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Durant six mois, le monde est à Venise. Enfin quel monde ?
Les artistes révèlent une vision noire du monde que nous habitons. Perdu, désillusionné, détruit, le monde n’est bientôt plus. La Terre, notre maison-mère rejetterait ses enfants ingrats, irrespectueux, se croyant omnipotents. Les artistes font oracle : « les races mortelles se succèdent, croissent et périssent dans la démesure¹ ». Notre commun est voué à disparaître, damné sans éternité.
Le message nous est rabâché tous les jours, cependant le découvrir à l’échelle de la Biennale où 58 pays sont présents, fait quelque peu froid dans le dos. À parcourir l’Arsenale (l’un des sites de la Biennale), on plonge dans notre destinée funèbre sans retour possible, comme un long train fantôme ironique et macabre dont même le rire jaune peine à s’esquisser.

Le Pavillon français. Biennale de Venise, avril 2022 © S. Bella Zarhloul

L’intérêt de rappeler ce « fait d’arme », à reformuler ces litanies médiatiques, que dit de plus l’artiste ? Est-ce une excuse pour lui-même, de ne plus réussir à croire qu’autre chose est possible, de renoncer peut-être à sa position messianique parfois avancée, de se réclamer du plus commun des hommes? Refuser l’exceptionnelle destinée en laquelle nous plaçons les espoirs d’un monde beau.
Signe des temps, la photographie est très peu présente. Leçon d’humilité. Notre chère et tant aimée camera obscura n’est plus assez grande pour absorber toute la misère du monde. Petite (en comparaison d’oeuvres en volume gigantesques), trop réaliste? Peut-être la raison est à chercher dans la prolifération banalisée de la photographie, le médium se perdrait à dire. Sans oublier sa prime fonction de rendre compte d’une réalité. La photographie de presse et documentaire recense déjà les dommages causés à la Terre sans émouvoir au long cours, alors pourquoi s’en servir? Trop réaliste, trop tautologique, trop utilisée… elle parlerait depuis un état zéro, une réalité brute, scientifique (action de la lumière), pas assez sensible. Trop et pas réelle, l’image n’est plus qu’un miroir au reflet d’un homme plus très beau. Un rectangle fixe trop froid pour une terre trop chaude.
Cette terre sacrée à laquelle les artistes rendent hommage, beaucoup l’utilisent comme matière première pour créer. A travers leurs créations, ils honorent et rappellent sa fragilité, sa primauté et son déclin. Pour dénoncer fondamentalement faut-il utiliser le même langage ? La terre transformée est toutefois parfois méconnaissable.
Voir ici un retour à la naissance de l’art façonné (les déesses de la fertilité notamment) dans la terre par les premiers hommes et ainsi boucler la boucle, n’est pas suffisant. Les formes que prend la terre sont variées : anthropomorphique, gigantesque, monstrueuse ou encore rejet non identifiable, à l’instar d’une mère rendue monstrueuse par ses enfants terribles.
La mère nourricière allégoriquement convoquée – à travers le titre de la Biennale The Milk of Dreams, emprunté à Leonora Carrington – a laissé la place à un monstre telle Médée without milk or dream. Le constat semble sans appel. Les artistes ne proposent pas d’alternative, de rêve commun, d’utopie, notre mère vengeresse nous achèvera et nous privera de son lait.
Alors messie ou pas, le désarroi de l’artiste est grand. L’artiste est là pour nous hisser, nous aider à grandir, à voir et à devenir un meilleur humain. S’il n’est plus là pour nous guider, nous sommes orphelins.

Au milieu du chaos, quelques lumières cependant cherchent à nous guider. Le pavillon français est de celles-là. Pour une fois que les français ne sont pas déprimants, cela mérite attention.
Zineb Sedira tresse un roman vidéo nostalgique. Elle y mêle son histoire personnelle vécue entre l’Algérie, la France et l’Angleterre et l’Histoire. Vu d’ici, entre les deux tours, le pavillon français tel un monument d’une splendeur passée a des allures de douce France. Une France multiculturelle, une France que nous délaissons chaque jour un peu plus sans s’en apercevoir. Alors que les partis politiques se renomment ironiquement et promettent une Renaissance à l’Horizons.
Qui de nous tous pour nous sauver?

Que nous reste-t-il ? Notre mauvaise conscience et des jours peuplés de cauchemars.
Je préfère nous imaginer danser jusqu’à la fin des temps et s’effacer en image couleur comme Zineb Sedira.

https://www.labiennale.org/

¹ Barbara Cassin

Photo de couverture : Exposition de Zineb Sedira, Pavillon Français Biennale de Venise

Selma Bella Zarhloul
Après une double formation en Information et Communication à la Sorbonne et histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, elle choisit de se consacrer à la photographie. D’abord, en tant que praticienne afin de bien comprendre et maîtriser les spécificités du médium pour pouvoir s’exprimer avec. Parallèlement, en 2001, elle rejoint la Donation Henri Lartigue, sous tutelle du Ministère français de la Culture. Pendant plus de 10 ans, elle contribue au développement, assurant la production et la distribution de la collection à travers le monde. En 2017, elle commence à travailler en tant qu’ indépendante endossant plusieurs casquettes : commissaire d’exposition, critique d’art et cheffe de projet spécialisée dans la photographie contemporaine. Entre autres, elle assure le rôle d’administratrice générale du Festival Voies Off à Arles en 2018-2019. En 2021, sa passion pour la photographie contemporaine la pousse à ouvrir La Volante à Arles, une galerie d’art dédiée à la photographie et autres arts.

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