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« Histoire(s) sans fin » est la toute dernière exposition présentée à la Galerie Le Réverbère, à Lyon. Catherine Derioz et Jacques Damez ont annoncé avant l’été la fermeture définitive de la galerie après 43 ans d’activité. Un arrêt aussi triste que brutal. Après avoir interrogé les deux premiers photographes de la galerie Arièle Bonzon et Jacques Damez, voici un nouvel entretien avec le photographe français Pierre Canaguier, représenté par la galerie depuis 1990 qui revient sur cette aventure photographique et se confie sur l’arrêt du Réverbère.

Montagne d’or, Vercors, 2011
Impression pigmentaire sur papier baryté, réalisée par Laure Abouaf / Le Réverbère
16×24 cm, sous passe 30x40cm

Plage d’Allaman, Suisse, 2015
Impression pigmentaire sur papier baryté, réalisée par Laure Abouaf / Le Réverbère
12,8×12,8cm, passe partout 30 x 30 cm

Lac Léman à Anthy, 2014
Impression pigmentaire sur papier baryté, réalisée par Laure Abouaf / Le Réverbère
Image 12,8×12,8 cm, passe partout 30 x 30 cm

Ericka Weidmann : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Catherine et Jacques et comment avez-vous intégré la galerie ?

Pierre Canaguier : Au début des années quatre-vingt je dirigeais un atelier de photographie collectif ouvert aux écoles et au grand public à Grenoble. En parallèle, je développais un travail personnel, mais je ne m’éloignais pas beaucoup de mon laboratoire. En 1983, Michelle Dollmann, responsable de l’artothèque de Grenoble m’a proposé une exposition personnelle. Par la suite elle m’a mis en relation avec le milieu photographique de Lyon et ainsi m’a fait rencontré la galerie Le Réverbère, encore toute jeune. Et bien sûr Catherine et Jacques. Je dois dire que le contact a été immédiat.
Je les croisais ensuite à Arles et autres manifestations. J’ai pris l’habitude de venir voir les expositions qu’ils proposaient, j’ai assisté au déménagement de la galerie de la rue Neuve à la rue Burdeau qui a été pour la galerie une étape décisive. C’est à cette époque que j’ai commencé à rêver d’être exposé au Réverbère, mais de caractère réservé je n’aurais jamais osé le leur demander.
En 1988, alors que je participais à une exposition collective dans le cadre d’Octobre des arts à Lyon, nous avons échangé sur des thèmes qui nous rapprochaient. Et fin 1989, Catherine et Jacques m’ont invité à participer à une exposition à trois regards intitulée “Le cadre du paysage”. À l’issue de celle-ci, ils m’ont proposé de les rejoindre. Mon rêve s’était réalisé ; je suis représenté par eux depuis 1990.

La ligne blanche, Crète, 2015
Impression pigmentaire sur papier baryté, réalisée par Laure Abouaf / Le Réverbère
12,8×12,8cm, passe partout 30 x 30 cm

Plage des grands sables, Groix, 2019
Impression pigmentaire sur papier baryté, réalisée par Laure Abouaf / Le Réverbère
12,8×12,8 cm, sous passe 30×30 cm / existe en 20×20 cm

E. W. : Que représente pour vous cette collaboration ?

P. C. : Autant dire tout de suite que c’est extrêmement précieux. Au-delà de l’avantage d’être porté par une galerie – des expositions régulières, des ventes, des rencontres, un réseau – il y a la personnalité de Catherine et Jacques, leur connaissance fine de la photographie, leur point de vue, parfois tranché, toujours très juste. Mon travail n’est pas facile à comprendre et donc à présenter. Ce que je fais peut sembler simple : souvent des petits formats épurés, surtout depuis que je travaille en couleur, sans thème, sans sujet.
Pas évident de motiver un public, un espace culturel, un collectionneur sur mes tirages.
Catherine et Jacques l’ont fait, 35 années durant, bien que ma notoriété soit limitée comparée à celle des “vedettes” du Réverbère. Je me suis toujours senti porté, aiguillonné, encouragé, avec des retours parfois déstabilisants, mais toujours respectueux et constructifs à chaque présentation de nouveaux travaux.
En 35 ans, j’ai eu l’occasion d’exposer dans des manifestations prestigieuses – Rencontres d’Arles, Paris Photo, Biennale de Lyon. Et sur les cimaises de la galerie aux côtés de William Klein, Bernard Descamps, Marc Riboud, Bernard Plossu, Pierre De Fenoÿl, dont les images me faisaient rêver bien avant que je rejoigne le Réverbère. Et puis ces “duos” très motivants, par exemple avec Beatrix Von Conta ou Thomas Chable, pour ne citer qu’eux. Le photographe est seul derrière son viseur ou dans son atelier. J’ai pu bénéficier d’un collectif qui ouvre les esprits. Bref, j’ai fait partie de cette aventure, une très belle aventure !

Villa l’Estelle, plage des Maures, Var, 1985
Tirage argentique baryté de l’auteur
20×20 cm

Sauf riverains, plage des Maures, Var, 1988
Tirage argentique baryté de l’auteur
10×10 cm

Le cadre noir, Les Issambres, 1995
Tirage argentique baryté par l’atelier Sudre
50×50 cm

E. W. : Comment voyez-vous la suite, sans Le Réverbère ?

P. C. : Cette aventure je l’ai vécue, et bien vécue. Celle de la galerie dans les murs de la rue Burdeau à Lyon, se termine bientôt. Même si on pouvait s’y attendre un peu – la conduite d’une galerie indépendante devenait plus tendue, sans compter que nous prenions tous de l’âge – l’annonce de la fermeture de ce site a été une épreuve. Je dois dire qu’à ce jour, je suis un peu dans l’expectative, pour ne pas dire dans le flou. J’ai 71 ans, j’ai vécu le meilleur et je ne suis toujours pas pressé. Je vais photographier, bien sûr, continuer à bouger aussi, faire du ski et du vélo, de la musique, voir ma famille, mes amis, m’occuper de mes petits enfants… car pour moi la vie ne peut se résumer à l’activité unique de la photographie (ce qui fût un peu mon péché de jeunesse). Pour autant, j’ai toujours des projets en cours ou en perspective. Par ailleurs, je vais aussi continuer à m’occuper de placer mes archives, sous forme de donations, à des musées et autres structures à même de les conserver. Ce qui est aussi un travail qui prend du temps et, gros avantage, qui oblige à replonger dans son oeuvre, ce qui ouvre des voies nouvelles.

Le palmier blanc, Les Issambres, 1996
Tirage argentique baryté par l’auteur
20×20 cm / existe en 100×100 cm (Musée Géo Charles / Artothèque d’Annecy)

Plage de l’Estérel, à Boulouris, 1997.
Tirage argentique baryté par l’auteur
10×10 cm

Le bateau blanc, Théoule-sur-Mer, 1997
Tirage argentique baryté par l’atelier Sudre
50×50 cm / existe en 100×100 cm (Musée Géo Charles)

La pancarte noire, Sainte-Maxime, 1998
Tirage argentique baryté par l’atelier Sudre
50×50 cm / existe en 100×100 cm (Musée Géo Charles)

E. W. : Cherchez-vous une autre galerie pour vous représenter ?

P. C. : Pour l’instant non, et pour la suite je ne sais pas. Comme ça, je dirais je ne crois pas.
Comme je vous disais précédemment, j’ai vécu le meilleur avec une galerie que je n’ai pas choisie mais qui m’a choisi pour ma plus grande satisfaction. Si je devais en trouver une autre quelles seraient mes attentes ? Retrouver ce que le Réverbère m’a apporté ?
Difficile, illusoire ! Je pense qu’il faudrait que ce soit une expérience franchement distincte.
Mais à ce jour je ne sais pas en quoi cela pourrait consister. Alors tâchons de terminer au mieux cette année 2024 sur ces cimaises qui nous ont tant fait vibrer, par cette ultime exposition éminemment collective. 2025 nous en dira plus. Alors, wait and see…

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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