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Carte blanche à Georges Rousse : Géométrique / Figuratif

Temps de lecture estimé : 4mins

Pour sa première carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe Georges Rousse nous parle de l’évolution géométrique dans ses anamorphoses et nous dévoile la façon dont il a appris à dessiner dans l’espace tridimensionnel. Pour cela, il revient sur un projet réalisé l’an passé à Nantes. L’occasion également d’établir une réflexion sur les racines mathématiques.

Nantes le 23 01 2019.

Il y a un an à Nantes, j’évoluais vers des formes différentes de mon vocabulaire géométrique habituel. Depuis quelque temps déjà, je m’efforçais d’aller dans cette direction sur certains projets. Comme à Matsushima au Japon où j’ai travaillé après le tremblement de terre, plus de 20 ans après mon intervention à Kōbe, dans la même situation d’urgence, avec peu de moyens, accompagnés par des étudiants, des artistes, des professeurs, des galeristes qui cherchaient à échapper au discours politique officiel, rassurant et menteur.

La géométrie, rébarbative pour certains me ramena en l’occurrence vers une certaine poésie. Dans la baie de Matsushima dévastée, ce n’est pas la forme géométrique du pentagone que je choisis mais le pentagramme comme représentation de l’étoile, l’astre symbole de l’espoir qui guidait les marins de l’ancien temps. Après quelques autres étoiles dessinées pour cette symbolique d’orientation, je souhaitais revenir à la géométrie pure.

J’ai toujours été séduit par la terminologie mathématique, ce langage nourri de mots et de concepts d’origine grecque. Je m’intéressai aux recherches d’Euclide, de Platon, de Descartes sur le tracé du Pentagone, de Léonard avec le dodécagone …
Ce texte des Chants de Maldoror que j’avais déjà choisi pour mon catalogue des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles de 1986* me revint ainsi que mes souvenirs. J’aime savoir que l’origine du mot

O Mathématiques sévères je ne vous ai pas oubliées, depuis que vos savantes leçons, plus douces que le miel, filtrèrent dans mon cœur, comme une onde rafraichissante. J’aspirais instinctivement, dès le berceau, à boire à votre source…

« Mathématiques » vient du grec « Manthanein » que l’on traduit par apprendre, comprendre.

Et, de l’école, c’est bien la poésie mathématique que je retins, les yeux dans le vide virtuel de l’espace et des plans qui se croisent. Avec la photographie, Je compris rapidement que tout devait s’organiser à travers l’objectif de mon appareil photographique pour dessiner dans l’espace comme on apprend à le faire à l’école, lorsque l’on étudie, en géométrie, l’intersection d’une forme avec différents plans. C’est au quotidien que j’appris à dessiner dans un espace tridimensionnel une forme qui serait vue par la suite plane et photographique.

A Nantes donc, je fis avec jubilation une série de formes géométriques. Dans une pièce du rez-de-chaussée, je commençais par les formes de base, un carré, un cercle, et un triangle, réunis mais à l’étage, ce fut un ennéagone (nom savant d’un polygone à 9 côtés) et un dodécagone, un polygone à 12 côtés qui s’emparèrent des pièces vides dont je morcelais les murs en une multitude de carrés et rectangles brouillant la lecture du lieu devenu entièrement géométrie aléatoire.

Nantes le 01 04 2019.

© Georges Rousse

Si mes premières œuvres des années 80 étaient figuratives et si très vite je passais à l’abstraction, je n’ai pas de systématisme dans mon travail. Souvent, le lieu m’inspire. A Nantes, la surprise vint avec la bibliothèque de Monsieur Dobrée. Au-dessus de la cheminée trônait son portrait en demi-grandeur, un coude appuyé sur la margelle d’un puits. J’y vis immédiatement une référence au fameux tableau des Ambassadeurs d’Holbein. Secrètement, sans rien dévoiler, je prévins les personnes qui m’assistaient que la prochaine œuvre ne serait pas une forme géométrique. Intrigués, ils réalisèrent avec moi dans le bonheur des gestes de la peinture, retrouvés, une double anamorphose. Peu à peu, le crâne, symbole de l’impermanence de l’homme dans l’univers se dessine devant la cheminée reproduisant la fameuse forme bizarre du tableau d’Holbein sur les éléments de la pièce. L’anamorphose est dans le lieu mais aussi dans la photo. Dans un format suffisamment grand, en se positionnant comme pour le tableau d’Holbein, le crâne apparait dans la photo sur le côté droit proche du sommet.
Je ne pouvais pas manquer cet hommage funèbre.
La pièce bien que toute en bois, avec des teintes chaudes, est ici reproduite en noir et blanc comme toutes les images qui accompagneront ma semaine 9lives, un peu comme si cette photo n’avait pas encore trouvé son statut définitif parmi mes œuvres.

*1986 Georges Rousse suivi d’un extrait des Chants de Maldoror de Lautréamont – Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles/Éditions Actes Sud. Texte de Michel Enrichi, illustrations en couleur.

https://www.georgesrousse.com/

La Rédaction
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