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Christine Ollier et son équipe ont inauguré la quatrième édition du Champ des Impossibles, ouvrant au public une vingtaine d’expositions dont la thématique centrale est le règne animal. Chaque jour, nous vous proposons le portrait d’un artiste du Parcours Art & Patrimoine en Perche .04 rédigé par Emmanuel Berck. Aujourd’hui, rencontre avec Marina Le Gall qui expose ses sculptures dans l’église de Saint-Aubin-des-Grois.

Peintre, sculptrice, graveuse, surtout céramiste… Marina Le Gall aime observer et peindre la nature depuis sa prime jeunesse. En sculpture, elle donne vie à un « petit peuple » d’animaux, qu’elle modèle à partir de terre, puis émaille en prenant soin de jouer avec les couleurs et les textures. Chaque pièce est conçue individuellement et raconte un épisode de la vie de l’artiste ou un événement d’actualité.

Passionnée de dessins de presse, Marina Le Gall se sert de ses petits animaux pour raconter leur histoire, à l’instar des fables. Un renard lit un journal, un lapin danse, des poules font leurs coquettes. « La sculpture est un des moyens me permettant d’arriver à mes fins, explique-t-elle. Je ne travaille pas exclusivement la céramique, je peux inclure du bois, des tuiles émaillées, je peux peindre ou assembler. L’objectif est d’inventer mes propres histoires, souvent sous la forme de caricatures ».

Roger pêcheur, année 2021, faïence émaillée, échelle un jeune phoque © Marina Le Gall

De la Bretagne aux Beaux-Arts

Marina Le Gall a été élevée dans une ferme bretonne. Ses grands-parents possédaient un élevage de cochons, son père était charcutier et chasseur. « J’ai moi-même obtenu mon permis de chasse et accompagnait mon père dès que possible. Je l’ai souvent aidé à découper des cochons ou des chevreuils, ce qui m’a donné une certaine compréhension de ces animaux. Grâce à la chasse, j’ai perfectionné mes connaissances ornithologiques ; je n’hésitais pas à me rendre sur le passage des oiseaux migrateurs partout en France afin de les observer. Parallèlement, j’ai commencé à vendre des peintures à partir de 14/15 ans. J’utilise les animaux pour décrire certains épisodes de ma vie ou certains traits de la société. Mais surtout, à force de les « démonter » avec mon père, il fallait bien que je m’attache à les « remonter », mais sans aller vers une reproduction naturaliste : ils sortent tout droit de mon imagination, et sont à la fois identifiables et décalés ».

Jongler avec le ciel, année 2022, faîence émaillée, échelle 1 pour un lapin de garenne © Marina le Gall

Après des études de graphisme à Rennes, Marina Le Gall entre aux Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Philippe Cognée. C’est là qu’elle découvre la céramique. Son travail de fin d’études porte sur le renard, qui la fascine par son intelligence. Depuis lors, elle n’a plus lâché son petit peuple.

Ses céramiques sont par certains côtés des peintures en 3 dimensions. Elles sont relativement brutes, quelque peu indéfinies et conservent les marques de modelage, le geste du sculpteur comme le trait du pinceau. L’une des caractéristiques de son style réside dans un émaillage débridé : « C’est un peu comme les couleurs d’un paysage vues d’un train. Elles se mélangent, le paysage entre en mouvement. La polychromie donne vie aux personnages. »

Ses œuvres sont joyeuses, comme prises sur le vif, les postures sont souvent rocambolesques. Côté inspiration, elle puise aussi bien dans l’art ciselé d’Albrecht Dürer que dans l’univers de plasticiens contemporains comme Gilles Aillaud et Romain Bernini. Autre source d’inspiration : la musique. Elle crée en s’appropriant le rythme des morceaux de rock anglais ou post-punk qu’elle apprécie tout particulièrement : « Quand j’écoute autre chose, le résultat n’est pas le même. Je travaille réellement au rythme de cette musique ».

A l’église de Saint-Aubin-des-Grois

Vue d’exposition © Camille Pozzo di Borgo

Vue d’exposition © Camille Pozzo di Borgo

Dans le cadre du Parcours Art et Patrimoine en Perche 2023, Marina Le Gall présente de nouvelles créations, dont certaines monumentales, dans le cadre charmant de l’église de Saint-Aubin-des-Grois. Cet écrin patrimonial habilement restauré, abrite un autel du XVIIIe siècle d’allure baroque et des peintures d’inspiration franco-espagnole auxquelles l’artiste à décider de répondre en clin d’œil. Au centre de la nef, un ours humanoïde jubile en terrassant un dragon. Construit en terre et faïence, l’ours est un assemblage de plusieurs grands morceaux. Cette céramique à taille humaine est en référence directe à l’iconographie religieuse qui a représenté au cours de l’histoire des arts populaires Saint-Michel en ours… Il en est de même pour la Pietà, dans laquelle la vierge est représentée en louve et tient un Christ dont le corps est celui d’une oie. Cette œuvre aussi est d’importance (140×110 cm), d’autres sujets de taille plus réduite sont à découvrir, tels un lapin sur un banc lisant un livre de messe ou une femme allaitant dans un confessionnal.

Bien qu’elle se revendique athée, Marina Le Gall puise dans l’histoire des religions et dans les légendes grecques et romaines « pour raconter de belles histoires ». Si le ton est souvent décalé, ses œuvres évoquent son lien avec le territoire, la ruralité, la vie quotidienne. « Mes animaux sont toujours identifiables, bien qu’ils soient décalés et habités d’une intention humaine. Ils sont interprétés et caricaturés, par exemple en grossissant certains traits (gros ventre, oreilles démesurées…). Cet anthropomorphisme me permet de raconter des histoires à la manière d’Esope ou de La Fontaine. L’animal est un support pour parler d’autre chose ». Si l’homme n’est jamais montré, sa présence est toujours sous-jacente. L’artiste invite ainsi le visiteur à s’éloigner de lui-même pour aller au cœur du vivant.

Plus d’information : www.lechampdesimpossibles.com

INFORMATIONS PRATIQUES

sam29avr(avr 29)10 h 00 mindim04jui(jui 4)18 h 00 minLe Champ des Impossibles .04Le règne animalMoulin Blanchard, 11 Rue de Courboyer 61340 Perche-en-Nocé

Emmanuel Berck
Après une trentaine d’années dans la communication et la traduction, majoritairement dans le secteur des nouvelles technologies, Emmanuel Berck est devenu rédacteur indépendant en 2019. Il accompagne ainsi des entreprises dans l’élaboration de leurs stratégies éditoriales, à travers la rédaction de tribunes libres, de témoignages clients ou d’articles destinés à la presse. Il développe parallèlement une activité de pigiste pour différents magazines locaux ou nationaux, comme « Pays du Perche », « Pando » et « Profession Photographe ». Ses thèmes de prédilection sont l’environnement et la transition agricole, l’évolution climatique et la préservation de la biodiversité, et les enjeux liés à l’alimentation en circuits courts. Installé dans le Perche depuis 20 ans, il s’appuie sur un réseau d’acteurs locaux très divers qui lui permet d’analyser en profondeur les problématiques qu’il traite dans ses articles. Il aime en outre rédiger des portraits mettant en relief le travail de l’artiste ou l’artisan – le geste et les outils – son savoir-faire, son parcours et ses préoccupations actuelles. Emmanuel a réalisé 11 portraits d’artistes du Champ des impossibles.02, publiés dans l’hebdomadaire « Le Perche » durant l’été 2021. Il a également écrit deux entretiens avec deux artistes du Champ des impossibles, à paraître aux Editions Filigrane.

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