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Eté 2020, le collectif féministe et militant La Part des Femmes publiait une étude sociologique sur les parcours des femmes photographes. La sociologue (et photographe) Irène Jonas missionnée par le collectif livrait un état des lieux préoccupant de la situation du métier de photographe pour les femmes, et pointait ainsi les dysfonctionnements systémiques de tout un secteur d’activité. D’ici l’été prochain, La Part des Femmes devrait à nouveau frapper fort, avec une nouvelle étude. Il s’agit cette fois-ci d’un minutieux décryptage des portraits publiés dans la presse. Qui photographie ? Quels sont les archétypes? Les stéréotypes ? C’est le travail qu’effectue actuellement La Part des Femmes pour cette nouvelle étude “Le Portrait de presse au prisme du genre et des origines ».

Nous sommes le 24 septembre, lorsque la journaliste Nassira El Moaddem invite Marie Docher, photographe, réalisatrice et co-fondatrice du collectif La Part des Femmes, et Sébastien Calvet, directeur photo de Médiapart dans le cadre de l’émission Arrêt sur images : « Portraits de presse : « Les hommes ternes, c’est le plus gros stéréotype« . Lors de cet entretien, Marie Docher dévoile la nouvelle étude menée par le collectif La Part des Femmes. Elle explique alors que le point de départ de ce travail remonte au début du second confinement, alors qu’elle réalise un comptage – exercice fastidieux mais ô combien efficace – de la répartition des photographies publiées dans la presse quotidienne nationale. Les résultats sont accablants : 92% des images sont réalisées par des hommes. C’est alors qu’elle décide, avec le collectif, d’entamer une étude sur le portrait de presse, en se focalisant sur le genre et les origines pour finalement examiner les codes de représentation des hommes et des femmes…

La Fabrique de l’image

Avant d’entamer ce lourd travail, le collectif établit un périmètre en se concentrant sur un journal quotidien et un hebdomadaire que sont Libération et Télérama s sur une durée de trois ans, afin de récolter des chiffres les plus représentatifs possibles. Le choix des médias n’est pas anodin, comme l’explique Marie Docher : «  Grâce à Liberation, la photographie a joué un rôle plus qu’illustratif dans la presse. Elle est quasiment devenue autonome. Les photographes sont particulièrement valorisés dans les journaux comme Liberation et Télérama. Notre choix s’est donc naturellement porté sur ces deux titres, car ce sont des médias importants et progressistes. Si on identifie des archétypes et des stéréotypes, ce seront donc les plus à mêmes à les transformer !« . Ce sont les portraits publiés dans la dernière page de Libération et dans la rubrique l’Invitée de Télérama qui sont passés au crible. Un travail colossal, qui devrait permettre de dévoiler des chiffres là où personne n’a jamais souhaité en poser.

Dans cette émission, et comme le précise à plusieurs reprises la journaliste Nassira El Moaddem, les principaux intéressés (directeurs photo et photographes) ont décliné son invitation à participer à cet entretien. Le seul ayant répondu présent est le directeur photo de Médiapart, Sébastien Calvet. Il réagit à la présentation de cette nouvelle étude «  Nous sommes tous formés, impliqués et formatés par un background visuel que nous avons reçu dans les écoles de photo, au cours de l’apprentissage de l’histoire de la photographie, qui est elle-même biaisée. Et c’est cette formation qui va influencer notre regard, et tout cela va participer aux choix des directeurs photos« .

Dans cet entretien, Marie Docher dévoile déjà quelques chiffres. Dans la “Der de Libé”, 75% des 139 photographes sont des hommes, 85% des 801 portraits de Libération ont été confiés à des hommes, laissant ainsi seulement 15% aux femmes photographes, et une seule femme fait partie des 10 photographes qui ont réalisé plus de la moitié des portraits. Du côté de Télérama, les chiffres sont plus catastrophiques : 81% des photographes sont des hommes, 93% des portraits publiés dans la rubrique L’Invité sont faits par des hommes, et une seule femme a réalisé plus d’un portrait. Pour l’année 2019/2020, seuls deux portraits sont signés par deux femmes. Voici pour le genre. Concernant les origines, les chiffres sont en chute libre ! À titre d’exemple, sur trois ans dans Télérama, on compte trois personnes noires et deux maghrébins dans L’Invité. Pour paraître dans cette rubrique Marie Docher explique « qu’il faut avoir sauvé le monde !« .
< h4>Le male gaze

Autre aspect de cette étude, qui a également été présentée ce week-end à la médiathèque Edmond Rostand (Paris 17), la manière dont on photographie. En indexant chaque portrait, des archétypes et des stéréotypes se sont rapidement dessinés. Marie Docher explique «  On ne photographie pas les hommes et les femmes de la même manière. Il y a des représentations très stéréotypées. Dans le portrait de presse, la majorité des personnes photographiées sont des hommes – en grande majorité des hommes de pouvoirs – qui sont représentés sans relief. Ce sont des hommes ternes, qui incarnent la norme. Pour les femmes, il y a ce fameux syndrome des femmes allongées. Curieusement, alors que les hommes sont debout, bien sur leurs appuis, les femmes, elles, sont allongées. Une position qui semble réservée aux femmes, et quand il y a des hommes, se sont toujours des noirs, des arabes ou des gays ! Autre chose, c’est la peau. La peau n’est jamais montrée chez les hommes, ce sont eux qui désirent, ils ne veulent pas être désirables, car il y a une part de danger« . Ces stérotypes portent un nom, le male gaze qui impose une culture visuelle dominante et qui est subi par tout le monde, femmes et hommes confondus. Lors de cet échange, cet aspect est parfaitement expliqué, nous sommes tou·tes porté·es par des stéréotypes, il est important de pouvoir déconstruire et se libérer des schémas pour modifier les représentations du genre.

Le collectif La Part des Femmes vous donne rendez-vous dans quelques mois pour la restitution de cette nouvelle étude…

 

>> A voir : https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/portraits-de-presse-les-hommes-ternes-cest-le-plus-gros-stereotype

 

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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