue de l’exposition à la Galerie HASY

Texte de Xavier Martel :

Voyages entre deux mers, d’une plage à l’autre, plage entre les plages, sur les chemins et à côté. Prologues en forme de fragments d’une mémoire des pas, des trajets, des paysages défilants du train ; et dont le fil des pensées sont ces mots, typographiés, inscription d’une machine à écrire qui chercherait «le milieu de l’Atlantique» où «s’arrête la page». Ce fil de pensées en forme de bandelettes, tenues, maintenues, retenues, par de petits bouts de papier adhésif jaune. Bandelettes en forme de légendes et, parfois, rappelant certains voyages entre les îles – Avant la lettre. Un peu plus loin, un peu avant, c’est bien Philémon que l’on voit passer et probablement Anatole, son âne compagnon, c’est pas bien loin.

© Gwenola Furic

© Gwenola Furic

Au fil des pages, au fil des jours et peut-être d’un jour pas si lointain, mais aussi fort ancien, l’empereur Kublai Khan dirait (aurait dit) (dira) à Marco Polo «Moi aussi, je veux reconstruire en direction de la côte la ville au nom du songe»… exemple parfait de fragment mémoriel relié à la relecture d’une phrase apocryphe échappée des plages, des pages des brouillons des Villes Invisibles. Mémoire d’un fragment que Gwenola Furic aurait pu reconstruire, en rendant visite, sur ce littoral, à un Palomar.

Voyages oniriques, incitations à d’autres voyages, histoires racontées, entre deux côtes – de l’azur à l’émeraude… de l’argent à l’opale – que l’on reconnaît, où l’on se reconnaît, où l’on se retrouve, «dans l’tourbillon de la vie». Au fil des jours, au fil des pages, petits dédales de photographies et de textes, entremêlées, Prologues en découpis d’une vie, d’une histoire, d’histoires d’une vie que Gwenola Furic reconstruit, remodèle pour son plaisir, pour notre plaisir, pour nos désirs.

– Xavier Martel Sanda, décembre 2018

Ce travail a été présenté à la galerie Confluence (Nantes) du 2 février au 30 mars 2019, à la galerie Hasy (Le Pouliguen) du 29 mai au 27 juin 2021 et à la galerie pédagogique du lycée Grand-Air de La Baule du 17 janvier au 5 février 2022.
Ecoutez «Les cahiers à spirale de Gwenola Furic», interview par Brigitte Patient (Regardez Voir, France Inter, 2019, 4 mn)

VUES DE L’EXPOSITION
https://www.hasy.fr/passes/prologues

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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