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Covid-19 et l’art : Catherine Chevillot, du Musée Rodin « Le réseau des musées de France est un fer de lance de la politique culturelle de la France, notamment en matière d’Education artistique et culturelle, que les pays étrangers nous envient »

Temps de lecture estimé : 6mins

Nous poursuivons notre tour des acteurs de l’art brusquement impactés par la crise. Nous avons interrogé Catherine Chevillot, directrice du Musée Rodin sur cette crise sanitaire qui touche tous les secteurs de la culture. Leur exposition consacrée à la sculptrice britannique Barbara Hepworth a fermé ses portes plus tôt que prévu.

Comment vous organisez-vous au sein du musée Rodin pour faire face à cette situation si particulière ?

Le musée a pu mettre en place dans les temps impartis de bonnes conditions de travail à distance pour tous les agents pour lesquels c’était nécessaire, soit une soixantaine de personnes. La cellule de crise du musée a joué son rôle et nous avons bien sûr hiérarchisé les tâches : assurer la protection des agents et organiser la sécurité du musée, ces équipes étant présentes in situ 24h/24 ; garantir un bon fonctionnement de nos systèmes d’information ; et assurer le service de la paye, ce qui mobilise en priorité les Ressources humaines, les Affaires financières et l’Agence comptable. Certains emplois postés ont été dirigés vers des formations en ligne.
Ensuite, dès la mise en place du confinement, notre souci a été de mettre en place un management adapté, de donner des bonnes pratiques, et de lutter contre l’effet d’isolement que peut amener cette situation. Les personnes sont dans des positions très hétérogènes selon qu’elles soient seules ou non, en studio ou dans un appartement avec balcon, etc. L’encadrement doit veiller à maintenir le lien et s’investir dans l’animation beaucoup plus que d’habitude. Grâce au dialogue avec les représentants du personnel, nous sommes en train d’adapter notre stratégie de communication avec les équipes.

En cette période de confinement nombreuses sont les propositions digitales des musées et institutions au risque parfois d’aller vers une surenchère, le message de Rodin n’est-il pas plutôt de laisser place à la contemplation ? Quelles sont vos priorités ?

Nous avons mobilisé comme les autres établissements nos ressources pour mettre à disposition des contenus, qui peuvent être visuels ou textuels. Il en faut pour tous les goûts : par exemple, un feuilleton racontant la vie de Rodin sur un ton un peu léger a amené une vague d’abonnement à nos réseaux sociaux. Un agent de surveillance est assez doué pour la photo, et est sur place pour la sécurité : nous avons choisi de publier en ce moment ces images sur les réseaux en intitulant la série Contemplation, justement. C’est aussi l’occasion de faire découvrir les ressources cachées du musée, comme les collections de Rodin : 6 500 pièces !!! Le fonds Egyptien est proposé à l’exploration dans #Culturechezvous.

Quels impacts selon vous cette crise va générer au niveau du monde de l’art et son écosystème parfois fragile ?

Les répercutions vont être énormes économiquement, et déjà les nouvelles de certains collègues américains sont préoccupantes. Le système français est très protecteur, une très grande partie des musées étant public. Mais parmi les musées publics, la plus grande part sont municipaux, et ma crainte est que les communes remettent en cause l’existence et le fonctionnement des petites institutions si elles doivent réduire la voilure. La culture est souvent ce qui saute en premier, surtout la culture sur le temps long, au profit de l’événementiel. Ce sont déjà des structures fragilisées, qui peuvent être emportées par la tempête. Or le réseau des musées de France est un fer de lance de la politique culturelle de la France, notamment en matière d’Education artistique et culturelle, que les pays étrangers nous envient. Je suis sûre que le ministère sera très vigilant quant à son devenir.

Quels scénarii de reprise sont possibles selon vous et à quel horizon ?

Les conséquences de cette crise ne seront pas limitées à 2020 : les scénarios étudiés actuellement par l’Office du tourisme de Paris évaluent la reprise en années. Après la plus grosse crise précédente, qui certes était certes d’une nature très différente (les attentats de 2015), le secteur culturel a mis trois ans à retrouver un fonctionnement à peu près normal. Personne ne peut dire comment se passera 2021, mais il est acquis en revanche qu’il serait présomptueux de prétendre relancer rapidement l’année touristique 2020.
Le musée Rodin, lui, est autofinancé en totalité, et va subir de plein fouet l’impact économique de la crise. Nos dernières estimations fondées sur une reprise du travail le 11 mai et une réouverture à l’été chiffrent les pertes à plus de 4 millions… sur un budget de 11 millions, c’est colossal.
Mais bien sûr, les bouleversements ne sont pas seulement économiques : toute la programmation culturelle va devoir être bouleversée, à commencer par l’agenda des expositions in situ et hors-les-murs. Le calendrier des événements doit être reconstruit.

Cette prise de conscience globale d’un nécessaire rééquilibrage de notre système et ressources, conduira-t-elle selon vous à de nouvelles manières d’appréhender l’art, de le montrer et le partager ?

Si une chose a été mise en évidence à l’occasion du confinement, c’est que dans les situations de crise, on se tourne naturellement vers la culture pour consolider, voire retrouver, le lien et le sens. Par ailleurs, il est assez spectaculaire de voir la masse de ressources numériques que les institutions culturelles, de la musique aux archives, des musées à la lecture, ont rassemblée et mis en valeur dans les premières semaines ! Cela montre qu’un tournant a été pris grâce aux politiques publiques fortes en matière de numérisation, dématérialisation, etc. Les communautés sur Facebook (223 000 fans) et Instagram (206 000 abonnés) suivent assidûment les posts du musée et apprécient la diversité de ce qui est proposé.
Une collègue disait récemment que cela allait peut-être nous amener à revoir certaines frontières dans nos organisations : le lien avec le « tout public », l’image du musée à l’extérieur est portée par les services de communication ; mais la demande de médiation est tellement forte qu’elle conduit presque à un changement de nature et de la communication, et de la médiation ; une sorte de « commédiation » ? Cela va peut-être nous faire faire un bon dans la façon de diffuser la culture, de dialoguer avec les publics.

INFORMATIONS PRATIQUES
Musée Rodin
77 Rue de Varenne
75007 Paris
http://www.musee-rodin.fr/
Prochainement :
Une exposition, deux lieux
Picasso – Rodin
Du 15 septembre 2020 au 21 mars 2021

A LIRE
Rencontre avec Catherine Chevillot, conservateur général musée Rodin et co-commmissaire de l’exposition Barbara Hepworth

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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