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Reviens demain, Manon Gardelle brise le silence sur l’IVG

Temps de lecture estimé : 6mins

Cette semaine, dans notre rubrique consacrée aux photographes, nous vous présentons un témoignage précieux de Manon Gardelle. Dans « Reviens demain », elle brise les tabous de l’IVG. Au moment même où le sénat vient de rejeter en commission, mercredi 12 octobre, une proposition pour inscrire le droit à l’IVG et à la contraception dans la Constitution, portée par la sénatrice Mélanie Vogel, ce travail photographique vise à rappeler l’épreuve d’une interruption volontaire de grossesse. En 2016, 211 900 IVG ont été pratiquées en France, et l’une d’entre elle était celle de Manon…

Notice d’œuvre

« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
– Extrait du discours de Simone Veil du 26 novembre 1974 à l’Assemblée nationale. Projet de loi visant à dépénaliser l’avortement et légaliser son encadrement.

Loi est appliquée début 1975, reconduite en 1979, puis définitivement légalisée en 1980. Le droit à l’IVG est alors inscrit dans la loi, mais pas dans la constitution.

Avril 2015, nouvelle avancée. L’Assemblée Nationale modifie le texte. Le délai de réflexion imposé aux femmes souhaitant une interruption volontaire de grossesse est raccourci. De 7 jours, il est ramené à 48 heures avec effet début de l’année 2017.

« Une femme qui a pris sa décision n’a pas besoin de délai » explique alors Marisol Touraine, la ministre de la Santé, devant les députés.
Cette série photographique est le témoignage d’un couple, Manon et Vincent, sur un choix discuté, partagé et irréversible : la mise en place d’une procédure d’avortement et les 7 jours de réflexion obligatoire fixés par la loi française à l’époque des faits.

Ce récit d’expérience évoque les émotions qui ont été les leurs. Celles d’une femme. Et celles d’un homme qui a pris toute sa part dans la décision et qui l’assume.

La narration cherche également à identifier les différents facteurs culturels, éducatifs et contextuels pouvant expliquer pourquoi, après avoir fait ce choix de l’avortement, les couples conservent souvent un souvenir si lourd et si chargé en émotions négatives.

Sentiment de culpabilité ? Poids du regard des autres ? Religion ? Croyances et traditions ? Tout se mêle pour brouiller les pistes et sans cesse nous égarer aux frontières du compréhensible et de l’incompréhensible.

Texte de Patrice Biancone

En 2016, 211 900 IVG ont été pratiquées en France : L’une d’entre elle était la mienne…

 

A l’époque, la loi incluait un délai de 7 jours de réflexion avant l’intervention chirurgicale. Le législateur offrait ainsi « un temps » au couple pour faire la part des choses ; et sans le formuler, aux interrogations pour défier les certitudes.

De notre côté, nous avions le sentiment que cette disposition de la loi visait surtout à ébranler la sérénité de notre décision. Elle nous paraissait dangereuse car elle véhiculait, sans la revendiquer, l’idée du sacré de la procréation et de son incontournable respect.

Mon corps lui-même était entré en rébellion. Il ne m’obéissait plus. Par instant, je le percevais même comme un encombrant étranger victime des désordres bien connus liés à son état. Douleurs au niveau de la poitrine, nausées, vomissements. Ce n’était plus moi, c’était lui. Et qu’avais-je de commun avec cet autre si semblable et si différent ? Cet autre capable de me perturber l’esprit au point d’y introduire le doute ? De s’emparer de moi puis de me déserter et s’évanouir pour me laisser reprendre le contrôle et toute mon assurance.

La décision nous appartenait. À Vincent, à moi. Nous étions tous deux mobilisés, investis et solidaires. Nous ne souhaitions voir personne. Nous avions le sentiment que nous isoler c’était nous rapprocher, créer une intimité sans équivalent. Communier…

Moment de pause dans notre vie. Un pour tous. Et tous pour un. C’était possible puisque le pluriel commence à deux. Vincent et Manon. Manon et Vincent contre tous les manichéismes, les jugements et les impuissances tues ou exprimées.

Une femme.

Un homme.

Une femme qui subit l’intervention.

Un homme qui avoue : « si j’avais pu, j’aurais pris la responsabilité d’avorter à ta place ».

Processus de création

La réalisation et l’écriture de cette série photographique a débuté en 2017. Il s’agissait pour nous de dépasser l’expérience traumatisante d’un avortement.
Un couple, Manon et Vincent, mais un seul choix. Les deux, femme et homme, pareillement affectés, à la recherche d’un possible effet cathartique.

Continuités et ruptures. Les hauts, les bas.
Comme une arythmie, trop souvent.
J’ai longtemps et volontairement mis de côté cette série, ne pouvant plus produire, régulièrement assaillie par un sentiment de culpabilité qui entravait mon travail.

En 2022, les encouragements de la photographe française Margot Wallard sont décisifs.
Vincent et moi échangeons, tentant de traduire en mots puis en images nos plus intimes ressentis au moment de l’IVG. Nos doutes, tout ce que nous n’avions pas encore dit parce qu’il ne pouvait pas l’être en.

Il y a un temps pour tout. Il y a un temps.

Après une licence en Arts plastiques et en Cinéma, Manon intègre une boîte de production bordelaise en tant que cheffe opératrice et cadreuse sur des courts et moyens métrages de fictions et documentaires, en parallèle à sa pratique photographique d’auteur.
Elle a enrichi son expérience grâce à l’encadrement de photographes comme Oliviero Toscani et Margot Wallard.
Sa dernière série «Prière ignorée», réalisée en 2020, a été publié dans Fisheye, Réponse photo et Photo magazine. Elle a remporté le premier prix du concours «talents à suivre» encadré par Nikon et Wipplay et a pu être exposée à Paris, Bordeaux et Perpignan.
Sa pratique artistique s’inscrit dans une collecte d’informations en amont d’une réalisation, traitant d’un fait d’actualité, d’un état d’esprit sociétal toujours lié à l’intime et à une certaine forme de souffrance. Le choix d’un sujet entre en résonance avec le parcours intime de la photographe. Il est construit au travers d’un témoignage d’une expérience de vie, personnelle ou collective.

https://www.manongardelle.com/
Instagram : @manon_gardel


Vous êtes photographes et vous souhaitez donner de la visibilité et de la résonance à votre travail ? Notre rubrique Portfolio vous est consacrée !

Comment participer ?
Pour soumettre votre travail à la rédaction, il vous suffit d’envoyer à info@9lives-magazine.com

• Une série composée de 10 à 20 images. Vos fichiers doivent être en 72DPI au format JPG avec une taille en pixels entre 1200 et 2000 pixels dans la plus grande partie de l’image ;
• Des légendes (si il y a) ;
• Un texte de présentation de votre série (pas de format maximum ou minimum) ;
• Une courte biographie avec les coordonnées que vous souhaitez rendre public (site web, email, réseaux sociaux…)

 

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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