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Carte blanche à Nora Noor : Rencontre avec Mamadou Dramé autour de sa série Palimpseste

Temps de lecture estimé : 11mins

Pour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, la photographe et co-fondatrice du magazine Dialna, Nora Noor, a souhaité interroger Mamadou Dramé autour de sa série intitulée « Palimpseste ». Mamadou est né en banlieue parisienne, en Seine Saint-Denis, de parents sénégalais. Il est travailleur social, et est également photographe au sein du collectif « L’œil flingué ». Rencontre et découverte de son univers photographique entre France et Afrique.

Bonjour Mamadou Dramé, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Mamadou Dramé, je suis né au blanc Mesnil et j’ai grandi entre Aulnay-sous-bois et Sevran de parents sénégalais. Je photographie régulièrement mon environnement depuis 2008, je fais partie d’un collectif qui s’appelle l’œil flingué et je suis aussi travailleur social.

Quels sont tes premiers pas photographiques ?
De 1999 à fin 2001 j’ai vécu 3 ans au Sénégal de mes 14 à 17 ans, dans ma phase d’intégration il a fallu que je m’assois et que j’observe comment sont les gens sur place. comment on se dit bonjour, comment on mange ensemble ect… Mon rapport au temps, au silence et à l’espace ont complètement changé en Afrique. Lors de ma dernière année sur place j’ai demandé à ma mère qui vit en France, “Peux-tu, m’envoyer des appareil photos jetables”, je voulais absolument garder une trace de cet endroit et ce moment. Ma mère m’envoyait les appareils jetables par une connaissance qui faisait l’aller/retour France Sénégal. Une fois les appareils jetables arrivés à Bakel, je photographiais tout autour de moi et je les renvoyais en France via une autre connaissance, j’attendais avec impatience le développement des images. On navait pas les moyens de se payer UPS à l’époque (rire), cette première expérience photographique m’a appris la patience et je prends conscience que je suis un être humain en mouvance, je passe d’un territoire à un autre en permanence d’Aulnay-sous-Bois en Ile-De-France à Bakel, au Sénégal.
Je voulais vraiment laisser une trace de ses mouvements sans le savoir, je commençais ma série photographique “Palimpseste” .

Quand tu reviens en France, tu continues la photo ?
Je me remets en état d’observation car mon quartier avait changé et ma vision des choses aussi. Je suis plus sensible à la matière qui m’entoure. À Aulnay, je m’aperçois que la ferraille et le béton sont omniprésents, je ne regarde plus les façades des bâtiments de la même manière. Les lieux de rassemblement me paraissent plus petits, tels que les bacs à sable, les parcs ou les bancs. Il fallait reprendre un rythme à la française, les transports, les cours à l’école etc… Et puis les téléphones portables sont arrivés en masse auprès des populations moins aisées, je me souviens de mon premier téléphone portable doté d’un appareil photo, le Sony Ericsson, T610, il n’y avait pas de encore les smartphones (rire) et je faisais des photos avec ce petit outil technologique je photographiais les parcs, mes amis, les habitants de la cité…

Comment se passe ton évolution photographique ?
Après plusieurs téléphones, en 2011 je décide d’acheter mon premier reflex et je commence à faire des photos de ma ville la nuit, car toutes les villes du monde changent de visage la nuit et j’aimais l’atmosphère de Sevran dans l’obscurité. J’allais dans des endroits symboliques, là où j’avais de mauvais ou de bons souvenirs et sans le savoir je commençais à cartographier les moments importants de ma vie via la photographie, je produisais des images de manière compulsive.
En 2013 Je commence un projet photo dans un centre social dans le vingtième arrondissement, on devait faire une exposition regard croisé entre une ville d’Allemagne et Paris. Mon rôle était d’aller sur le terrain avec le public du centre social des jeunes de quartiers populaires à Paris pour les pousser à faire de la photographie et raconter leur environnement. Les jeunes allemands montraient leurs quotidiens aux Français et vice versa…
Tout le processus de production était super intéressant, mais quand on est arrivé au moment de la restitution j’ai pété un plomb. L’organisatrice, n’a consulté ni les jeunes, ni moi pour le travail le choix des photo, de la scénographie ou même pour l’accrochage. Ça m’a mis hors de moi ! Je me suis dit « Alors pour produire des images dans les quartiers populaires il y a Mamadou et les jeunes, mais pour toute la partie conceptualisation, intellectualisation et scénographie on n’est plus là ! »
J’ai claqué la porte et j’ai décidé d’entamer une formation photographique pour maîtriser chaque aspect de cet art, je voulais tout contrôler, les étapes, le langage et les codes de ce milieu !

Où fais-tu ta formation et comment ça se passe ?
Après cet épisode au centre social du 20ème je suis rentré chez moi, j’ai tapé formation photo sur google et je suis tombé sur un centre dans le quartier des Arts et métiers. Je me suis dis pourquoi pas ! J’ai rassemblé mes photos et c’est à ce moment que je te rencontre avec Olivier Bourgoin. Une rencontre déterminante, car vous avez eu les bons mots pour mes photos ! Toi tu as posé les photos sur la table et tu as fait un premier tri et puis, Olivier a fait un editing final de dingue en retirant toutes les images végétales et il m’a dit “Vous avez un début de série”. Je suis sortie de cet entretien galvanisé, je voulais faire cette formation et produire une bonne série.
Une fois en formation, j’ai rencontré plein de personnes d’horizons différents, c’était super enrichissant, Olivier Bourgoin et ses lectures de portfolios c’était vraiment une expérience à vivre, il réunissait 4 ou 5 photographes dans la même pièce et confrontait leurs univers ! La photographe Virginie Merle arrivait à vulgariser des aspects techniques de la photo et Jean Gabriel Lopez nous donnait une vision plus muséale de la photographie. Comment conserver ses images, comment les ressortir des années plus tard et les retravailler… Même du côté des élèves, c’était incroyable de voir le travail de Nathalie Bagarry, Franck Arnerin ou d’Adrien Tomaz. Cette formation m’a sortie de ma zone de confort, elle a été très bénéfique dans mon parcours de photographe.

Après ta formation tu continues la photo ?
A la fin de cette formation, un professeur m’a fait comprendre que si je bloquais sur ma série, c’était que le nom n’était pas bon, j’avais appelé ma série “Du béton et de la raillfé« , ce professeur avait raison ! Dans une série tout est important, du nom au papier que l’on choisit pour le tirage. Après la formation j’ai digéré les infos et j’ai regardé mon travail chaque jour sur mon écran d’ordinateur. J’ai peaufine ma série sur Aulnay/Sevran que j’ai appelé “ZUP” Zone Urbaine Photographique. Avec tout ce nouveau savoir photographique, j’ai décidé de voyager en Europe, Asie, Afrique, notamment le Mali, je voulais photographier des personnes âgées, des routes et surtout je tenais à immortaliser, un bout de ciel du sud ! À mon retour en France j’ai travaillé dans un centre socio-culturel à Nanterre, où j’ai fait la rencontre de Bruno Boudjelal qui donnait des workshop.

Croiser Bruno Boudjelal sur son chemin, c’est une sacrée opportunité…
Bruno Boudjellal est très exigeant quand il s’agit de production photographique, il a un editing très tranché, il te dit direct quand ça va et quand ça ne va pas. Quand je lui ai montré mon travail, il a réveillé chez moi une conscience professionnelle et éthique ! il m’a dit “attention quand tu photographies la zone de ne pas faire des photos “clichés de banlieues” et attention quand tu photographies Bakel de ne pas tomber dans “l’exotisme africain” tu as une grosse responsabilité envers les gens que tu prends en photo !” Quelques jours plus tard, Bruno me contacte, il me parle d’une formation à l’agence Vu’ sur le thème “la série et l’editing”.

Est ce que tu fais cette formation ?
Oui, même si la formation coûtait cher pour moi, je voulais investir dans mon travail et je ne pouvais pas rater cette occasion d’apprendre l’art de l’editing au sein de l’agence Vu’ et v’ la le beau monde qui nous formait ! Bruno Boudjelal avec qui les conversations sont toujours passionnantes sur la photographie, Mathias Nouel qui est un super organisateur de formation et d’exposition et pour finir Martine Ravache critique et écrivaine de la photographie qui m’a éclairé sur l’importance du texte dans la photographie, c’est une femme de caractère brillante. Le groupe d’élèves n’était pas en reste non plus j’ai rencontré Irène Jonas – qui faisait cette formation avec moi – c’est avec Amélie Debray et Laurence Von Der Weid qu’elles m’ont encouragé à me diriger vers la couleur. Au sein de cette formation, nous avions des échanges riches, inspirants, notre façon de produire la photo change, car Bruno Boudjelal nous présente un spécialiste Bruno Cordonnier, qui maîtrise l’art du papier et du tirage. Cette formation au sein de l’agence Vu’ m’a appris à prendre position, défendre mon travail et être plus exigeant sur la qualité de mes tirages !

Il y a eu d’autres expositions après l’agence Vu’ ?
Non je devais vraiment digérer mes images et ma façon de voir la photo, de plus l’exposition est un circuit bien défini, tout le monde veut exposer, mais il faut comprendre qu’il y a des étapes à franchir avant de montrer son travail, il faut aussi savoir argumenter sa série… Et parler de mes images devant un public, ce n’est pas un exercice facile pour moi. A l’avenir, je veux organiser une exposition en maîtrisant toutes les étapes, et je veux que cet événement soit hors de Paris !

Pourquoi veux-tu exposer hors de Paris ?
Les parisiens intra muros sont bien contents de venir chercher les images en banlieues de rappeurs ou des habitants, mais ils veulent que leurs photos soient exposées dans une galerie prestigieuse parisienne. C’est ensuite à nous d’aller sur Paris pour voir notre quotidien… Il y a quelque chose qui ne va pas dans le circuit ! Je veux montrer mes images en banlieue et que Paris se déplace pour entendre, voir nos histoires ! Il est temps de changer les mentalités ! Exposer sur notre territoire c’est une manière de nous réapproprier notre histoire !

La transmission c’est super important pour toi, pourquoi ?
Du moment où j’ai pris mes premières images à 16 ans avec mon jetable jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours eu besoin de laisser une trace. Cela fait 12 ans que je produis des images de manière structurée et professionnelle, je réfléchis en permanence à cette relation que j’ai entre la France et le Sénégal.
Je voulais rassembler dans une série, tous ces visages, ces lieux, ces atmosphères, tous ces aller-retours entre l’Afrique et l’Europe. Un soir, j’appelle ma marraine photo, pour voir avec elle comment je peux résumer mon travail, elle me sort le mot qui va tout changer dans ma conception photographique ! Et le mot en question c’est “Palimpseste”, elle me dit “tes photos sont des allers-retours Sevran-Bakel ! Regarde bien tes images, tu photographies en pose longue, ça laisse des traces de passages ! Ton travail, c’est un parchemin photographique, bon réfléchit sur ce mot et rappelle moi dans 3 heures !
Je fais des recherches sur le palimpseste, je vois tous ces parchemins sur des peaux de bêtes, toutes ces traces de plans, d’écritures et de ratures. Ce mot englobait tout mon parcours photographique et personnel.
Palimpseste c’est la série de ma vie, que je vais travailler à vie !

Comment vas-tu travailler cette série ?
D’abord refaire un gros travail d’editing, j’ai envie d’exploiter cette série, avec une grosse et belle exposition avec un accrochage bien pensé, j’aimerais, si elle consent un texte de préface écrit par Martine Ravache et Palimpseste sera aussi un beau livre d’art photographique, mais dans un premier temps j’ai envie de lancer un blog “ Le palimpseste de Madou”.

Un conseil pour les jeunes photographes qui ont lu cette interview ?
Faites de la photo, produisez vos images non stop jusqu’à trouver votre écriture photographique, prenez le temps de regarder et réfléchir sur vos images ! Je vous conseillerais aussi de faire une bonne formation en photo, même un atelier en ligne ! Les formations vous poussent à sortir de votre zone de confort, de voir le travail des autres qui est la meilleure école qui soit ! C’est aussi un bon début pour se construire un premier réseau !

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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