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Marc Jeudy, fils et petit fils de photographes d’art décide, en 1964, de quitter sa famille pour aller apprendre le métier de photographe à Dijon, pas très loin de sa ville natale Is-sur-Tille. Il rentre au studio Denise Dard où travaille Raymond Cougard un photographe portraitiste, ancien salarié à Paris du prestigieux studio Harcourt, crée il y a quatre vingt ans toujours en activité et classé aujourd’hui “Entreprise du Patrimoine Vivant”. Des centaines d’artistes et de grands personnages se sont fait un jour “tirer le portrait” dans ce haut lieu de la photographie française.

Au fil du temps, après avoir succédé à son père et rencontré plusieurs grands maîtres de la photographie, Marc Jeudy s’intéressera très vite aux portraits en noir et blanc, dont il dit encore aujourd’hui: “qu’il faut toujours s’y consacrer pleinement”. Il les tire depuis toujours sur de très beaux papiers photographiques barytés aux sels de bromure ou chloro-bromure d’argent.

Le photographe bourguignon réalise aussi des compositions de natures mortes qu’il fixe en utilisant des techniques de procédés photographiques anciens, dits de virages aux métaux et par “sulfuration”. Il rencontrera d’ailleurs plusieurs fois le grand maître en la matière, Denis Brihat, avec lequel en 1989 il travaillera durant une semaine sur les différents virages.

C’est bien là toute la grandeur et la magie de la photographie argentique.
L’artiste va y consacrer un temps très important dans sa vie professionnelle.
En fait, le photographe maitrise déjà avec les virages, les techniques spéciales de tirages photographiques en noir et blanc. Il aime à réaliser des tirages de ton sépia, bleu, vert, comme des tirages au sélénium, au sulfate de cuivre, ou à l’argent colloïdal…Autrement dit, un long et délicat travail où l’artiste perd la notion du temps.

Marc Jeudy, photographe, tirage avec virage vert coupe d’une capsule de coquelicot. Villecomte © Jacques Revon

Marc Jeudy, photographe, nature morte. Villecomte © Jacques Revon

Marc Jeudy, photographe. À gauche tirage avec virage vert coupe d’un kiwi | À droite : préparation de l’exposition. Villecomte © Jacques Revon

Chez lui à Villecomte en Côte d’Or, tout commence dans son studio par la prise de vue. Que ce soit pour le portrait ou les natures mortes, Marc Jeudy travaille essentiellement en noir et blanc et sur un fond parfaitement blanc avec pour ce dernier plus deux diaphragmes d’ouverture, en “high key”: c’est sa signature. Il utilise des boîtes à lumière ou une vitre sur laquelle il fixe ses petits objets à l’aide de pastilles ou de pâtes adhésives. Comme ici, lors de la prise de vue d’une capsule séchée d’une fleur de coquelicot.

Marc Jeudy, photographe, dans son studio. Villecomte © Jacques Revon

Gros plan d’une capsule de coquelicot © Jacques Revon

Pour ses prises de vues, Marc Jeudy a très tôt choisi le format 6X7. Il affectionne son boitier Mamiya, équipé le plus souvent d’un objectif 127 mm agrémenté d’une bague macro. Pour le portrait, il l’équipe cette fois d’un 180 mm. Enfin, du côté de l’éclairage, tout se passe sous les éclairs des flashs électroniques. L’émulsion argentique est de fabrication Ilford 120 FP4, de sensibilité 125 ISO. Elle demeure sa pellicule privilégiée, en espérant dit-il, que comme pour les beaux papiers barytés de la même marque, leur fabrication puisse durer le plus longtemps possible.

Marc Jeudy, photographe. Négatif 6×7 vue de dessus d’une capsule de coquilicot. Villecomte © Jacques Revon

La concrétisation des oeuvres photographiques de la “facture Jeudy” conçues sur des tirages grands formats 30×40 ou 40×50, demande beaucoup plus que de la patience. Dans cette grande aventure photo-artistique, il faut posséder une certaine forme d’abnégation pour réussir à faire naître une image unique, celle que l’artiste a initialement imaginée.

C’est donc dans son laboratoire et sous la lampe rouge, que vont se matérialiser les différentes opérations chimiques et magiques dès le développement de la pellicule, afin d’obtenir une image qu’il va pouvoir concrétiser sur un très beau papier baryté au bromure ou chloro-bromure.

Marc Jeudy, photographe. À gauche : préparation des produits avant développement | À droite : au développement dans son laboratoire. Villecomte © Jacques Revon

Marc Jeudy, photographe. À la fin d’un virage. Villecomte © Jacques Revon

Les tirages avec virages, demeurent des œuvres uniques et de très longue conservation.

C’est d’abord, sous l’agrandisseur, la phase d’exposition du négatif 6X7 projeté sur la feuille de papier argentique puis, vont se succéder les opérations habituelles pour le traitement d’un papier photo. Ensuite, pour effectuer un virage, c’est là qu’une deuxième magie va s’opérer dans son laboratoire. Se présentent alors plusieurs solutions chimiques possibles pour réussir à obtenir la couleur désirée.
L’or transforme le gris en rouge.
Le fer, lui, le transforme en bleu ou en vert avec l’addition d’autres produits nécessaires au moment même du dit virage.
Enfin, l’argent transforme le gris en brun.

Marc Jeudy, photographe. Détourage avec vernis de protection avant le virage. Villecomte © Jacques Revon

Marc Jeudy, photographe. Comparaison image détourée et image finale. Villecomte © Jacques Revon

Mais tout cela demande énormément de temps selon les options de couleurs choisies! Certaines couleurs souhaitées demanderont qu’après un tirage classique, le tirage soit parfaitement lavé, séché puis détouré avec un vernis spécial de protection . Un vernis que l’on dépose délicatement à l’aide d’un petit pinceau, sur les parties que l’on ne souhaite pas voir virées ou que l’on protège lors d’une sulfuration pour obtenir un certain type de couleur. Ensuite lorsque la feuille sera séchée, viendra le temps du virage proprement dit, qui permettra d’obtenir enfin avec la formule chimique adaptée, la couleur désirée .
Une fois toutes ces longues successions de manipulations diverses réalisées, il ne restera plus, avec de l’alcool à brûler, qu’à enlever sur le tirage sec le vernis protecteur des parties non virées et effectuer un dernier et bon lavage.

L’oeuvre achevée, Marc Jeudy va la numéroter et la signer au crayon à papier.  Sa photographie sera collée sur un carton au pH neutre et présentée sous un beau passe-partout cartonné toujours au pH neutre puis livrée dans un cadre.

Marc Jeudy, photographe. Des tirages présentés dans son studio. Villecomte © Jacques Revon

Toutes les photographies réalisées par l’artiste issois sont issues de son riche savoir, un savoir que lui ont transmis son grand-père, son père puis ses deux maitres d’apprentissage dijonnais, et que Marc a su à sa manière, enrichir au fil de son existence.

INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition des photographies de Marc Jeudy.
Du 19 novembre au 2 décembre
l’Espace Culturel Carnot
21120 Is-sur-Tille

– 18 tirages de “natures mortes” en format 30X40 présentées en 50X60
8 tirages de “natures mortes” en 40X50 présentés en 60X75
5 “portraits” en 40X50 présentés en 60X75
Chaque tirage de Marc Jeudy est collé sur un carton et présenté sous un passe-partout, chacun de pH neutre.

Jacques Revon
Jacques Revon est photographe, journaliste d'investigation et grand reporter français. Reportages humanitaires, conflits divers, rallyes aériens, sujets économiques et sociaux, médicaux et scientifiques, échanges culturels, tournés dans de nombreux pays… Il réalise de nombreux reportages pour France 3 dans le domaine du jazz, et en photographie pour Culture Jazz et Media Music, il couvre de nombreux festivals. En 2020, il publie "Au temps du coronavirus", un ouvrage rassemblant des images d'un collectif de photographes qui témoignent de la vie quotidienne sous pandémie (L'Harmattan).

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