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Une féministe à l’Académie des Beaux-Arts ? Une candidature trop audacieuse
Entretien avec Marie Docher

Temps de lecture estimé : 8mins

Elle se présentait au nom de toutes les femmes, au nom de tou·tes les invisibles. Marie Docher, photographe réalisatrice et féministe militante infatigable, a confié sa candidature à l’Académie des Beaux-Arts en mai dernier pour occuper le fauteuil III de la section photographie. Une surprise pour beaucoup, mais aussi pour elle-même, lorsqu’elle découvre qu’elle compte parmi les quatre photographes en lice (dont 3 sont des femmes). C’est Dominique Issermann qui a été élue, un choix attendu, mais qui pourrait être le début d’un changement. C’est à l’Institut de France, le jour de la nomination, que je me suis entretenue avec Marie Docher pour récolter les impressions de cette aventure académicienne.

Votre candidature a été une surprise, pourquoi avez-vous décidé de vous présenter au fauteuil III de la section photographie de l’Académie des Beaux-Arts ?

J’ai vu passer l’annonce mais je ne m’y suis pas attardée car ça ne m’intéressait pas. C’est une institution qui a une histoire compliquée avec les femmes et ce depuis sa création au 17ème siècle. (ndlr : en tout, seules 14 femmes artistes ont été élues à l’Académie des Beaux-Arts en presque 4 siècles). Au début j’ai regardé cela d’un peu loin, et puis j’ai réfléchi à la possibilité que cela pouvais offrir. Je me suis dit qu’il y avait des moyens financiers à l’académie, que je pouvais peut-être candidater et proposer un programme.
Je me suis donc décidée et ai monté une candidature – très différente de celles des autres – puisqu’elle ne portait pas sur moi en tant que photographe plasticienne, mais sur ce que j’ai pu réaliser sur la visibilité des femmes photographes depuis ces 7 dernières années, seule en premier lieu, puis ensuite au sein du collectif La Part des Femmes. J’ai mis en lumière toutes les actions qui ont réellement fait bouger les lignes dans le milieu de la photographie. Pour rappel, il y a 7 ans les femmes photographes représentaient 15% des programmes des institutions et des manifestations, aujourd’hui nous sommes arrivés à une moyenne de 40%.
Cela me semblait donc être une bonne candidature.

«  Attention, il ne suffit pas d’être femme pour porter des questions contemporaines au sein de l’Académie. Quoi qu’il en soit, je suis très contente que ce soit Dominique Issermann qui soit élue, on va voir ce qu’elle va faire. Je suivrai cela de près. »

Vous vous attendiez à faire partie des 4 photographes en lice pour ce fauteuil ?

Rires. Non pas du tout, j’ai été très étonnée ! Au commencement, j’avais averti Jean-Luc Monterosso, correspondant à l’Académie, il m’avait encouragé et je savais qu’il y avait une intention de féminiser l’Académie. Mais ça a été une surprise, je ne m’attendais pas du tout à être ici aujourd’hui et dès que j’ai su qu’il y avait une deuxième, puis une troisième étape, je me suis prise au jeu finalement.
C’était le bon moment, pour faire porter une voix, pour leur faire entendre qu’il se passait des choses au sein de cette Académie.
Je pense que cette voix a été entendue, ils ne l’ont pas choisie, mais j’ai été entendue.

J’ai fait une vidéo qui synthétisait en 5 minutes tout ce parcours, une lettre (consultable en cliquant ici) qui n’était pas sur mon travail et qui portait sur la réalité sociale de la photographie et sur ses enjeux. Car il ne s’agit pas seulement des femmes, c’est aussi les autres photographes invisibles. À un moment j’écris :

Je me demande par exemple
pourquoi il me suffit d’une main
pour compter les photographes
ayant des origines dans les anciennes colonies.

Je ne sais pas si c’est une question qui se pose beaucoup dans cette Académie. Ce sont de vraies questions contemporaines, et je pense qu’elles ont été entendues.
J’ai eu de très bons retours, c’est encourageant. Je n’ai pas été élue mais je ne suis pas très déçue, je pense que beaucoup de gens vont l’être car cette candidature avait suscité beaucoup d’intérêt, car ce n’était pas moi, c’étaient les enjeux qui étaient portés, mais on va en faire quelque chose de bien quand même.

À ce fauteuil, ce n’était pas vous, mais toutes les femmes…

Les femmes oui, mais aussi tou·tes ceux·lles qui nous soutiennent, et plus généralement tou·tes ceux·lles qui aiment la photo en fait, parce que considérer la photographie avec 90% d’hommes ce n’est pas vraiment aimer la photo. En tout cas ce n’est pas se soucier de ce qu’est vraiment la photographie, c’est à dire une fabrique de représentation

Ce matin, chaque photographe devait présenter ses œuvres sur un espace dédié. Compte tenu de votre candidature très singulière qu’avez-vous décidé de soumettre?

J’ai décidé d’exposer une seule photographie. Une photo manifeste que j’ai réalisée il y a deux ans lors d’une résidence sur une île en Finlande qui s’appelle Korpo, la bien nommée, et j’ai exposé un autoportrait nu, de face, avec une petite pomme à la main.Cette image a pour but de retourner le stigmate, c’est à dire l’image d’Eve qui a été utilisée dans l’histoire de l’art et partout dans les religions pour clairement opprimer les femmes. C’est donc un travail sur la représentation de soi, du corps des femmes. Celui qui est d’une certaine manière, toujours représenté par des hommes et là de se photographier, c’est de ne plus être un nu, c’est d’être active et se représenter soi-même. C’est une photo qui est rare, puisque les femmes de plus de 50 ans ne sont plus désirables, comme le disait Yann Moix, on ne les montre pas nues. Cette photo mesurait plus d’un mètre de haut, elle était symbolique.

C’était une mise à nu.
Totalement !

Mais ça a été une belle aventure, parce que j’ai été soutenue par beaucoup de monde, si on revient sur cette photo, j’ai pu rencontrer le directeur de PICTO Philippe Gassmann et le directeur de PICTO FOUNDATION, Vincent Marcilhacy, ils m’ont soutenue et ont produit le tirage.
Cette candidature a suscité beaucoup d’enthousiasme et finalement, c’est ce qui était le plus important.

C’est Dominique Issermann qui vient d’être élue. C’est donc la première femme qui entre dans la section photographie de l’Académie des Beaux-Arts, est-ce que vous croyez qu’un changement est en train de s’opérer ?

Ils se rendent bien compte que nous sommes au XXIème siècle, et qu’il va falloir ouvrir l’Académie aux femmes. J’ai compté, si je ne me trompe pas, qu’elles n’étaient que 8 à siéger, aujourd’hui ce sont trois femmes qui viennent d’être élues, ils ont l’air de se réjouir donc c’est bien.
Mais attention, il ne suffit pas d’être femme pour porter des questions contemporaines au sein de l’Académie. Quoi qu’il en soit, je suis très contente que ce soit Dominique Issermann qui soit élue, on va voir ce qu’elle va faire. Je suivrai cela de près.

Que ce soit les académiciens ou les correspondants du secteur photographie, comment ont-ils réagi à votre candidature ? Comment vous ont-ils accueillie – soutenue ?

Jean-Luc Monterosso connaissait les 4 photographes en lice. Il m’a encouragée, il m’a tenu informée tout du long de cette période de candidature. Je me sentais un peu soutenue. Il m’avait dit que les académiciens du secteur photo connaissaient les 3 autres candidat·es, moi ils ne m’avaient jamais rencontrée, c’est pour ça que j’ai fait une vidéo. Dominique Issermann est plutôt de leur génération, plus leur style de photographie. Ma candidature était clairement hors norme, ils ne me connaissaient pas.

Hors norme, audacieuse ?

Ça oui, pour être audacieuse, elle l’a été ! Mais c’était audacieux parce que j’ai reçu du soutien

Le combat continu ?

Bien sûr ! Ce n’est pas un échec, car ça a été une aventure intéressante et enrichissante. Personnellement, ça m’a permis de poser des choses très claires, de rencontrer des gens… Et puis il faut avouer, que ce n’est pas mon terrain de jeu favori. Il y a des femmes qui rentrent à l’Académie des Beaux-Arts, c’est très bien, mais on va suivre cela attentivement

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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