Temps de lecture estimé : 7mins

Nous terminons notre enquête sur le casse-tête des statuts avec le métier de photojournaliste et évoquer la problématique liée au cumul des statuts. De plus en plus de photographes sont contraints de cumuler les activités pour dégager un revenu suffisant, mais ce n’est pas sans poser des difficultés administratives. Si le rapport Franceschini et les Etats Généraux de la Photographie pointent ces difficultés, quelles mesures concrètes sont mises en place pour faciliter la multiplicité des activités ?

LE PHOTOJOURNALISTE

Si vous êtes photojournaliste et que vous travaillez en commande pour la presse, la loi Cressard de 1974 impose aux employeurs la rémunération en piges salariales, vous faisant bénéficier d’une protection en cas d’accident, de maladie, de retraite ou encore de licenciement… Cette loi reconnaît votre statut de photojournaliste professionnel, que vous bénéficiiez ou non d’une carte de presse. Historiquement, les photographes travaillant pour les journaux et magazines étaient en très grande majorité titulaires d’une carte de presse. Compte tenu des évolutions du marché, de la démocratisation d’Internet et de la non-mise à jour des critères d’obtention de cette carte, le nombre de photographes titulaires a drastiquement chuté, 50 % des revenus devant être perçus en piges pour des titres français pour obtenir la carte. On compte aujourd’hui une petite centaine de photographes indépendants détenteurs de la carte de presse et 200 photographes salariés. Dans les faits, de plus en plus de titres de presse rémunèrent les photographes en notes de droits d’auteur plutôt qu’en piges salariales, plus coûteuses, ce qui est pourtant illégal.

Le photographe amateur, cas particulier

Il peut arriver qu’un amateur soit amené à être rémunéré pour son activité de photographe de manière exceptionnelle. La loi indique qu’au premier euro perçu, il est obligatoire de déclarer et de payer des cotisations sociales, et l’on est imposable. Cela étant dit, il existe une tolérance dans ce genre de cas : il n’y a pas en effet de montant ni de limite quantitative explicite, mais cela doit être un cas marginal. La loi oblige cependant à déclarer les montants perçus à l’administration fiscale en tant que revenus non commerciaux et non professionnels. Si les revenus deviennent réguliers, il conviendra de choisir un statut pour l’activité pratiquée et de le cumuler avec votre statut principal (salarié ou autre) sous peine de poursuites.

Le cumul de statuts

Comme l’analyse le rapport de l’Arcom précédemment cité, les segments du marché sont poreux, et les photographes ne sont plus spécialisés dans un seul secteur d’activité. Ainsi, 80 % des photographes interviennent sur plusieurs segments, et presque 25 % cumulent plusieurs statuts juridiques.
L’enquête nationale des États généraux de la photographie, menée en fin d’année 2021 auprès de presque 550 professionnels et dévoilée lors de la dernière édition des Rencontres d’Arles en juillet 2022, a permis de recueillir leurs témoignages, et parmi les inquiétudes des photographes apparaissent les problèmes liés aux statuts. Une photographe de 38 ans des Pays de la Loire raconte ainsi ses déboires : “Débuter professionnellement dans un pays où les activités photographiques se facturent sous trois ou quatre statuts différents, c’est extrêmement difficile, car au début de sa carrière, on survit en multipliant des activités autour de la photo, parfois très différentes. Personnellement, j’ai été à la fois assistante, formatrice photo, photographe de mariage et autrice de livres sur la photo et de reportages pour les entreprises. J’ai quelquefois dû refuser du travail ou perdu de l’argent à cause de contingences administratives. Par ailleurs, et en conséquence de cette législation, il est très complexe d’avoir des infos claires et précises sur les démarches administratives à effectuer. Les différents services (impôts, Urssaf, commanditaires presse, etc.) se contredisent souvent.”
Des inquiétudes sur le statut qui avaient déjà été exposées dans le cadre du rapport Franceschini commandé par le ministère de la Culture et publié au printemps 2022 (voir Réponses Photo no 350). La simplification d’accès aux droits par les photographes en créant des passerelles entre les différents statuts comptait parmi les mesures initiales du rapport. À ce jour, cette mesure n’a pas encore été mise en oeuvre.

Mais est-ce une mesure suffisante ?

Nombreux sont les photographes qui demandent un statut unique. L’enquête des États généraux de la photographie pointe en effet que la coexistence des différents statuts et des règles qui y sont liées compliquent un métier déjà fragilisé par la précarité et l’isolement. La paupérisation du métier contraint les photographes à élargir leurs activités et à cumuler les statuts, faisant ainsi peser une pression supplémentaire en temps et en gestion administrative.
S’il y a une volonté globale de centraliser et de simplifier les démarches, notamment avec la mise en place au 1er janvier 2023 du Guichet unique (procedures.inpi.fr) pour toutes les déclarations d’activité et les formalités administratives liées à votre entreprise, des problèmes persistent. C’est en particulier le cas lors de la déclaration de plusieurs activités. Si, depuis la dématérialisation, il n’était plus possible d’opter pour le double statut d’artisan et auteur sans contacter directement le Centre de formalités des entreprises pour ajouter une seconde activité, aujourd’hui, sur la nouvelle plateforme, il est envisageable de déclarer par exemple son activité en photographie sociale (artisan) et de cocher la case pour être aussi photographe auteur, sans aucune explication. Stéphanie de Roquefeuil nous en alerte : “Il est fort à parier qu’il va y avoir un grand nombre de gens qui vont cocher les deux cases sans savoir ce que cela implique et se retrouver avec un double statut non souhaité. Nous nous sommes rapprochés avec l’UPP de l’INPI pour savoir, en cas de déclaration de double statut, s’il faut demander une injonction d’activité au sein de la même entreprise ou créer une nouvelle entreprise mais avec le même Siret, mais nous n’avons reçu aucune réponse.
Si cela s’avère aujourd’hui nécessaire, cumuler plusieurs statuts complique la gestion comptable et administrative des photographes. En étant par exemple artisan et auteur, vous devez tenir une comptabilité parallèle, d’un côté pour vos revenus au titre d’artisan en BIC (bénéfices industriels et commerciaux), de l’autre pour toutes vos activités au titre d’auteur en BNC (bénéfices non commerciaux), avec des taux de TVA et une imposition différents. Cette double gestion permet cependant de cumuler vos cotisations pour votre couverture sociale. Ainsi, le montant des indemnités et les trimestres de retraite sont calculés et additionnés pour chacune de vos activités, selon les règles applicables dans chaque domaine (soumis à condition de revenus).
Sur une simplification, voire une fusion des statuts, Thibault Chappe, directeur de la communication de la Fédération française de la photographie et des métiers de l’image, confie : “Plus on simplifie, mieux c’est. La lourdeur administrative prend du temps et nous éloigne de notre but premier, qui est de faire des photos. Si l’on devait fusionner, il y aurait des gagnants et des perdants. Les activités d’auteur et d’artisan sont très différentes, on ne fait pas vraiment le même métier. Je pense que la simplification administrative est nécessaire mais que les différences de nos métiers sont trop importantes pour réussir à avoir un statut unique qui soit cohérent et confortable pour tout le monde.” Même son de cloche pour Matthieu Baudeau, qui ajoute : “À l’UPP, nous sommes plutôt contre la proposition du statut unique. Les auteurs risquent d’être perdants. Autre problème : les photojournalistes ne percevront plus de piges salariales ! Mais il est essentiel de simplifier et d’améliorer les démarches.

À LIRE
Episode 1 : Photographes : Le casse-tête des statuts – Photographe artisan
Episode 2 : Photographes : Le casse-tête des statuts – Photographe auteur 

Rapport de l’Arcom 2022 : www.arcom.fr
Enquête des États généraux de la photographie 2022 : www.adagp.fr/fr/actualites/enquete-etats-generauxphotographie
Rapport Franceschini : www.culture.gouv.fr
Étude du Cereq : www.cereq.fr/la-sante-des-photographes

Article produit et publié dans le numéro #358 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Enquête