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Le fauteuil III de la section photographie à l’Académie des Beaux-Arts vient de trouver sa nouvelle propriétaire ! Après le décès de Bruno Barbey, l’Institut de France avait ouvert les candidatures il y a quelques semaines pour représenter la photographie aux côtés de Yann Arthus-Bertrand, Sebastião Salgado et Jean Gaumy. Après la délibération des académiciens cet après-midi, le nom de la nouvelle immortelle est annoncée, il s’agit de Dominique Issermann !

Une première femme photographe à l’Académie des Beaux-Arts !

Cette édition marque sans conteste un changement au sein de la section photographie de l’Académie des Beaux-Arts, mais plus généralement du reste de la profession. Cette année, elles étaient trois femmes parmi les quatre photographes en lice pour occuper le fauteuil III à l’Académie. Valérie Belin, Dominique Issermann… et Marie Docher ! Une féministe activiste et militante au sein de l’Institut ! Une grande première, alors que la section photographie a, depuis 2006, date où Lucien Clergue est le premier photographe à être élu membre de l’Académie des beaux-arts de l’Institut de France, toujours été composée d’hommes.

Dominique Issermann à l’Institut de France, 23 juin 2021 © 9 Lives magazine

Les quatre photographes ont présenté leur candidature en mai dernier, et on été invités à exposer une installation au Palais de l’Institut de France pour soumettre leur travaux aux académiciens votants. Si les photographes ont très logiquement soumis une sélection de tirages relative à leur carrière, Marie Docher a choisi de présenter une installation plus audacieuse. Car il ne s’agissait pas là de présenter son travail, mais plutôt celui de toutes les femmes. Toutes les invisibles.
Sur un espace de quelques mètres, un autoportrait nu en très grand format auquel le laboratoire Picto a souhaité apporter son soutien. Cette Eve incarnée interroge sur la position et la représentation de la femme… photographe.

Marie Docher à l’Institut de France, 23 juin 2021 © Sadreddine Arezki

CECI N’EST PAS UN NU
L’histoire de l’art et de la représentation nous montre des corps de femmes. Des corps de femmes nues, vues par des hommes.
Des nus acceptables puisque figures mythologiques,
symboliques ou allégoriques.
Des figures d’Eve – pécheresse originelle – des prostituées,
des corps offerts, alanguis, des corps pour vendre des yaourts, du parfum, des voitures.
Tous les prétextes sont bons pour observer, scruter, fragmenter, livrer le corps des femmes aux regards des hommes.
Il est essentiellement question du regard des hommes
sur les femmes puisque ce sont eux qui ont écrit l’histoire
de l’art, eux qui ont commandé et acheté les œuvres.
«Les femmes sentent toujours sur elles des regards qui agissent comme des miroirs et leur rappelle à quoi elles ressemblent
et à quoi elles devraient ressembler.*»
Les hommes nous montrent des corps de femmes.
Jeunes.
Féconds.
Des corps objets, des objets de désir.
A chaque époque ses canons de beauté, sa divine proportion, ses corps impossibles.
De Botticelli à Ingres.
De Dolce & Gabbana à H&M.
ICI, TOUT BASCULE.
Un autoportrait nu. Par une femme.
Qui ne répond pas aux normes tacites et tenaces du nu féminin.
Inversion des rôles, se représenter, ne pas être représentée.
Devenir actante et sujet, plutôt que passive et objet.
Faire un geste politique, un geste émancipateur.
Montrer son corps de femme, un corps qui ne correspond pas aux canons de représentation de son temps. Un corps dont l’objectif, l’existence et la nécessité ne se résument pas au désir masculin.
Un corps qui dit haut et fort qu’une société obsédée par la minceur est en fait fascinée
par la soumission. Un corps qui refuse cette soumission.
Un corps qui n’est plus jeune,
plus fertile
donc plus utile
plus désirable
plus montrable.
Rares sont les représentations de corps de femmes « âgées ».
Encore plus sous forme d’autoportrait. Ils sont exclus.
« A la ménopause tout s’arrête »**.
La convoitise masculine,
la représentation à travers leur regard,
de leur désir.
Place alors au regard des femmes !
Au regard de soi, sur soi,
à l’autoreprésentation.
à l’autoportrait.
Reprendre les codes qui ont opprimé et oppriment encore les femmes. S’en jouer.
Prendre le contrepied, jouer la controverse : ceci n’est pas un nu.
Ici, c’est Eve,
réincarnée,
la pécheresse originelle.
Avoir accès à l’arbre de la connaissance.
Eve,
tant de fois représentée, qui servit à Dürer pour établir le canon tardif du corps féminin
forcément imparfait.
Eve.
Une petite pomme de rien pour des millénaires d’oppression, de soumission.
Cet autoportrait demande du courage.
Il fait œuvre de sa résistance.
Rosa Baum
sur la photographie de Marie Docher : Ceci n’est pas un nu – 2019
* John Berger – Critique d’art
** Françoise Héritier –  Anthropologue et ethnologue

À cette occasion, l’Académie vient de dévoiler le nom de la lauréate du Prix de Photographie de l’Académie des beaux-arts – William Klein. C’est la photographe américaine Annie Leibovitz qui est récompensée. Elle reçoit une dotation de 120 000 euros – financée par Zhong Weixing, fondateur du Chengdu Contemporary Image Museum – et une rétrospective sera organisée au Pavillon Comtesse de Caen au Palais de l’Institut de France en octobre prochain !

L’avenir ne commencerait-il pas à se conjuguer au féminin ? À l’installation de Jean Gaumy, en 2018, nous avions titré notre article « 4ème homme blanc à l’Académie des Beaux-Arts« , ce qui nous avait valu des critiques, et même quelques insultes… (et après avoir croisé aujourd’hui, Jean Gaumy, il semblerait que tout soit pardonné).
Trois ans et une pandémie plus tard, les choses commencent à bouger ne trouvez-vous pas ?

Nous vous donnons rendez-vous lundi prochain pour un entretien exclusif avec Marie Docher !

A LIRE :
Fauteuil III de la section de photographie de l’Académie des Beaux-Arts vacant
Carte blanche à Emmanuelle de l’Ecotais : Appel aux femmes photographes « Postulez à l’Académie ! »
Installation de Jean Gaumy : 4ème homme blanc à l’Académie des Beaux-Arts

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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