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Covid-19 et l’art : Marion Papillon, Présidente Comité professionnel des galeries d’art, directrice galerie Papillon

Temps de lecture estimé : 7mins

Nous poursuivons notre tour des acteurs de l’art brusquement impactés par une situation sans précédent avec Marion Papillon à la tête du Comité professionnel des galeries d’art qui réagit avec prudence et lucidité pour l’ensemble de l’écosystème de l’art à Paris.

Comment réagissez-vous face à cette crise sans précédent au niveau de votre galerie et en quoi cela représente t-il un défi majeur et inédit ?

Nous venions tout juste d’ouvrir une nouvelle exposition, Charles Le Hyaric dont nous avions fait le choix de maintenir le samedi 14 mars car il était compliqué de ne pas tenir nos engagements vis-à-vis de l’artiste et des équipes impliquées. Elle est depuis bien évidemment fermée mais en place à la galerie. Nous avons assez rapidement décidé de modifier notre programmation pour pouvoir donner de la place à cette exposition à la réouverture de la galerie pour ne pas pénaliser l’artiste. Mais nous n’avons pas fait le choix de la montrer autrement et j’y reviendrai, préférant engager un rapport physique. Nous préférons travailler sur nos expositions hors les murs sur lesquelles il y a aussi un vrai impact. Certaines n’ont pas pu être ouvertes, ne sont pas visibles alors qu’elles étaient prêtes et ne pourrons pas toutes bénéficier de report ou de rallonge. Nous souhaitions leur donner aussi de la visibilité. Cela concerne notamment l’exposition de Cathryn Boch qui devait ouvrir à Kerguéhennec dans les écuries de ce merveilleux domaine sur laquelle nous allons plutôt communiquer à distance. Il est compliqué de s’organiser face à cette situation inédite où notre public est privé des œuvres et chercher d’autres solutions qui ne remplacent en aucun cas la rencontre physique.

Les solutions virtuelles et digitales comme pour la foire Art Basel avec les « OnLiningViewing Rooms » ou les musées et leur virtual tour, vous semblent-elles indispensables pour donner la visibilité nécessaire à vos expositions événements associés pendant cette période ?

Je ne pense pas que cela soit une alternative. Et si cela a fonctionné, cela concerne de grosses galeries telles que David Zwirner ou Gagosian qui travaillent en ligne déjà depuis quelque temps avec une équipe dédiée. Zwirner a lancé sa plateforme depuis 2017. Mais cela ne peut en aucun cas se substituer à la rencontre dans l’espace, le contact humain…Nous savons que c’est une nouvelle manière de montrer des œuvres, d’engager une rencontre ou un intérêt qui se concrétise ensuite par un rapport physique. Au delà de cette crise des solutions vont rester car on aura réussi à trouver des idées intéressantes. D’ailleurs en ce qui concerne par exemple l’exposition de Cathryn Boch à Kerguéhennec je m’étais interrogée déjà avant la crise, pour pouvoir donner de la visibilité à ce type d’expositions à des gens qui ne peuvent se déplacer dans un musée ou un centre d’art en France ou ailleurs. Encore une fois cela ne constitue pas une alternative à 100%. Pour l’exposition Charles Le Hyaric nous allons en dévoiler certaines parties mais pas la totalité afin de continuer à alimenter le désir.

En tant que Présidente du comité professionnel des galeries d’art, quels risques menacent la profession et les mesures annoncées par le gouvernement vous semblent-elles adéquates et suffisantes face à la fragilisation possible de tout un écosystème ?

Depuis le 14 mars au soir toutes les galeries sont fermées et pour une durée indéterminée, ce qui est évidemment très dur, les galeries réalisant leur chiffre d’affaires dans leur espace et les foires, ces dernières étant reportées ou annulées, cela décale d’autant plus les possibilités. On va se rendre compte d’un vrai manque à gagner qu’il sera difficile de combler concernant le report éventuel de ces ventes entre mi mars à mi mai, le temps de rouvrir mais surtout on sait déjà que la relance sera difficile. On a vu par le passé après différentes crises que ce soit la crise financière de 2008 et plus récemment l’épisode des Gilets Jaunes et les grèves, que l’impact est lourd sur nos galeries, le temps que les collectionneurs soient de nouveau dans un élan d’acquisition. Le contexte économique a toujours un impact sur l’envie de l’acheteur. Nous savons que la relance peut aller sur 6, 12 voir 18 mois après une crise. En ce qui concerne les mesures prises par l’État sur les entreprises, les galeries peuvent s’appuyer dessus, même si ce n’est pas toujours facile pour nos structures des TPE de remplir toutes les cases. Nous devons mettre nos salariés en chômage partiel n’accueillant plus de public sur place. On peut avoir recours au télétravail mais pas à 100% de notre activité comme par exemple pour un régisseur. Nous ne connaissons pas encore tout le détail des mesures annoncées même si celles du CNAP commencent à être plus précises et s’appuient sur un travail d’échange avec eux très en amont. Mais il est vrai que l’enveloppe globale dédiée à la culture paraît faible au regard des pertes et manques à gagner de l’ensemble du secteur culturel et plus particulièrement des arts visuels, ce sur quoi nous travaillons. Si nos confrères du livre, de la musique ou du théâtre ont d’autres manières de comptabiliser leur manque à gagner, nous allons devoir le démonter également car cette enveloppe sera très en deçà de nos attentes.

Quel impact peut avoir selon vous un tel séisme sur le monde de l’art ? et restez-vous positive ?

Il est compliqué de rester positif sur les répercussions, en revanche il est essentiel de continuer à rester positif au niveau de la galerie pour poursuivre l’ accompagnement de nos artistes et le travail non seulement de nos équipes mais de tout un écosystème. Si une galerie n’a pas énormément de salariés au vu de ses moyens, elle implique beaucoup d’emplois induits, tels que les encadreurs, transporteurs, régisseurs, restaurateurs d’art, critiques.. Il va falloir que la machine entière se remette en route et dans le respect des uns et des autres. Il est donc important que les institutions et les collectionneurs continuent à passer par les galeries et que l’on puisse faire activer les 1% des commandes publiques, ce qui n’est pas toujours le cas, pour s’assurer la pérennité de l’activité des artistes et des galeries. J’espère que ce séisme va nous permettre cette prise de conscience d’une nécessaire éthique comportementale commune.

Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entraine des changements durables dans nos habitudes et comportements ?

On ne va pas non plus souhaiter que ça dure pour que cela ait un vrai impact ne sachant pas ce que l’on espère. Les musées et les institutions se sont beaucoup mobilisés pour donner à voir, et l’on espère que la culture et les arts visuels reprendront un peu plus de place dans la société et que cet élan ne vas pas disparaître aussi vite qu’il a surgit. On peut d’ors et déjà opérer un recentrage local qui ne manquera pas d’intérêt. Le recentrage écologique, même si je ne suis pas sure qu’il soit immédiat, sera plutôt induit par nos comportements. On va sans doute moins voyager, s’intéresser de nouveau à ce qui se passe autour de nous, et ainsi j’espère valoriser nos scènes respectives, ce qui sera déjà un vrai pas en avant.

INFORMATIONS PRATIQUES
#EXPO temporarily closed
Charles Le Hyaric, Azar Azur
#ARTFAIRS new dates
• 29.05-01.06 / Drawing Now Paris
• 25-28.06 / Art Brussels
Galerie Papillon
13 rue Chapon
75003 Paris
http://www.galeriepapillonparis.com/

À LIRE
Rencontre avec Marion Papillon, Art Brussels et Choices Paris 2019
Interview croisé entre la galeriste Marion Papillon et Léa Chauvel Lévy commissaire de « Leur printemps » Paris Gallery Weekend #5
COVID-19 et Les conséquences sur l’art

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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