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La septième édition du salon Photo Doc va ouvrir ses portes à la Halle des Blancs Manteaux (Paris 4) ce vendredi 12 mai. Cette manifestation consacrée à la photographie documentaire est née le 13 novembre 2015, les événements terroristes auraient pu avoir raison de ce salon naissant, mais 8 ans après Charlotte Flossaut et son équipe ont réussi à traverser toutes les tempêtes. À quelque jours de l’inauguration de ce nouveau salon sous la thématique « L’autoportrait… vers un commun de l’œuvre », nous avons rencontré sa fondatrice Charlotte Flossaut, qui après quelques années difficiles suite à la crise sanitaire, retrouve plus de sérénité et d’optimisme.

Charlotte Flossaut © Pierre Faure

Pouvez-vous revenir sur la création du salon Photo Doc ? Quelle était votre ambition ?

Nous avons souhaité créer une structure en faveur de la photographie documentaire et surtout d’un point de vue marchand et culturel – parce que le culturel est pour nous indissociable. Nous souhaitions revendiquer la photographie documentaire comme une œuvre de collection au même titre que les autres photographies. Et on a voulu créer un événement qui permettrait au public et aux collectionneurs de se mettre en relation avec une photographie qui, en conscience, apporte une transformation au monde. Ça a été notre pari, et c’est ce qui a porté la genèse de Photo Doc. Sa première édition s’est tenue le week-end des attentats du 13 novembre 2015. Ces événements ont été comme un séisme, cela a traumatisé une grande partie de la population. Pour nous, qui souhaitions associer la photographie documentaire à une transformation du monde et à un engagement en conscience en faveur du monde et de sa construction, nous nous retrouvions à exister pour la première fois en plein cœur de bouleversements majeurs. Ça a été comme une sorte de miroir. Nous prenions d’autant plus conscience de l’importance de cette photographie qui nous inspirait et qui était celle que l’on voulait porter.

« Lorsque j’ai annoncé que je fondais une foire de photographie documentaire, les premières réactions auxquelles je me suis confrontée étaient de l’incompréhension. Dans la tête des gens, le documentaire était réservé à l’information, aux tragédies, à l’horreur… Cela n’allait donc pas de soi de l’associer avec le secteur marchand. La compréhension que j’avais en face de moi, c’était de faire de l’argent avec le malheur du monde. Alors que bien évidemment, c’est tout l’inverse parce que cette photographie documentaire n’est pas une photographie de constatation, c’est une photographie qui, dans sa pratique et son intention et en accord avec l’autre, co-construit un nouveau monde.« 

Au commencement © Estelle Hoffert / Galerie Madé

Reconsolidation © Isabel Perez Del Pulgar / Larvoratoire

A-t-il été facile de s’adresser au public et aux collectionneurs pour vendre la photographie documentaire ? Et quelle évolution sur les années qui ont suivi ?

Non, ça n’a pas été facile, mais c’est allé très vite. En fait, avant de fonder Photo Doc en 2015, j’avais fait mes gammes grâce à Eric Fantou, qui nous a malheureusement quittés il y a quelques années, et qui avait eu la bonne idée de créer le « off » de Paris Photo avec Photo Off. J’y ai assuré la direction artistique pendant trois ans et forte de cette expérience, il était important pour moi de ne pas simplement promouvoir et proposer des photographies esthétiques et contemporaines avec lesquelles on aime vivre pour simplement la « beauté de l’œuvre ». J’ai donc décidé de mettre en valeur cette photographie engagée qui me semblait être celle de notre époque. J’ai précisé cette intention d’engagement avec ce mot, comme une balise : celui du documentaire, de ce territoire photographique si particulier. Lorsque j’ai annoncé que je fondais une foire de photographie documentaire, les premières réactions auxquelles je me suis tout de suite confrontée étaient de l’incompréhension. Dans la tête des gens, le documentaire était réservé à l’information, aux tragédies, à l’horreur… Cela n’allait donc pas de soi de l’associer avec le secteur marchand. La compréhension que j’avais en face de moi, c’était de faire de l’argent avec le malheur du monde. Alors que bien évidemment, c’est tout l’inverse parce que cette photographie documentaire n’est pas une photographie de constatation, c’est une photographie qui, dans sa pratique et son intention et en accord avec l’autre, co-construit un nouveau monde. La photographie documentaire est en amont de l’événement.
Nous avons donc du travailler sur la compréhension de notre intention durant deux, trois ans. Mais ensuite, très vite, les ventes ont commencé

Est-ce qu’il y a un profil type du collectionneur de photographie documentaire ?

Difficile de dégager un profil type, mais je dirais que c’est quelqu’un qui cherche à s’engager autrement que ce qui s’est fait jusqu’à maintenant, et qui a le désir d’ouvrir de nouvelles voies. Ces collectionneurs, ces acheteurs de la photographie documentaire, sont sensibles à l’histoire avec laquelle ils entrent en relation, l’histoire portée par la série représentée par une seule image. Toutes les personnes que j’ai rencontrées qui ont acquis un tirage, sont portés par les histoires. Ils se mettent en relation avec une autre dimension de l’image qui pourrait être celle de son épaisseur et non pas simplement la surface du résultat. Et d’ailleurs je me souviens, lors de la dernière édition avant le Covid, je n’avais pas été très vigilante et je n’avais pas vérifié les légendes qui accompagnaient les tirages. Cette année là, les légendes étaient insuffisantes, ça a été un réel manque et on nous l’a reproché.

Linge séchant dans la cour d’une des maisons de la cité de l’Espérance. Les femmes gitanes de Berriac © Hortense Soichet

Cette septième édition de Photo Doc ouvre ses portes le 12 mai, l’écrivain Fabrice Imbert parraine cette édition. Pourquoi ce choix ?

C’est un choix collégial, parce que même si je suis la fondatrice, je ne suis pas seule, je suis accompagnée de Valentin Bardawil et Christine Delory-Momberger. Nous avions déjà identifié la thématique de cette édition qui est « L’autoportrait… vers un commun de l’œuvre » et Christine venait de lire son ouvrage « L’origine de la violence ». Valentin et moi l’avons lu à notre tour, son récit nous a beaucoup inspirés, chacun se transmettait ses remarques et ses réflexions… Dans ce livre, il est question d’une photographie qui transforme non seulement le cours d’une histoire familiale, mais aussi la destinée d’un homme qui meurt en camp de concentration sous l’influence d’une autre photographie, donc deux photographies impliquées. Il y avait une réelle évidence à demander à Fabrice Imbert de parrainer cette édition et ce qui est formidable, c’est qu’il a accepté.

The Asakusa Portraits – The Persona Series © Hiroh Kikaï

Et pour cette septième édition, c’est le photographe japonais Hiroh Kikaï qui est l’invité d’honneur.

Nous sommes très heureux de présenter ce photographe comme invité d’honneur, et cela a pu être possible grâce au galeriste Luigi Clavareau qui tenait à Paris, la in)(between gallery. C’est un spécialiste de la photographie japonaise. Et lorsque je lui ai dévoilé la thématique, il m’a tout de suite parlé d’Hiro Kikaï, ce philosophe devenu photographe, et d’une de ses séries en particulier. Durant des années, il a réalisé les portraits d’habitants d’un même quartier de Tokyo où vivaient surtout des provinciaux déconsidérés. Lui-même venait de province et avait subi ce mépris de la capitale. Il y a donc eu une identification qui s’est faite et lorsqu’il photographiait ces gens, il parlait de lui-même. Ce travail est magnifique et très peu connu en France, il s’inscrit pleinement dans notre thématique, de ce commun de l’œuvre qui mène à l’autoportrait.

Photo Doc, ce n’est pas seulement un salon, vous proposez également d’autres actions en faveur des nouvelles écritures de la photographie documentaire à travers différentes manifestations et événements. 

Oui, c’est vrai, pour continuer à faire exister cette relation à la photographie documentaire, du point de vue pédagogique et culturel, nous proposons au public des tables rondes. Elles sont organisées depuis deux ans en collaboration avec le GIS, le sujet dans la cité initié par Christine Delory-Momberger, et font émerger cette relation constructive avec la recherche. Cette année, nous accueillons Guillaume Genest, Marion Scemama, Fabrice Imbert, Danièle Meaux et bien d’autres… (voir le programme complet ici). Ces événements sont des moments extrêmement importants parce qu’ils constituent ce maillage relationnel et de compréhension à cette intention documentaire. Et ils ont lieu au sein même du salon, on peut passer une heure à l’étage, profiter des discussions, des tables rondes, d’échanges avec certaines personnalités, et ensuite mettre en application le lien à la photographie parmi les stands et les exposants. Ce lien se fait avec les exposants, qui ne sont pas que des galeries d’ailleurs, puisqu’il était important de pouvoir représenter la photographie documentaire partout où elle se pratique et où elle se développe, il y a donc des collectifs, des festivals, des magazines, des revues… Et cette année, il y aura aussi, comme l’an passé, un département éditeur avec l’organisation de signatures.

Marbre à tout prix, 2019 © Isabeau de Rouffignac

Quel est le modèle économique du salon ? Est-il uniquement basé sur la location des stands ?

On fonctionne sur le même principe que les autres événements de salon et de foire avec la vente d’espaces d’exposition. Mais nous ne pouvons pas louer les stands très chers parce que nous nous adressons à des exposants qui développent cette photographie documentaire. On se situe dans une moyenne gamme, alors le modèle économique est fonctionnel mais à l’équilibre. Ces revenus nous permettent uniquement de monter l’événement sans aucune marge. Cette année, l’entrée sera toujours libre et gratuite, mais comme la situation est difficile nous allons demander aux visiteurs qui le souhaitent de contribuer en donnant entre 1€ et 5 €, de manière à ce que l’on puisse développer des projets.

Free from freedom. A young boy holds a pigeon that has been brought to market for sale in Tabriz, Iran, on August 10, 2015.
Labyrinth explores the socio-psychological experiences of Iran’s post-revolutionary generation, sharing a window into the experience of a repressed youth facing high rates of unemployment and anxiety for the future. © Farshid Tighehsaz

La crise sanitaire a fragilisé tout le secteur de la photographie. Aujourd’hui, est ce que l’on peut dire que la situation s’est stabilisée, voire rétablie ? 

Moi, je trouve qu’elle s’est stabilisée, alors rétablie peut être pas complètement, mais pas loin. J’écoute aussi un peu ce qui se dit dans les galeries et je constate qu’il y a, depuis environ deux ans, une autre photographie qui se met en place et qui est très proche de ce que l’on soutient, et que l’on développe depuis sept ans. Cette photographie engage plus les gens à l’achat. J’ai l’impression qu’il y a un second souffle. De toute façon, la crise sanitaire, cet arrêt subi par le monde entier, nous oblige à faire différemment. On ne va pas être dans la reproduction de ce qui n’a pas fonctionné. La preuve, c’est que ça s’est arrêté. Et on le ressent dans l’intérêt pour les acquisitions. Il y a quelque chose qui renaît. L’année dernière était très difficile, l’édition a d’ailleurs failli ne pas se faire, mais en 2023, les choses sont différentes, on y croit de nouveau, mais on y croit pour de nouvelles raisons !

INFORMATIONS PRATIQUES

ven12mai(mai 12)14 h 00 minlun15(mai 15)20 h 00 minPhoto Doc 2023 : L'autoportrait… vers un commun de l'œuvreLes Rendez-vous de la Photographie DocumentaireHalle des Blancs Manteaux, 48 rue Vieille du Temple, 75004 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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