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Finaliste au Festival de Hyères 2022, (Grand Prix première vision) autour de la marque franco-brésilienne Mipinta, Alizée Loubet réoriente sa pratique artistique et intègre Williewillie studio, résidents au sein de Reset Atelier après une formation à la Cambre et aux Beaux-arts de Bruxelles. Je la rencontre à l’occasion de l’exposition collective Somehow we manage (WillieWillie studio) qu’elle partage avec 15 artistes dont Aline Bouvy et Deborah Bowmann. Alizée souligne l’opportunité offerte par l’atelier autour d’une mutualisation des pratiques et des savoir-faire partagés et le rôle de Bruxelles dans son parcours.

Elle revient sur ce qui l’anime autour des territoires de pouvoir et de l’univers du football à partir d’une pratique entre sculpture, installation et textile. Dans ce bâtiment de l’élégant quartier de la cathédrale également occupé par des traders et des fonctionnaires, le collectif apporte une autre réponse au capitalisme ambiant. Alizée a répondu à mes questions.

Portrait Alizée Loubet, photo Laurent Stroobants

Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous arrivée à Bruxelles ?

Je suis arrivée ici pour faire de la mode à La Cambre puis je me suis réorientée avec les Beaux-Arts de Bruxelles, en section Art dans l’Espace Public (AeSP). C’est une section multi-médium (vidéo, sculpture…), ce qui m’a permis de développer ma pratique. En parallèle de mon Master, j’ai suivi une formation en maroquinerie aux Arts et Métiers, un côté très technique. Puis j’ai lancé une marque de mode avec un ami Fernando Miró autour du vêtement masculin, présentée notamment au Festival de Hyères (mode et accessoires). A la suite de notre séparation, j’ai intégré cet atelier et établis mon parcours professionnel en m’équipant pour devenir un atelier de maroquinerie fonctionnel. J’ai travaillé pour des artistes et créateurs de mode sur certains projets et je me consacre à présent à ma pratique artistique.

Comment avez-vous intégré le collectif ?

Cela s’est fait via Willie Morlon avec qui j’ai étudié, également finaliste à Hyères en 2024 mais pour la Design Parade dont il a remporté le Grand Prix Van Cleef & Arpels. Je connaissais quelques personnes de l’atelier et cela s’est fait en 24h.

Vous êtes situés dans l’hyper centre, tout proches de la cathédrale

La cathédrale est un monument très imposant qui dégage quelque chose. On l’entend sonner toute la journée. Étant donné que nous sommes assez enfermés ici à travailler, parfois sans se rendre compte du temps qui passe, lorsque l’on sort, on prend une grande respiration !

Quel est le mode de fonctionnement de l’atelier ?

Si cet atelier fonctionne bien et si nous nous sommes bien trouvés, cela s’explique par nos techniques très poussées. Il y a un côté artiste-artisan qui se sent dans les productions que l’on peut voir dans l’exposition. Nous avons chacun.e des savoirs-faire de haut niveau que l’on peut échanger. En ce qui me concerne, mes opportunités de travail se sont beaucoup créées ici.

Vue de l’exposition « Somehow we manage », WillieWillie Studio, Reset Atelier Alizée Loubet « MEDI-TERRENO : grand filet » – 2025 courtesy the artist

L’une de vos installations très forte est placée dès l’entrée de l’exposition : qu’est-ce-qui se joue dans cette enfilade de ballons ?

J’aime proposer de grandes installations. Au début je créais des objets que j’utilisais dans des vidéos. C’est la première fois que je réalise une série de pièces en cuir. Elle fait partie d’une plus grande série de travaux qui s’intitule MEDI-TERRENO. Je l’ai commencée avec un film lorsque j’étais aux Beaux-arts qui traite du monde du football, des rapports au territoire. Mon travail s’articule autour de la question : comment les hommes définissent le territoire. Le monde du football m’intéresse particulièrement à cet endroit. « Medi-Terreno » pointe en même temps le milieu du terrain comme lieu de rencontre et d’échange entre deux équipes avec tout ce que cela peut impliquer de transactions économiques, financières, géo-politiques, mais aussi « méditerranée » comme plus grand espace d’échange pour notre civilisation. Mon premier film était focalisé sur l’espace sacralisé de la pelouse, je l’avais réalisé au Stade Roi Baudoin que j’avais pu investir pendant 6 mois,lors des phases de confinement, il était alors vidé de son activité. On se trouvait aussi dans le paysage, un rapport dans lequel mes pièces viennent s’ancrer. Ce sont des objets que j’imagine toujours comme inclus dans un paysage. C’est le cas ici avec les ballons. Je voulais repartir sur de la sculpture en volume et en même temps travailler le cuir. Ces pièces s’articulent autour du titre de la série « milieu de terrain » et « méditerranée » et j’y investis le motif standard du ballon qui est une image, un symbole emblématique, en l’incluant dans une narration fictionnelle autour d’objets maritimes.

Le football dans ce qu’il est aujourd’hui a quelque chose d’un peu mythique, mythologique qui traverse de l’Antiquité à nos jours.

Y-a-t’il un lien avec la masculinité ?

Les milieux d’hommes ont toujours été une curiosité en raison de leur dimension politique, des rapports de pouvoir et de force qui se jouent essentiellement entre hommes. Je n’ai pas travaillé exclusivement sur la masculinité mais j’avoue que quand j’étais dans la mode il s’agissait aussi de déconstruire la masculinité dans le vêtement. J’ai toujours été attirée par ces milieux assez hermétiques pour voir ce qui s’y passe.

Pouvez-vous nous décrire la pièce derrière vous, cette grande toile en damiers rouge et blanc ?

Il s’agit d’une grande peau de cuir à la taille d’une peau de bœuf mais constituée de plusieurs peaux avec à l’avant un motif hachuré rouge et blanc. Intitulée : « Uti possideti juris : didon », elle parle du mythe de Didon de Carthage qui relève aussi d’une question de territoire. Didon, princesse Phénicienne quitte ses terres en emportant tout un trésor pour aborder les côtes de l’actuelle Tunisie après un long périple. Elle demande au Seigneur local un espace pour fonder une cité, la cité de Carthage. Il lui accorde moyennant une condition : celle-ci doit tenir dans la taille d’une peau de bœuf. Didon va alors couper la peau en fines lanières afin de former un territoire et encercler une colline qui sera la colline de Carthage. Nous sommes moins dans le rapport de force mais plutôt dans un jeu, un tour de passe-passe. Cette pièce a été montrée dans une exposition du Comité Informel à la Brasserie Illegaal à la périphérie de Bruxelles qui s‘appelait les Bacchanales.

Vue de l’exposition « Somehow we manage », WillieWillie Studio, Reset Atelier Alizée Loubet, « MEDI-TERRENO : bouées 1 à 8 » (premier plan) 2025 courtesy the artist

Avez-vous noué des projets avec d’autres artistes de l’atelier ?

J’ai travaillé pour Deborah Bowmann et Leo Luccioni en produisant certaines de leurs pièces. C’est ce que permet cet échange de savoir-faire.

Paris/ Bruxelles

Cela fait 10 ans que je suis à Bruxelles depuis l’âge de 19 ans.

C’est une vraie chance d’être ici. Cela commence par la présence de nombreuses écoles d’art public, par rapport à la France où il y a une école des Beaux-arts par ville. Cela créé tout de suite un énorme réseau qui se poursuit après. Nous avons des conditions de travail exceptionnelles pour une grande ville. Même si c’est très compliqué d’être artiste, cela reste envisageable ici avec de nombreuses opportunités. Il y a toujours un flottement après les écoles qui ne préparent pas à tout, donc 1 an ½ qui est vraiment difficile.

Marseille attire de plus en plus d’artistes, une ville comparable à Bruxelles ?

C’est très jeune avec une scène très émergente. Il y a quelques années beaucoup d’artistes ont commencé à partir là-bas y compris de Bruxelles. Une énergie nouvelle qui a attiré beaucoup de monde. Peut-être que la ville n’était pas préparée à un tel phénomène, alors qu’à Bruxelles il y a une longue tradition autour de la jeune création. Ces deux villes partagent peut être une certaine simplicité de vie et de contacts.

La visibilité offerte par Art Brussels

Nous avions envie de mettre en valeur l’atelier à cette occasion, mais nous créons un projet de foire intitulé Artist-Run Fair, qui se déroulera juste après. A cette occasion nous invitons une dizaine de collectifs de curateurs et/ou Run Spaces européens à faire des propositions audacieuses dans notre espace. Si cette première édition est un succès l’idée l’année prochaine serait plutôt de proposer cette foire en même temps qu’Art Brussels. Nous avions d’abord envie de montrer quelque chose collectivement et d’exister, de nous présenter en tant que groupe. Figurer sur le parcours OFF de la foire est un vrai plus.

L’occupation ici reste temporaire

C’est la règle du jeu de cette aventure et le lot des artistes !

Suivre l’artiste :
@ali_coptere

Pour compléter : relire ma rencontre à Marseille avec le collectif Atelier Lautard fondé par Rebecca Brodskis et qui prépare une super expo à l’occasion du Pac Marseille.

INFOS PRATIQUES :
Somehow We Manage
Group show
Exposition terminée
Soon …
Artist-run fair
15-18 mai 2025
Reset Atelier
Place Sainte-Gudule, Bruxelles
Williewilliestudio
Reset Atelier
Art Brussels, Off program
off programme

City Guide/Organiser votre venue à Bruxelles :
https://www.visit.brussels/fr/visiteurs
https://www.eurostar.com/fr-fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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