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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, la commissaire invitée du festival L’Été Photographique de Lectoure, Émilie Flory nous partage sa passion pour l’édition. Une passion, qui prend la forme du syndrome du tsonduku, hérité de la culture japonaise et qui signifie acheter des ouvrages, les empiler, sans toutefois les lire. Bien évidemment, ici, nous allons parler l’ouvrages de photographies. Elle nous livre ici une partie de ses incontournables !

Vue de mon bureau

Pour le dernier jour de cette semaine passée ensemble j’aimerai parler du syndrome du tsonduku mélangé chez moi avec celui de la collectionneuse (d’art et de livres d’art, et forcément majoritairement de photographies !). Tsonduku est un mot de la langue japonaise qui décrit le syndrome d’acheter des livres, de les entreposer (souvent en piles) sans toutefois les lire. J’aime les mots et j’aime ce mot, ce qu’il porte de poésie. Sa construction 積ん読, tsun-doku, vient de deux mots japonais : 積んでおく (tsunde-oku) « empiler des choses correctement avant de partir » et de 読書 (dokusho), « lecture ».
J’aime les livres, en acheter, et … inévitablement cela se transforme en piles ou en imbrication savante dans les diverses étagères et autres meubles amis qui supportent mes livres, au sol aussi… En art et en photographie, le syndrome ressemble à une sorte de soulagement que connaissent aussi les collectionneurs : ah tout va bien, il est là avec moi et je pourrai en profiter, le regarder et le chérir autant que je veux. Et dans le cas des livres, nul besoin de l’ouvrir immédiatement. Il est là et ça suffit.
Je ne sais pas s’il existe un syndrome pour celles et ceux qui mettent des cartes postales d’art de partout dès qu’une surface est utilisable à cet effet ou qu’un objet peut les accueillir… en tous cas, je l’ai aussi ! Des images comme des petits compagnons, qui ouvrent les esprits et les regards, et se faufilent dans les livres, sur les tables, devant les vases, sur une table de nuit ou au-dessus d’un bureau…

Invoquer le tsonduku est évidemment un prétexte de parler de livres de photos… ceux que j’aime, ce que j’ai plaisir à feuilleter, ceux dans lesquels je me plonge régulièrement car ils inspirent le travail, portent une réflexion, ceux que j’aimerai absolument avoir, ceux auxquels j’ai participé de près ou de loin, en étant visible ou en arrière-plan… des livres tout le temps.

Lise Gaudaire, Les effacés, 2022 de la série Oasis © l’artiste

Oasis est un ouvrage de Lise Gaudaire qui est édité par Dalpine, une maison d’édition madrilène que j’ai connue en 2017 et que j’affectionne. Fondée en 2010, Dalpine encourage la collaboration entre photographes, artistes, designers et éditeurs. Ils produisent des livres en édition limitée et soutiennent également la diffusion d’œuvres photographiques et artistiques en faisant du commissariat d’expositions.
Le livre de Lise Gaudaire sortira d’ici la fin de l’année 2022 et mon texte Ce que la pluie nous a appris accompagne les œuvres photographiques, carnets et dessins de l’artiste. Pour les curieux, elle exposera des images de série en novembre à la Collection Lambert en Avignon dans le cadre de ¡Viva Vila! et aux Champs Libres à Rennes à partir du 4 octobre. Et pour les amoureux de livres, Dalpine sera présent à Paris pour Polycopies cette année.

C’est toujours une joie de voir l’extension du travail d’un artiste avec lequel on a travaillé par l’objet livre, un livre d’artiste ou une première édition. Dans ma carrière, j’ai accompagné plusieurs projets d’exposition, de production et co-production qui ont pu aussi avoir une prolongation avec une monographie. C’est le moment d’un autre type de rencontres et de mise en relation artistique, notamment avec des éditeurs, micro-éditeurs, graphistes et auteurs.

Intérieur de Build and Destroy de David De Beyter, Éditions RVB Books, 2022

Pour en citer quelques uns :
L’Estran de Marie Maurel de Maillé, texte de Valérie Mazouin (Filigranes, 2010). Premier livre d’une longue série pour cette artiste qui développe son travail et pense les éditions comme un véritable prolongement de la série photographique. À venir bientôt un dernier ouvrage aux éditions de L’épair dont vous avez invité une des fondatrice avant l’été, Soraya Hocine.
Territoires intermittents de David Coste, première monographie réalisée en collaboration avec le graphiste Grégoire Romanet (Éditions Jannink, 2011).
Summer Crossing de Laura Henno, premier livre de l’artiste qui vient de clôturer 11 ans après son exposition au Palais de Tokyo (Filigranes, 2011)
L’ouvrage Images secondes sur le travail d’Eric Rondepierre de 2004 à 2015, qui prend la suite de l’édition monographique sortie en 2003 chez Leo Scheer (Images Segondes, Eric Rondepierre, éditions Loco, 2015).
Et le plus récent, Build and Destroy de David De Beyter sur sa série Big Bangers que j’ai programmé il y a quelques années.

Nan Goldin, I’ll Be Your Mirror , Scalo, 1996. Photo Mariya Mileva

Robert Frank, The Lines of My Hands, Pantheon 1989 (réédité par Steidl en 2017)

Dans ma vie, j’ai croisé des livres fondateurs, des textes ou poésie, mais aussi, forcément, de livres d’art et de photographie, dénichés, acheté ou offerts par des amis chers. Certains traversent les décennies avec moi, ont vécu plusieurs déménagements, ont été stockés dans des cartons mais se retrouvent in fine toujours à une place privilégiée sur l’étagère, la table, le guéridon, dans la valise… il y a les stations-service d’Ed Rusha, les images de route en Amérique et les anthologies de la photographie américaine, les photogrammes de Jonas Mekas, le catalogue de Lorna Simpson au Jeu de Paume, tous les livres de Lynne Cohen et (presque tous) de Nan Goldin

Intérieur du livre Road Trips paru chez Textuel en 2014, on voit une photo de William Eggleston, Sans titre (portfolio Los Alamos), 1965-74. Photo ÉF

Vue intérieure de Concrete Doesn’t Burn de Bertrand Cavalier, édité par Fw :Books en 2020

Vue intérieure de Concrete Doesn’t Burn de Bertrand Cavalier, édité par Fw :Books en 2020

Les belles surprises des découvertes récentes comme le travail et le livre Concrete Doesn’t Burn de Bertrand Cavalier (édité par Fw :Books, 2020) ou le magnifique livre de Zanele Muholi Somnyama Ngonyama, Hail the Dark Lioness, sorti en 2018 chez Aperture.
Il y a aussi la joie que procure l’attente d’un livre à venir, en ce moment pour moi c’est En Amérique. 40 ans de photographies d’Alain Dister qui sort ce mois-ci aux éditions Albin Michel.

Rinko Kawaushi, Cui Cui , Coédition Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris / FOIL, Tokyo, 2005

Joel Sternfeld, American Prospects de 1897 et réédité par Steidl Verlag en 2012

Et il y a les livres qui, même des années après, restent des regrets à jamais de ne pas les avoir achetés !
Sur mon podium + 1 : Polaroids de Walker Evans sorti chez Scalo en 2002 [ÉPUISÉ vendu sur le marché de deuxième main au prix de l’or], Cui Cui de Rinko Kawaushi, Coédition Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris / FOIL, Tokyo, 2005 [ÉPUISÉ], American Prospect de Joel Sternfedt réédité par Steidl en 2012 (première édition 1087) et la grosse monographie d’Hiroshi Sugimoto vue mais laissée à la boutique du musée, suite à ma visite de l’exposition au De Young Museum à San Francisco en 2007. Gros regret assez long… mais réparé grâce à Hatje Cantz qui l’a réédité en 2012 ! ouf.

La Rédaction
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