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Christine Ollier et son équipe ont inauguré la quatrième édition du Champ des Impossibles, ouvrant au public une vingtaine d’expositions dont la thématique centrale est le règne animal. Chaque jour, nous vous proposons le portrait d’un artiste du Parcours Art & Patrimoine en Perche .04 rédigé par Emmanuel Berck. Aujourd’hui, retrouvons Yves Trémorin venu en résidence et exposé à l’Ecomusée du Perche dans le cadre enchanteur du Prieuré de Sainte-Gauburge.

« Le photographe saisit le réel devant lui, moi je le recompose et le mets en scène ». Plutôt que photographe, Yves Trémorin se définit « artiste visuel ». Depuis ses débuts en 1977, il n’a de cesse d’interroger le médium photographique, « de le pousser dans ses derniers retranchements ». Sa radicalité artistique apparaît dès ses premières séries mettant en scène sa compagne Monique et sa grand-mère Ernestine qu’il a continué de photographier pendant toute la vie.

Houyhnhnm © Yves Trémorin

Sa démarche repose sur le postulat que la distance au sujet contribue à la construction de l’image, avec, au cœur du travail, la notion de synecdoque (le détail dit l’ensemble). Ainsi, comme pour ses premiers nus, les portraits de sa grand-mère sont constitués de prises de vue resserrées et frontales, sans artifice. « J’utilise la photographie pour bousculer l’habitude de regarder ce qui est devant nous. Les images sont mises en scène hors de tout indice contextuel, spatial ou temporel. Je travaille les angles de la prise de vue et la distance au sujet afin de l’amener dans une sorte d’abstraction. J’ai démarré avec des proches pour traiter de l’intime, magnifier leur vie et aller vers l’universel ».

Houyhnhnm © Yves Trémorin

Une photographie radicale

En 1986, Yves Trémorin fonde le collectif Noir Limite avec deux autres artistes de l’image, Jean-Claude Bélégou et Florence Chevallier. Leur manifeste réaffirme leur attachement à cette radicalité, en réaction à la « mollesse » de la photographie de l’époque et dans l’objectif d’interroger les capacités de représentation du médium. Une de leurs expositions – « Corps à corps » – prévue à Bourges en 1987 sera carrément interdite, jugée trop crue et même pornographique. Aujourd’hui ce sont des œuvres qui font date.
Yves Trémorin puise son inspiration dans les travaux des maîtres de la photographie, comme Man Ray, Diane Arbus, Bill Brandt ou Walker Evans. De formation scientifique, l’artiste développe des séries pour lesquelles il définit une méthodologie dédiée. « Je travaille en noir et blanc ou en couleur, en grand ou petit format, même avec un microscope électronique… J’ai adopté le digital en 2003. C’est le projet qui dicte la technique et non l’inverse. De manière globale, la radicalité dans laquelle je m’inscris traduit la volonté de désigner, pas de transgresser ; je m’efforce à trouver quelque chose qui se révèle dans l’extrême. Ainsi, dans mon travail sur les corps, je réagissais aux représentations aseptisées de nos sociétés ».

Houyhnhnm © Yves Trémorin

Au Prieuré de Sainte-Gauburge – écomusée du Perche

Vue de l’exposition in situ au Prieuré de Sainte-Gauburge © Olivier Steigel

Vue de l’exposition in situ au Prieuré de Sainte-Gauburge © Olivier Steigel

Dans le cadre du Parcours Art et Patrimoine en Perche 2023, Yves Trémorin expose sa série Houyhnhnm sur le cheval percheron – mais pas que. Réalisé dans le cadre d’une résidence en 2022 chez des éleveurs du Perche, ce travail plonge dans un univers organique de chair, de pelage, de crinière, de terre. Il magnifie le cheval par le détail, au plus près.
« L’animal a toujours été présent dans mes productions, explique-t-il. Dans ma série sur le Mexique, on trouve des coqs, des chiens, des crapauds, des oiseaux. J’ai aussi été inspiré par les mythologies de peuples anciens et ai développé des séries sur les Mayas et les Vikings. Parfois associés à l’image d’un dieu ancestral, l’aspect mythologique des animaux m’intéresse. Même si je me souviens avoir été très impressionné dans mon enfance par les « postiers bretons » (et surtout leur regard) qu’on croisait à l’époque en Bretagne, je n’avais jamais photographié les chevaux. Lors de cette résidence, je me suis rendu chez des éleveurs du Perche, j’ai participé à des mises bas, j’ai dormi avec les juments, je me suis fondu dans le quotidien des Houyhnhnms ».

Vue de l’exposition in situ au Prieuré de Sainte-Gauburge © Olivier Steigel

Le titre de la série –  Houyhnhnm  – est tiré des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Une évocation de la rencontre de Gulliver avec les Yahoos, créatures sauvages, avant d’être recueilli par des chevaux et d’apprendre leur langage et leurs règles de vie. « Comme Gulliver, je me suis immergé dans le monde des chevaux ! ».
Dans l’espace monumental de la nef de Sainte-Gauburge, sont exposées une vingtaine d’images surplombées de six grandes bâches. Comme à son habitude, l’artiste place le visiteur dans une position inhabituelle par rapport à sa perception ordinaire, afin de susciter un questionnement métaphysique. « Je m’intéresse autant à la plastique qu’à la photographie et cherche avant tout à ne pas refaire ce qui a déjà été fait. Je n’utilise plus l’argentique, je ne développe plus dans la chambre noire. Le regain de l’argentique m’apparaît d’ailleurs comme un néo-pictorialisme. Je n’éprouve pas cette nostalgie du labo, ce qui importe c’est l’image finale et le numérique m’apporte beaucoup de satisfaction à cet égard. Je continue d’expérimenter. Les tirages vinyls ou sur bâche sont une nouvelle expérience pour moi. J’ai également réalisé des produits dérivés comme de la vaisselle ou des Tee-shirts (« Breizhtorythm »). Le but est avant tout de faire passer une émotion. »
Une émotion magnifiée par le décor enchanteur du Prieuré de Sainte-Gauburge.

Plus d’information : www.lechampdesimpossibles.com
INFORMATIONS PRATIQUES

sam29avr(avr 29)10 h 00 mindim04jui(jui 4)18 h 00 minLe Champ des Impossibles .04Le règne animalMoulin Blanchard, 11 Rue de Courboyer 61340 Perche-en-Nocé

Emmanuel Berck
Après une trentaine d’années dans la communication et la traduction, majoritairement dans le secteur des nouvelles technologies, Emmanuel Berck est devenu rédacteur indépendant en 2019. Il accompagne ainsi des entreprises dans l’élaboration de leurs stratégies éditoriales, à travers la rédaction de tribunes libres, de témoignages clients ou d’articles destinés à la presse. Il développe parallèlement une activité de pigiste pour différents magazines locaux ou nationaux, comme « Pays du Perche », « Pando » et « Profession Photographe ». Ses thèmes de prédilection sont l’environnement et la transition agricole, l’évolution climatique et la préservation de la biodiversité, et les enjeux liés à l’alimentation en circuits courts. Installé dans le Perche depuis 20 ans, il s’appuie sur un réseau d’acteurs locaux très divers qui lui permet d’analyser en profondeur les problématiques qu’il traite dans ses articles. Il aime en outre rédiger des portraits mettant en relief le travail de l’artiste ou l’artisan – le geste et les outils – son savoir-faire, son parcours et ses préoccupations actuelles. Emmanuel a réalisé 11 portraits d’artistes du Champ des impossibles.02, publiés dans l’hebdomadaire « Le Perche » durant l’été 2021. Il a également écrit deux entretiens avec deux artistes du Champ des impossibles, à paraître aux Editions Filigrane.

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