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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invité de la semaine, Hervé Marchand, directeur du festival la Quinzaine Photographique Nantaise, termine avec une réflexion sur le médium photographique. L’occasion de revenir sur la 28ème édition de la manifestation QPN qui vient tout juste de fermer ses portes, mais aussi sur les expositions des éditions précédentes qui tentent sans cesse d’apporter un regard renouvelé sur les pratiques photographiques.

Les botanistes aiment à classer les choses, les nommer pour bien les différencier et faciliter leur identification, ils nous ont ainsi partagé la taxinomie, cette méthode de classement par créations de catégories, de taxons.
Une approche scientifique qui s’est étendue à bien d’autres champs de la connaissance tant la passion du rangement est un souci commun !
La photographie, prochainement vieille de 200 ans, a donc aussi développé tout un vocable pour qualifier les pratiques et les acteurs de son domaine d’activité.

Les terminologies se font jour suivant l’évolution du médium, certaines deviennent obsolètes, d’autres persistent, se précisent, se complètent.
Les premiers opérateurs de notre art ont été nommés « héliographes », c’est effectivement avec l’empreinte du soleil qu’ils obtenaient ces élégants « dessins photographiques ».
Devenus rapidement « photographes », un nouvel enjeu sémantique s’est posé, ces techniciens de la prise de vue sont-ils aussi des artistes, peut-on leur octroyer la qualité d’auteur ?
La grande famille des arts peut-elle adouber la photographie, jusque là modeste et utile servante des arts et des sciences ?

Casque d’or, présumés coupables, QPN 2010

Sans attendre le XXe siècle, les tribunaux ont eu à répondre de la question, la jurisprudence a constaté que les images photographiques pouvaient aller au-delà de la simple reproduction automatique de scènes réelles et que la personnalité, l’inventivité de l’opérateur pouvaient trouver à s’exprimer dans ses réalisations.
Aujourd’hui il existe un droit de la propriété intellectuelle, le droit d’auteur vient protéger ceux qui créent des « œuvres de l’esprit ».
Mais la place de la photographie est toujours un peu flottante, l’image est partout et tout le monde fait des photos, même les machines.
De surcroît, l’hybridation des pratiques rend l’attribution de labels plus périlleuse !

La Trocambulante, 2009. Lieu Unique

La Trocambulante, 2009

La Trocambulante, 2009. Lieu Unique

Ce sont des questions qui reviennent régulièrement au regard de certaines des expositions que le festival propose.
La photographie vernaculaire, les fonds d’images trouvées, les collections d’images d’amateurs, les projets participatifs, les fonds iconographiques scientifiques, techniques, industriels … Tout un monde d’images qui s’invitent sur nos murs blancs, nos cimaises et changent alors de statut.
Alors, photographes ou pas photographes ?
Cette édition de la QPN centrée sur la notion d’illusion a à nouveau amener quelques débats, plusieurs de nos expos venaient flirter avec le monde de la peinture.

Nu, 2022 © Isabelle Dehay

Des photographies à l’aspect pictural provenaient ainsi de vidéos. Isabelle Dehay réalise des « Pixels Painting » via un algorithme qu’elle applique à ses captations vidéos. Le « ruban filmique » est une matrice, l’œuvre accrochée est un tirage photographique, le sujet, un version revisitée de l’Odalisque de Manet.

© José Manuel Ballester

© Jérôme Bosch

José Manuel Ballester s’empare lui des grands classiques de la peinture, de la renaissance jusqu’à la période moderne. Il vide ces tableaux de tous les personnages et animaux qui y figurent. Voilà donc un photographe qui fait un travail de retouche numérique puis expose des tirages sur toiles montées sous châssis bois au format d’origine de l’œuvre. 
Nous avons exposé sa version du « Jardin des délices » de Jérôme Bosch, un impressionnant triptyque de 3,86 m. Lors d’une visite commentée, Anne-Laure notre médiatrice, expliquait que ce que le public avait devant les yeux, était une photographie, une dame a vivement protesté car elle, voyait une peinture !

C’était bien tout cela à la fois, ce qui rend plus compliqué une qualification unique et définitive !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Jardin_des_d%C3%A9lices
https://www.josemanuelballester.com/espanol/videoExposiciones/espaciosOcultos.html

Prémices, peintures d’après photo © Robin Lopvet

Le signe et la peau. Figure © Alban Lecuyer

Human texture. Figure © Alban Lecuyer

Les mêmes questions pouvaient se poser pour deux peintures réalisées sur commande pour Robin Lopvet, d’après les images de sa série « Prémices (des natures mortes réalisées par assemblage numérique) ; ou encore concernant la série « Texture humaine 5$ » d’Alban Lécuyer, des portraits retravaillés à partir de fichiers achetés en banque d’image pour 5$. Brodbeck & de Barbuat, de leur côté ont opéré « Une Histoire parallèle » de la photographie en faisant appel à l’intelligence artificielle de Midjourney, c’est par leurs commandes de prompts (sans citer l’œuvre originale ni son auteur) qu’ils génèrent une nouvelle image inspirée d’une photo célèbre.

© Brodbeck & de Barbuat

Exposition confins, QPN 2022

Faut-il qu’il y ait un photographe pour que ce soit de la photographie ?
On pouvait s’interroger lors de l’édition 2022 de la QPN, intitulée « Ici & ailleurs. L’une des expos, « Confins » , était une production du festival réalisée à partir d’images libres de droit de la NASA, de L’ESA …
Aucun opérateur photographe n’était à l’origine des clichés, seulement des machines, sondes, télescopes, réseaux de télescopes, le tout assemblé et interprété (couleurs et montages d’images composites) par des équipes d’ingénieurs.

Alors, qui fait quoi ?
On pourrait dire pas de photo sans photographe !
Mais cette assertion un rien péremptoire fonctionne de moins en moins bien, la photographie s’est hybridée et ses frontières se sont élargies, l’île est devenue archipel.
Et c’est peut-être la question du qui fait quoi que l’on devrait interroger.
A-t-on vraiment besoin d’y répondre ?

INFORMATIONS PRATIQUES

mer06nov(nov 6)11 h 00 mindim08déc(déc 8)19 h 00 minRéseau LUX #121 festivals et foires de photographie s ’exposentLa Poste Rodier, Ancien centre de distribution du courrier, 30-32, rue Louise-Emilie de la Tour d’Auvergne 75009 Paris

ven18oct(oct 18)10 h 00 mindim17nov(nov 17)19 h 00 minQPN 2024 : 28ème Quinzaine Photographique NantaiseIllusionChâteau des ducs de Bretagne, 4 Pl. Marc Elder, 44000 Nantes

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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