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Cette 2ème édition Around Video Art fair qui rassemblait 50 artistes et 37 galeries internationales (contre 27 la 1ère éditon) a franchi un cap, offrant un week-end très intense autour d’une programmation en résonnance qui met en avant des institutions prestigieuses telles que le Fresnoy, le Louvre Lens ou le Frac Grand Large (Dunkerque) au moment même de la cloture de Lille 3000. Une région carrefour qui incite à regarder du côté de la Belgique, d’Amsterdam ou de Londres, ce que traduisait bien la liste des participants. On ne saluera jamais assez l’engagement de Renato Casciani, collectionneur intrépide d’art video qui a su avec sa femme Catherine, fédérer toute une communauté d’acteurs et de passionnés.

Il ouvrait de plus une exposition à l’espace 3cinq (au sein du Moxy hôtel) et proposait une visite d’un artist -run space à Roubaix, sur le chemin vers le Fresnoy, restant à l’écoute de l’émergence. L’ambiance de l’hôtel favorise immédiatement des rencontres plus directes avec des collectionneurs ou galeristes parfois distants. Une convivialité simple qui fait du bien dans un monde qualifé souvent de l’entre soi et due à la personnalité très complémentaire et charismatique du couple des fondateurs et d’Haily Grenet, directrice.

Des pointures internationales et des femmes artistes majoritaires :

Marijke de Roover – Arcade gallery (Brussels-Londres) – 1ère participation

Marijke De Roover do you believe in life after love ? 2022HD Video 00:23:44 courtesy the artist & Arcade

Marijke De Roover do you believe in life after love ? 2022HD Video 00:23:44 courtesy the artist & Arcade

Cette vidéo a été créée durant le confinement dans une réelle économie de moyens, juste dans son lit avec son téléphone ! comme le précise Christian Mooney, le directeur. L’artiste et performeuse belge, diplômée de KASK School of Arts, Ghent, écrit tous les scénarios et conçoit ses personnages. Elle a été présentée au Centre Pompidou dans le cadre du festival Move 2021. Elle dissèque nos autoreprésentations et dépendances affectives à l’ère du narcissisme des réseaux sociaux dans des scénettes drôles et corrosives comme le résume bien le titre de sa dernière exposition : « Do you believe in life after love ? «

Céline Cléron – Galerie Papillon – 1ère participation

Oeuvre réalisée dans le nord de la Suède à l’invitation du centre d’art SARA kulturhus à Skelleftea. La video filmée sur un lac gelé oscille entre la tension et la plénitude. L’artiste suit la ligne de démarcation naturelle de la glace dans un suspens grandissant. Jusqu’à la chute ? Marion Papillon, directrice qui défend particulièrement l’art vidéo, se félicite de cette initiative et ce format autour d’un marché qui mérite d’être plus soutenu. Sa prochaine foire sera Paris + et je reviendrai sur sa sélection.

Trisha Baga – Société (Berlin) –1ère participation

L’artiste américaine propose une juxtaposition d’image assez humouristique intitutlée 1620, date où les pélerins ont foulé le sol des Etats-Unis et inscrit sur un rocher The Plymouth Rock, devenu le symbole de la colonisation européenne. Elle remet en question cette mythologie avec cette double diffusion films + images à partir de scènes de théâtre jouées par de pseudo généticiens qui retournent dans le passé et refont l’histoire autour de l’Adn. L’artiste étant philippine, une ancienne colonie, vivant aux Etats-Unis, elle remet en question cette notion de filiation et d’identité.

Josefa Antjam – Nicoletti contemporary (Londres) – 1ère participation

Disclosion est un travail très récent, l’artiste partant toujours de la vidéo comme le souligne le directeur de la galerie. Le projet a duré un an et est co-produit par le Palais de Tokyo dans le prolongement de la série de performances conçues pour le programme de la Manutention « Aquatic invasion ». Son avatar Persona, présent dans tous ses films, est à la recherche des vérité enfoudies et cachées liées aux luttes d’indépendances du Cameroun dont a pris part son grand-père assassiné par l’armée française en 1960. Elle mêle alors la source documentaire à la spéculation interstellaire et aquatique. Le film ouvre sur une méditation dans l’espace autour d’éléments marins qui flottent comme des météorites jusqu’au moment de l’arrivée dans une grotte où des mémoires se matérialisent, au fur et à mesure de la liquéfaction des corps.

Des pratiques archaïques du medium :

Emilija Škarnulytė – The Film Gallery (Paris) – 1ère participation

Coup de coeur pour l’artiste et réalisatrice lituanienne Emilija Škarnulytė

La galerie, fondée par Pip Chodorov se donne pour mission la promotion du film expérimental autour de la matérialité de la pellicule, élargie à de la performance ou l’installation vidéo. Un positionnement contre l’obsolescence. L’artiste née en 1987 à Vilnius, sculptrice au départ, revendique une approche pluridisciplinaire et utilise aussi bien le Super 8 que la 3D. Elle collecte la parole et les témoignanges des ainés, dont sa grand-mère devenue aveugle suite aux conséquences de Tchernobyl. Dans ce film elle se penche sur l’architecte lituanienne Alexandra Kasuba ayant émigré à New York, dont elle anime et filme les premiers dessins préparatoires datant des années 1980 dans le désert où ont eu lieu les premiers essais atomiques en lien avec ses recherches sur la mystique de l’âge nucléaire. Ce montage à partir de films pédagogiques ukrainiens qui valorisaient la nouvelle industrie du plastique en Europe de l’Est, qui privés de sons, atteignent une dimension quasi méditative. La transmission intergénérationnelle de même que la matérialité de l’image sont au coeur de sa pratique, comme me le résume avec brio Nina Le Cocq, directrice de la galerie.

Des artistes historiques :

Lois Weinberger – Salle Principale 1ère participation

L’artiste ayant préalisé peu de videos a fait un choix très radical. Datura (1996) réalisée en noir et blanc, traite de la mort car cette fleur est un poison qui peut être mortel. La seconde vidéo qui date de 2011 en couleur cette fois, dans un rapport plus sensuel et contemplatif suggère la vie. Il a toujours recours à des plantes rudérales qui investissent des friches, des lieux délaissés par l’homme. Toute son approche est engagée comme l’ensemble des artistes que je défends, résume Maryline Brustolin, directrice avec conviction.

Des prix du Jury assez « mainstream »

Le verdict est prononcé lors de la soirée de gala au Fresnoy :

Around Video Prize :
Ellen de Bruijne x Pauline Curnier Jardin
Michel Rein x Enrique Ramirez
Valeria Cetraro x Laura Gozlan

NOWWHERE Prize :
AKINCI x Amelie Benajo
Archiraar x Pierre Libaert

Centre Wallonie -Bruxelles :
Marguerite Milin x Sarah Trouche
Galerie Sono x Eugénie Touzé

Mention Spéciale :
Nadja Villenne x Jacques Lizène

Līga Spunde project There’s No Harm in Any Blessings video extract Photo : Līga Spunde Kogo gallery

Cette internationalisation et vocation de tremplin revendiquées par la foire, ne se reflète pas dans tous les choix du Jury. Il est regrettable que les galeries étrangères pour qui cela est plus compliqué de participer à la foire dans le contexte d’incertitude qui est le nôtre, n’aient pas été plus récompensées, notamment la galerie estonienne Kogo avec l’artiste lettone Liga Spunde. L’artiste Enrique Ramirez qui fait une démarche de déconstruction de la mémoire sous Pinochet et de décolonisation des imaginaires, a bénéficié d’une exposition au Palais de Tokyo et a été l’un des résidents de la Fondation Pinault à Lens, suivie d’une exposition au Fresnoy. Pauline Curnier Jardin de son côté a été exposée au Crac Occitanie, à Manifesta Marseille ou à Lafayette Anticipations, même si elle fait preuve de plus d’irrévérence et de créativité à mon sens. De même avec Lara Gozlan représentée par Valeria Cetraro et diplômée du Fresnoy, qui mêle magie et de purification à l’ère des réseaux sociaux sur fond de New Age post-apocalyptique. Le personnage de Mum, double de l’artiste, se livre à la masturbation sur fond de mythologies païennes liées à la puissance face à une sorte de cloaque repoussant.

Laura Gozlan, Around Video Prize courtesy the artist & Valeria Cetraro galerie

Les choix de Renato et Catherine Casciani, NOWHERE PRIZE révèlent a contrario, une vraie audace autour notamment du photographe belge Pierre Libaert découvert au festival Circulation(s) qui mêle pratiques gays et art de la mascarade ou Sarah Trouche dont la performance réalisée nue sur l’archipel novégien de Svalbard (Arctique) traduit notre impuissance face à l’urgence climatique dans le registre de l’absurde. Quant à Melanie Bonajo qui représente les Pays Bas à la Biennale de Venise j’avais été très séduite par son approche éco-féministe dans cette église baroque della Misericordia dans une ambiance gender fluid et care spirit.

Stéphanie Pécourt, la très dynamique directrice du Centre Wallonie-Bruxelles qui bénéficiat d’une carte blanche, a justement porté son attention sur Eugénie Touzé – Sono galerie- qui filme des moments à peine perceptibes, qui demandent de la patience, dans des jeux de flou et de vertige. Comme dans la photographie pictorialiste qui cherchait à imiter la peinture à ses débuts.

Pour conclure, il en ressort une grande typologie de videos et de sujets avec des récurrences autour des préoccupations climatiques, du genre et de l’identité et de la matérialité de l’image. Chaque responsable de galerie a eu à coeur de me transmettre le meilleur de l’artiste et sa démarche avec une réelle écoute et disponibilité, nos échanges se prolongeant au bar de l’hôtel ou dans les navettes prévues pour le Vip programme.

A l’année prochaine !

AROUND VIDEO | ART FAIR
Evénement terminé
Hôtel Moxy Lille City
around-video.com

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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