L'Invité·e

Carte blanche à Nathalie Locatelli : Hommage au photographe Michel Nachef

Temps de lecture estimé : 5mins

Pour sa troisième carte blanche, notre invitée de la semaine, Nathalie Locatelli – la fondatrice et directrice de la galerie 127 – souhaite rendre hommage à Michel Nachef, décédé mardi dernier, à l’âge de 84 ans. Ce photographe né au Liban a vécu au Maroc durant plus de 5 décennies, il compte ainsi parmi les photographes contemporains étrangers à avoir photographier ce pays.

J’avais décidé pour cette carte blanche de pratiquer uniquement des chemins de traverse de la photographie et de ne pas parler d’un·e photographe de la galerie plutôt qu’un autre. Pourtant, l’actualité m’oblige à déroger à mon intention première et de rendre hommage à celui qui nous a quittés hier.

Michel Nachef, né au Liban, est le photographe contemporain étranger qui aura constitué depuis 50 ans le corpus le plus important de photographies du Maroc.
Arrivé a Salé pour y être instituteur, il profite de ses vacances scolaires pour découvrir le pays. Fils de maçon, il est passionné d’architecture et n’aura de cesse que d’arpenter les villes impériales, Tétouan, Tanger, Salé, Rabat, Meknes, Fes, Aljedida, Marrakech et Essaouira. Il débute alors un travail de « mémoire ».

Il repart au Liban, puis Amman, puis Jerusalem pour revenir une dizaine d’années plus tard au Maroc. Pendant 25 ans, il travaillera avec la Direction de l’Architecture dans le cadre des « Repères de la mémoire », projet mis en place dans le but d’actualiser les photographies anciennes stockées dans les archives.
Il décide ensuite de travailler sur les « moussems ».

« Les moussems …, l’époque de ma vie où j’ai réalisé que les photographies sont une reproduction exacte, structurée dans son ensemble, sans rien perdre du lieu et de l’époque, de toute l’activité humaine. J’ai éprouvé alors le sentiment très fort que je devenais archiviste comme un témoin fidèle, que j’archivais une mémoire qui n’appartenait pas qu’à moi seul mais qui était partagée par beaucoup – alors j’ai eu envie soudain de tout photographier . Il a fallu organiser mon activité, repérer les thèmes, travailler sur un thème à la fois, en faire le tour complet avant de passer à un autre. Moulay Bouslhem, c’était un moussem unique qui a disparu depuis une quinzaine d’années pour plusieurs raisons.
Les terrains qui accueillaient les différentes tribus avec leurs tentes, leurs familles et leurs chevaux, ont été transformés en zones industrielles et des immeubles d’habitation. Lorsqu’il fallait accueillir entre 3000 et 4000 personnes pendant une semaine sans avoir prévu ni sanitaires, ni ramassage des ordures, cela devenait tel que lorsque les gens partaient , ce qu’ils laissaient derrière eux était indescriptible et extrêmement insalubre. Mais quel moussem ! Je ne voyais pas les fantasias. Ce thème était épuisé et n’avait déjà plus d’intérêt tant il a été peint, photographié, commenté, décrit. Pourtant je pense avoir fait des photos esthétiquement bien composées de chevaux, de tentes et de population. Mais surtout, à Moulay Bouslhem, il y avait une quantité énorme d’autres thèmes.
J’ai vu les femmes se baigner avec une simple chemise de nuit, heureuses, souriantes, saines et si belles lorsqu’elles sortaient de l’eau avec leur fine chemise mouillée, collée sur leur corps.
Les hommes, abrités du soleil sous leur parapluie, formaient une rangée au bord de l’eau sans doute pour protéger les femmes, intervenir en cas de danger. Il y avait un bien-être dans leur corps, qui rayonnait autour d’elles. On ne sentait pas d’inquiétude, de fermeture sur soi, d’enfermement intérieur. Le corps en liberté exprimait l’esprit clair et ouvert sur l’extérieur, sur les autres. Les gens étaient bienheureux et moi aussi. J’étais heureux de les prendre en photo et eux étaient ravis que je souhaite les prendre en photo et se prêtaient volontiers à mon regard. Je pouvais travailler sans craindre de ne déranger personne. J’étais un photographe heureux.
J’y ai vu aussi les pêcheurs qui ramènent le poisson dans leurs barques fraîchement peintes de couleurs vives et leurs tractations, leurs gestes propres à leur métier : les filets à vider, à réparer puis à faire sécher, les araignées de mer que l’on conserve dans une nasse attachée au bateau qui reste dans l’eau assurant ainsi une grande fraîcheur au produit vendu à la dernière minute et aussitôt consommé.
J’y ai vu aussi la lagune avec les flamands roses qui savent se faire désirer après une heure de
traversée en barque. J’y ai vu la célébration du Saint de Moulay Bouslhem …les familles, les enfants qu’il faut arracher de l’eau où ils veulent sans cesse jouer. Toute cette vie je l’ai vue avec un vrai bonheur .»

Il ne dit pas « vécue », il dit « vue ».

Nous reste, nous les amis·e  de Michel, le « devoir » de faire en sorte que le travail de le grand amoureux du Maroc fasse l’objet d’une rétrospective- celle qu’il a longtemps attendue.
Lui qui disait avec son bel accent du Liban que le Maroc était une œuvre d’art qui s’ignore.

EN CE MOMENT À LA GALERIE :

sam12sep(sep 12)15 h 00 minsam03oct(oct 3)19 h 00 min1, 2, 3 SoleilTina MerandonGalerie 127- Montreuil, 7, rue Arsène Chéreau 93100 Montreuil


https://www.galerie127.com/

GALERIE 127 Montreuil
7, rue Arsène Chéreau
93100 Montreuil

GALERIE 127 Marrakech
127 avenue Mohammed V
40 000 Marrakech – Maroc

La Rédaction
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