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Interview Lisa Ortner-Kreil, curator « Gerhard Richter : Landscape » Bank Austria Kunstforum

Temps de lecture estimé : 7mins

Conservatrice à la Bank Austria Kunstforum de Vienne depuis 2013, Lisa Ortner-Kreil est à l’origine de l’exposition « Gerhard Richter: Landschaft » en partenariat avec le Kunsthaus Zürich. « Il n’y a jamais eu d’exposition comparable sur ce thème auparavant », explique-t-elle. L’exposition a été inaugurée à Vienne le 1er octobre et rencontre un immense succès, malgré la fermeture pour raisons sanitaires jusqu’au 6 décembre.

Elle nous présente également les projets d’art contemporain qu’elle a initiés en avril 2020 lors du premier confinement, aux côtés de Barbara Horvath, spécialiste de l’art dans l’espace public, afin d’amener l’art contemporain à succès international vers des lieux et des publics atypiques.

Portrait de Lisa Ortner-Kreil © Johannes Siglär

« Gerhard Richter: Paysage » en quoi cette exposition est-elle totalement différentes des précédentes qui ont eu lieu notamment à la Tate, au Centre Pompidou ou à la Fondation Beyeler ?

Le travail de Gerhard Richter est extrêmement vaste et varié, il était donc clair pour nous dès le début que nous voulions choisir un thème spécifique. Le thème du « Paysage » s’y prêtait tout particulièrement. Premièrement, parce que Gerhard Richter s’y est intéressé tout au long de sa carrière, de 1963 à nos jours. Et deuxièmement, parce qu’il n’y a jamais eu d’exposition comparable sur ce thème auparavant. Il s’agissait donc ici de combler une lacune et l’exposition revendique donc une approche rétrospective – liée au thème du « paysage » dans l’œuvre de Gerhard Richter. En outre, le thème du paysage résonne particulièrement bien avec les préoccupations de notre époque, beaucoup plus consciente de l’importance de la nature et de l’environnement qu’auparavant.

Gerhard Richter Oil on canvas, 51.4 x 71.8 cm (19 3/4 x 27 1/2 in.). Gift of Edlis|Neeson Collection, 2015.136., Inventar-Nr.: 2.015.136, , / The Art Institute of Chicago / Art Resource, NY

Pourquoi ce que Gerhard Richer parle des ces images comme des « oeufs de coucou » quel en est le sens ?

Richter évoque ses images « romantiques », créées à partir de 1968, comme des « œufs de coucou ». Ces images citent des motifs ou des principes de composition liés au romantisme allemand tel que l’on peut en voir chez Caspar David Friedrich : horizons lointains, ciels atmosphériques, absence ou mise au second plan de l’être humain, mais simultanément, Richter y laisse ses propres signes, panneaux signalétiques de rue ou ponts, par exemple. Ce que Richter veut signifier avec le terme « œufs de coucou », c’est que ces images prétendent venir d’un autre temps tout en posant des indices concrets signifiant que nous sommes bien au XXe siècle. Il s’agit bien sûr d’un artiste qui connait extrêmement bien la tradition picturale et il joue avec ces « images savantes du paysage » que nous portons tous en nous.

Quelle est la place de l’héritage du Romantisme et du Sublime dans sa peinture ?

Richter tout en appréciant et respectant le rôle que le paysage a pu jouer dans le romantisme allemand souligne en même temps les idéalisations et les instrumentalisations liées à celui-ci. Ses œuvres ont un rendu flou ou sont exécutées en série (comme avec ses célèbres tableaux Nuages ou ses Marines par exemple) – et il déconstruit ainsi par là même l’héritage du romantisme.

Comment faites-vous face à ce nouveau confinement et quelles alternatives digitales proposez-vous ?

L’exposition a été inaugurée à Vienne le 1er octobre et jouit depuis lors d’une immense popularité. Nous sommes bien sûr très tristes de devoir maintenir l’exposition fermée jusqu’au 6 décembre et nous espérons que nous pourrons alors la rouvrir très bientôt – dans le respect des mesures et réglementations nécessaires. Pendant la fermeture, le Kunstforum essaie de se concentrer davantage sur les actions pédagogiques et les programmes d’art en ligne, bien que nous soyons bien sûr conscients que l’expérience de l’exposition virtuelle ne peut remplacer une visite « en vrai ». Nous nous concentrons sur des formats qui offrent une sorte de « complément » à la visite de l’exposition, comme notre blog vidéo “Curators’ Diary“, dans lequel les conservateurs échangent au sujet des travaux à l’origine des expositions, ou le format “Viktoria Pfefferstein“, où une actrice accueille les visiteurs dans un salon virtuel afin de discuter des expositions en cours.

Gerhard Richter Wiesental, 1985 Öl auf Leinwand, 90,5 x 94,9 cm, GR 572-4
The Museum of Modern Art, New York.
Blanchette Hooker Rockefeller, Betsy Babcook, and Mrs. Elizabeth Bliss Parkinson Funds, 1985
© Gerhard Richter

Vous avez fondé avec Barbara Horvath, le programme art hoc projects lors du premier confinement : quels sont vos objectifs ?

Lors du premier confinement en avril 2020, j’ai fondé, avec Barbara Horvath, spécialiste de l’art dans l’espace public, l’initiative d’art contemporain “art hoc projects”, avec laquelle nous essayons de faire connaître l’art contemporain de renommée internationale dans des lieux et vers des publics atypiques. Un premier projet intitulé IN THIS TOGETHER vient d’être inauguré dans l’espace public de St. Pölten, une ville située à environ 70 km à l’ouest de Vienne. Les deux artistes Borjana Ventzislavova et Aldo Giannotti (tous deux nés dans différents coins d’Europe, mais vivant et travaillant à Vienne depuis de nombreuses années) interviennent sur les façades des bâtiments publics de la ville tels que l’hôtel de ville, la gare ou le Parlement du gouvernement de Basse-Autriche sur le thème “Quel rôle et quelle identité l’Europe a-t-elle en temps de crise ? IN THIS TOGETHER envoie un signal fort de solidarité et de cohésion dans l’espace public, qui a bien sûr été chargé d’un sens tout à fait nouveau du fait de la Covid-19 et du confinement. C’est en effet le seul endroit, actuellement, où l’on peut faire l’expérience de l’art dans la vie réelle. Sur notre site web www.arthocprojects.at, il est possible de voir des images de ce projet.

Gerhard Richter Venedig, 1986 Öl auf Leinwand, 86 x 121 cm, GR 606-3
Museum Frieder Burda, Baden-Baden
© Gerhard Richter

Quelles sont vos réflexions sur cette crise ?

Nous devons tous faire retour vers nous-mêmes, passant beaucoup plus de temps à la maison, avec notre famille, avec soi-même. Le système dans lequel nous vivons et travaillons est très développé mais reste incroyablement fragile, et il ne faut pas grand-chose pour que tout s’effondre. Je pense que la « crise » peut nous encourager à distinguer les choses importantes de celles qui ne le sont pas forcément et à réorganiser nos priorités et j’espère que nous pourrons sauvegarder certaines de ces expériences et de ces découvertes dans « le temps d’après ». Beaucoup plus de respect et de considération également pour les professions d’importance systémique, des soins infirmiers à la médecine, en passant par l’éducation et la garde d’enfants et l’approvisionnement alimentaire, par exemple. Nous devons également repenser la massification événementielle et la recherche constante de la maximisation des profits – car nous avons dépassé depuis longtemps le stade de la croissance pour la croissance. Pour les musées, les lieux d’exposition et les galeries, le confinement signifie avant tout une avancée majeure vers l’ère numérique – dont la scène artistique avait de toute façon cruellement besoin et qui n’aurait probablement pas eu lieu à un rythme si rapide – ainsi qu’une concentration sur le travail de collection et d’archivage, un domaine qui avait souvent été négligé les années précédentes.

Catalogue Gerhard Richter: Landscape edited by Lisa Ortner-Kreil, Hubertus Butin,Cathérine Hug, with contributions by Lisa Ortner-Kreil, Hubertus Butin, Cathérine Hug, Matias Faldbakken and T. J. Demos.

INFOS PRATIQUES
Gerhard Richter: Landscape
Jusqu’au 14 février 2021
Bank Austria Kunstforum
Freyung 8
1010 Vienne, Autriche
Réouverture le 6 décembre 2020
https://www.kunstforumwien.at

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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