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Rencontre avec Delphine Dumont, directrice du Hangar et de PhotoBrussels Festival

Temps de lecture estimé : 10mins

Pendant le premier confinement 420 artistes en Europe ont répondu au « Call for European Photographers » lancé par Hangar, le centre photographique de Bruxelles pour arriver à 27 lauréats choisis par un jury d’experts exposés pendant la 5ème édition de PhotoBrussels Festival. Delphine Dumont, fondatrice du festival revient cette initiative qu’elle a tenu à maintenir, la publication qui l’accompagne : « The World Within » et les regards que posent ces artistes sur cette période si particulière.

Portrait de Delphine Dumont

Le Festival Tour est aussi bousculé dans sa programmation et Delphine Dumont insiste sur la nécessaire résilience qui anime cette édition alors que de nombreux défis sont posés aux institutions culturelles belges tout comme en France.

Après un parcours de 20 ans dans la communication d’entreprise et les médias en France, Delphine Dumont arrive à Bruxelles, il y a 16 ans (septembre 2004), où elle crée une nouvelle agence de communication en même temps qu’elle supervise la restauration d’un hôtel de maître Art Nouveau, l’hôtel Ciamberlani. Amatrice d’art contemporain et particulièrement de photographie, qu’elle collectionne, elle crée l’évènement PhotoBrussels Festival en 2015. Elle prend la direction du Hangar en juillet 2016 avec pour mission la création d’un centre d’art à part entière, qui aujourd’hui est entièrement dédié à la photographie. Depuis elle y consacre tout son temps. Elle est à la fois gestionnaire du lieu et co-commissaire des expositions qui y sont organisées.

À quand remonte votre rencontre première avec le médium photographique ?

J’ai été plongée dans le médium photographique dès mon enfance. Mon père ayant fait la guerre d’Indochine a toujours été fasciné par le parcours de Robert Capa, dont j’ai beaucoup entendu parler ainsi que toute cette génération de photojournalistes. J’ai d’abord été fascinée par cet art du reportage de guerre et ces trajectoires et destins tragiques qui nous permettent et permettront aux générations futures de comprendre l’histoire de nos pays. Cette empreinte relativement inconsciente dans mon enfance s’est poursuivie tout au long de mon parcours.

© Julia Fullerton Batten / Brussels Festival 05

© Lucile Boiron | © Lucas Leffler / Brussels Festival 05

Quelle est votre définition de la photographie aujourd’hui ?

La photographie même si cela ne parait pas très original de le dire, est un medium complexe qui revêt des formes très variées et d’autant plus difficiles à décrire que nous sommes tous devenus photographes aujourd’hui. Pendant cette période de confinement l’on mesure à quel point l’image, les images prises par nos smart phones et captées sur tous les écrans se comptent par milliards. Nous sommes envahis d’images et nous en produisons nous-mêmes à longueur de journée. Dès lors la difficulté pour un centre d’art comme le nôtre, est de distinguer l’artiste parmi tous ces photographes. Nous sommes tous photographes mais pas tous des artistes. Le champ de la photographie ne cesse de s’élargir allant du photojournalisme jusqu’au plasticien contemporain qui utilise différents médiums dont la photographie et aux vidéastes, mais ce qui les rejoint est d’être des témoins de notre époque, la première fonction de la photographie restant le souvenir à l’instar de ces albums photos de nos grands-parents que nous gardons en nous. Voilà ce qui ressemblerait plus à une tentative de définition que d’arriver à un sens définitif et figé.

© Sarah Bouillaud / Brussels Festival 05

PhotoBrussels festival 05 : quelles décisions vous ont amené à son maintien ?

Nous maintenons cette édition car nous portons une programmation particulière autour des artistes confinés en Europe qui ont continué à travailler. Ce qu’ils nous livrent est tellement impactant et aigu en regard de cette situation que l’on vit, que nous avions une envie et volonté fortes de le partager. C’est aussi un engagement que nous avons pris vis-à-vis d’eux au moment de l’appel à projet du festival, que nous ne voulions pas ajourner de nouveau. C’est de plus une exposition que nous souhaitons faire voyager en Europe. Nous sommes en plein accrochage et très émus par ce que l’on présente sur nos murs. On a hâte que le public puisse revenir ce qui reste encore hypothétique car le gouvernement vient de se prononcer en faveur de mesures très strictes et contraignantes : réouverture des musées avec une jauge de 1 personne pour 10m².

© Gonçela Fonseca / Brussels Festival 05

Quel regard posent ces artistes sur notre crise ?

Ces 27 lauréats reflètent finalement nos différents contextes de confinements même si nous n’aurions pu l’exprimer avec ce regard d’artiste. Le point commun à tous est cette forme de résilience qui émerge et qui nous tenait à cœur de refléter étant animés de ce même sentiment qu’il fallait poursuivre malgré tout pour mettre cette période à profit et construire quelque chose, rebondir. Il y a aussi une certaine part de mélancolie. On retrouve toutes les situations possibles : un photographe confiné à la campagne, un autre sur son balcon en ville, seul ou en couple, comme cette photographe à Londres avec son compagnon qui a su être particulièrement créative dans une toute petite chambre et certains avec leurs enfants car de nombreux photographes se sont retrouvés en famille. Il y a aussi des compositions qui sortent purement de l’imagination, par le biais de la vidéo, du collage, des portraits. On traverse finalement toute la typologie de la photographie contemporaine.

© Gabriele Galimberti / Brussels Festival 05

Quelle dotation financière accompagne le festival ?

La dotation globale était de 30 000€ répartis entre chaque lauréat. Nous finançons la production de l’exposition en leur donnant cette visibilité à travers notamment sa promotion.
A noter également que le lauréat du « Coup de cœur Leica » recevra un Leica Q2 le jour du vernissage.

La publication The World Within

A chaque édition du festival nous proposons une édition en général sous la forme d’un catalogue alors que cette année nous avons choisi d’aller plus loin ayant réalisé que nous avions une mission presque de l’ordre historique pour en quelque sorte laisser une trace aux générations post confinement. C’est un livre de plus de 300 pages et nous présentons non pas une photo par lauréat mais une dizaine par série afin que chacun puisse vraiment rentrer dans l’œuvre. Nous avons laissé carte blanche au designer qui s’est occupé du graphisme. Nous l’avons ensuite élargi aux participants qui le souhaitaient et plus de la moitié a accepté cette proposition. C’est un panel très large qui nous fait voyager dans tous les pays d’Europe mais quel que soit le pays, le vécu de confinement reste presque le même.

© Yann Laubscher | © Laure Vasconi / Brussels Festival 05

Le festival Tour : quels impacts de la crise ?

Le festival est assez compliqué à finaliser pour nous car les dates risquent de changer selon les annonces qui vont être communiquées et nous allons devoir recontacter chaque lieu pour savoir s’il est possible de maintenir. Tout reste encore en suspens mais nous avions imaginé de belles collaborations notamment avec le musée Juif de Bruxelles qui expose de la photographie, avec Geopolis, centre de photojournalisme, ou avec une nouvelle galerie « l’Enfant sauvage ».

Quelle est la vocation première de Hangar ?

Hangar est le centre photographique de Bruxelles, ce qui était notre but à atteindre grâce à ce festival que j’ai créé en 2016 lui donnant ainsi cette légitimité. Nous n’exposons que de la photographie contemporaine dans une dimension émergente proche des écoles d’art et des artistes. Nous avons envie de soutenir les jeunes talents. Nous avons à la fois des expositions dans notre espace principal, sur plus de 1000m² et trois niveaux de plusieurs mois et également un espace plus petit, une galerie à l’entrée avec des expositions plus fréquentes dédiés aux jeunes talents que nous avons repéré en écoles d’art ou ailleurs.

Quels défis nous attendent dans l’art à plus ou moins long terme ?

Ce deuxième confinement aura fait beaucoup de dégâts car il créé de nouvelles « mauvaises » habitudes chez le public par rapport à sa manière de fonctionner et d’interagir. Il va falloir, le jour à tout sera redevenu normal ,réhabituer le public à revenir nous voir en confiance, suivre des conférences, participer à des vernissages, rencontrer les artistes, être proche les uns des autres, dialoguer et se rencontrer. Cela va être l’un des grands défis à mon sens et nous sommes tous concernés dans le monde de l’art avec une relative incertitude sur les foires et sur la survie de certains modèles économiques. Je pense aussi aux galeries qui défendent non pas les artistes déjà établis et soutenus par des collectionneurs mais les plus jeunes avec cette année blanche au niveau de ces foires qui restent un lieu incontournable pour beaucoup de ces galeries. Cela va être compliqué.

Ce que l’on a remarqué au moment de la réouverture en juin c’est la façon nouvelle du public d’aborder l’art avec une plus grande motivation et un temps de visite allongé. Allons-nous pour autant vers un slow art comme le disent certains ? vers un rapport différent aux œuvres d’art ? Nous allons ouvrir le 21 janvier si cela est confirmé d’ici là le festival mais sera-t-il possible d’envisager un vernissage en tant que tel avec des jauges si limitées ?

© Marguerite Bornhauser / Brussels Festival 05

Vos réflexions personnelles sur le soutien apporté à l’écosystème par les pouvoirs publics

Indéniablement le soutien du gouvernement belge a été moins important que celui du gouvernement français. La culture est aussi en Belgique le parent pauvre de cette histoire étant jugée également ici comme bien non essentiel, les combats restent donc les mêmes. La situation du Hangar est particulière car il appartient à un collectionneur et mécène belge Rodolphe de Spoelberch, qui a décidé de soutenir les artistes à travers cet appel à projets, les lauréats ayant reçu une contribution financière pour leur production. Je ne suis pas au courant de toutes les transactions qui sont faites en dehors du Hangar mais à notre échelle nous avons relativement moins bien vendu à l’occasion de notre exposition du mois de septembre ayant attiré moins de monde.

Les 27 lauréats : Gérome Barry, Lucile Boiron  Marguerite Bornhauser, Ferhat Bouda, Bruno Boudjelal, Sarah Bouillaud, Jean-Marc Caimi & Valentina Piccinni, Gonçalo Fonseca, Julia Fullerton-Batten, Gabriele Galimberti, Nick Hannes, Giovanni Hänninen, Philip Hatcher-Moore, Pierre Jarlan, Kíra Krász, Yann Laubscher, Lucas Leffler, Edgar Martins, Alisa Martynova, Patrick Messina, Alice Pallot, Elea Jeanne Schmitter & Le Massi, Alexandra Serrano, Frédéric Stucin, Mattia Sugamiele, Simon Vansteenwinckel, Laure Vasconi,

INFORMATIONS PRATIQUES :

jeu21jan(jan 21)12 h 00 mindim25avr(avr 25)18 h 00 minPhotoBrussels Festival 05hangar photo art center gallery, 18, Place du Châtelain 1050 Brussels

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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