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Pour sa troisième carte blanche, notre invité de la semaine, Éric Cez, l’un des fondateurs de la maison d’édition Loco et Président de l’association France Photobook, pointe la difficulté à la photographie française de s’exporter au-delà de nos frontières. En France, la création est particulièrement riche et dense pourtant elle peine à être visible dans les grandes institutions sur son propre territoire et par conséquent existe peu à l’international. Le livre photo souffre malheureusement du même phénomène, mais Éric Cez ne perd pas espoir…

Je reste toujours abasourdi par la richesse créative de chaque époque, le nombre d’artistes, de photographes dont l’œuvre est imposante mais qui a du mal à s’imposer sur un marché… Nous vivons dans un pays dont, pour ne parler que de photographie, la variété des écritures est impressionnante. Sans tomber dans le chauvinisme, nous, éditeurs, avons la chance d’être à des postes d’observation privilégiés, nous pouvons témoigner combien nous vivons dans un pays où l’expression photographique est d’une grande maturité et pluralité qui laisse cohabiter des approches variées autant conceptuelles, plastiques, poétiques que documentaires… Tout un incroyable bouillonnement créatif.

Prospectives © Pascal Hausherr / Loco

Or on a toujours le sentiment que ce que nous pourrions appeler une « école française » ne réussit que rarement à s’imposer au-delà de nos frontières malgré la qualité de ses photographes, dont le niveau n’est ni au-dessus ni en-dessous de celui des auteurs panthéonisés par un marché mondial. Nous pouvons faire le même constat pour l’édition française des livres de photographie qui, malgré une diversité incontestable, peine à s’exporter. Est-ce là un autre « French paradox » ? Est-ce un trop plein de particularisme ou un manque de stratégie de marché ? Est-ce une frilosité de la part de nos institutions nationales et de nos mécènes privés ? Il est toujours difficile de comprendre pourquoi une certaine création française peine à être diffusée depuis plusieurs décennies. L’inverse n’est pas forcément vrai. La curiosité de nos centres d’arts, de nos musées et de nos librairies d’art pour une création internationale est manifeste (et la France est reconnue pour cela à l’étranger), et c’est toute la richesse d’un réseau qu’il faut continuer à préserver. On peut néanmoins déplorer qu’une grande partie de la création française n’ait pas toute la visibilité à laquelle elle pourrait prétendre …

Prospectives © Pascal Hausherr / Loco

Je me pose cette question afin de savoir ce qui me motive encore à éditer des livres de photographie en dépit des difficultés conjoncturelles de l’ensemble d’une profession, malgré le parcours du combattant pour réunir les meilleures conditions de parution d’un livre, malgré le manque de reconnaissance de certains ouvrages qui nous semblent pourtant si importants et en lesquels nous avons cru, nous battant bec et ongles… Je crois aujourd’hui que l’engagement de beaucoup de maisons d’édition permet justement de rééquilibrer ce déficit de visibilité d’une création photographique. Toute une production artistique existe seulement par les livres qui sont édités.
Je reste persuadé qu’un livre, quel qu’il soit, est toujours une stèle arrachée à l’oubli. Et quand bien même nous constatons un grand manque de reconnaissance pour bon nombre d’artistes, les livres restent la preuve vivace de leur travail et continueront à porter leur regard pendant de longues années après notre disparition. Cela reste une des plus grandes motivations qui soit pour poursuivre cet empilement de stèle, mémoire vive d’une époque et de ses protagonistes qui se découvre en explorant les catalogues de nos maisons.

Iconographie :
Des images de Pascal Hausherr d’un ouvrage à paraître ce mois-ci : Prospectives. Un livre d’artiste à tirage limité qui semble rendre compte d’un moment juste avant ou juste après une certaine idée de catastrophe, que nous n’arrivons pas à nommer mais que nous ressentons.
Nous publions également en même temps le livre Les Modernes.

A LIRE
Le CLAP vient de publier son nouveau rapport sur la photographie française

La Rédaction
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