Temps de lecture estimé : 12mins

L’an passé, le photographe Pierre Faure que nous avions reçu dans notre rubrique « L’Invité », avait consacré une carte blanche à la série « Kashi Station » de Tilby Vattard. Aujourd’hui, le photographe vient de lancer un appel à souscription pour la sortie de son ouvrage en auto-édition et à un peu plus d’un mois de l’inauguration de son exposition à l’Espace Saint Cyprien de Toulouse, nous avons rencontré Tilby pour qu’il revienne sur ce travail au long cours réalisé en Inde entre 2014 et 2019 et qu’il nous présente la sortie prochaine de cet ouvrage !

Peux-tu te présenter brièvement et comment définirais-tu ton style photographique ?

Portrait de Tilby Vattard

Je m’appelle Tilby Vattard, je suis photographe et c’est mon unique métier. J’insiste car on me demande souvent si j’ai une autre activité à côté. Je fais un travail d’auteur et un travail de commande. Je suis actuellement basé en Haute Savoie et je collabore beaucoup avec le secteur du tourisme, ce qui permet aussi d’avoir de longues périodes où je peux me consacrer à mon travail personnel. J’ai débuté la photographie il y a une vingtaine d’années lorsque j’étais aux Beaux-Arts. Chaque année, je me rendais aux Rencontres d’Arles ce qui m’a amené petit à petit à développer mes projets personnels, qui ont beaucoup évolué avec le temps.

Il est assez difficile de définir mon style photographique, mais ce que je peux dire c’est que je suis très influencé par une famille de photographie. Si je voulais résumer, je parlerais de l’exposition Eyes Wild Open qui a eu lieu en Belgique il y a quelques années. Elle regroupait de nombreux photographes qui ont des écritures très sensibles auxquelles je m’identifie. Cela tourne beaucoup autour du noir et blanc car il y a peu de photographes qui travaillent en couleur dont je me sens proche hormis Céline Croze ou encore Dolorès Marat. Pour les amis noir et blanc je peux citer Gilles Roudière, Damien Defresne, Stéphane Charpentier et Gabrielle Duplantier, etc… Ce sont des regards et une façon de penser la photographie et l’acte photographique dans lesquels je me reconnais, qui effectivement sont dans une approche sensible, poétique du monde avec une écriture qui est vraiment très personnelle. En majorité, ce sont des déambulations dans le milieu urbain, avec des instants un peu magiques et beaucoup d’étrangeté. Donc voilà c’est plus qu’un simple style.

« La première fois que je suis allé à Varanasi, c’était il y a six ou sept ans avant de commencer ce projet-ci. J’avais déambulé dans la ville en me remémorant le travail de Michael Ackerman « End Time City ». Je me suis dit qu’il était impossible de photographier cette ville, je voulais le faire mais je ne savais pas comment ! »

Kashi © Tilby Vattard

Tu insistes sur le fait que tu vis uniquement grâce à la photo en mêlant photographie de commande et travail d’auteur, quel est le ratio en terme de rémunération ? 

Pour moi, le travail de commande c’est simple et rapide. Les clients sont généralement contents de mon travail parce que j’apporte ma culture photographique et mon regard d’auteur. Je prends beaucoup de plaisir à travailler dans le tourisme parce que je suis très sportif, j’aime la nature et la montagne. En plus de remplir mon compte en banque, je m’éclate.
Au niveau financier, le travail d’auteur représente une rémunération très minime, parce qu’il demande beaucoup d’investissement de temps. Donc la rentabilité est même assez faible. Il y a beaucoup de dépenses pour les voyages, les tirages, les encadrements… Mais quand on aime, on ne compte pas !
Au final, on doit être à 80/20, voir 90/10 pour la rémunération entre photo de commande et travail d’auteur. Ces deux activités me permettent d’être à l’équilibre, mais aussi d’être autonome parce que je ne suis pas très attiré par toutes les démarches administratives pour faire des demandes de bourses, de subventions, etc… Je préfère accepter un travail de commande que d’avoir le nez dans la paperasse pour ensuite être autonome et réaliser mes projets personnels. Cela me donne une grande liberté, je n’ai pas envie de devoir justifier ma démarche dans un  dossier.

Kashi © Tilby Vattard

Kashi © Tilby Vattard

En 2014, tu te rends en Inde pour photographier la ville de Varanasi, anciennement nommée « Kashi ». Jusqu’en 2019, tu y effectues plusieurs voyages. Peux tu revenir sur la genèse de ce projet et peux-tu nous décrire ce travail au long cours ?

Dans un premier temps, je cherchais à développer un travail d’écriture photographique. Je voulais sortir un peu de ma signature que j’avais établie dans mes premières séries. C’était du travail de composition photographique avec beaucoup de photomontages et j’avais envie d’autre chose. Ça a pris un certain temps, notamment j’ai entamé un projet à Istanbul avec Gilles Roudière pour comprendre comment je pouvais élaborer une nouvelle écriture dans un milieu urbain. J’ai pris le temps pour savoir quoi dire et comment le dire. Je suis allé une quinzaine de fois en Inde sur des séjours assez longs. J’ai donc fait beaucoup d’images là-bas, sans arriver à écrire ce que j’avais envie de traduire sur l’Inde.
La première fois que je suis allé à Varanasi, c’était il y a six ou sept ans avant de commencer ce projet-ci. J’avais déambulé dans la ville en me remémorant le travail de Michael Ackerman « End Time City« . Je me suis dit qu’il était impossible de photographier cette ville, je voulais le faire mais je ne savais pas comment ! C’est après mon séjour à Istanbul que j’ai su, j’ai donc commencé à photographier. J’ai enchaîné des séjours de trois semaines, un mois, sur une période de cinq ans où je voulais vraiment me consacrer à ma pratique. C’était vraiment dans un but d’immersion et pour arriver à dégager de bonnes images parce que comme l’a écrit Caroline Bénichou dans un texte sur ce travail, on revient souvent d’Inde avec des images touristiques édulcorées et c’est difficile de passer au-delà de la barrière colorée et chatoyante. Pendant cinq ans, j’ai resserré un peu mon regard autour d’un territoire qui était de plus en plus étroit. Et donc j’y suis retourné à de nombreuses reprises, comme font souvent les photographes, nous sommes un peu comme des chercheurs d’or. On tamise les photos, de plus en plus serré et à la fin on finit par faire émerger quelque chose.

« J’ai choisi d’éditer cette première monographie avec « Kashi » parce que c’est le travail qui me semble le plus abouti, et que c’est important pour moi vu l’investissement personnel, émotionnel et financier que j’ai mis dans ce projet, de le concrétiser par un livre.« 

Kashi © Tilby Vattard

Kashi © Tilby Vattard

Kashi © Tilby Vattard

Tu parles de recherche de signatures pour cette série. Tu as choisi le clair-obscur, avec des images extrêmement sombres, qu’est ce qui t’as poussé à aller dans cette direction ?

Toutes les images que je faisais en plein soleil, ne me convenaient pas. C’était trop lumineux, trop coloré, trop « indien ». À chaque fois que je me disais « Ha, j’ai fait un truc super !« , avec le temps l’image se désagrégeait. En pleine lumière, le Gange et les ghats – ce sont tous les escaliers qui se trouvent le long du fleuve – constituaient quelque chose de trop évident. C’est lorsque je me faufile dans les ruelles, où il y a beaucoup plus de clair-obscur, que je trouve des univers qui me plaisent beaucoup plus.
Et ce que j’avais envie de montrer de cette ville, c’est effectivement ce passage de la vie à la mort parce que c’est la thématique et la symbolique de cette ville dans la culture et la mythologie indienne. C’est ce travail de pénombre qui a surgit et qui vient décrire une sorte d’introspection. Je photographiais très tôt le matin, le soir ou en pleine journée dans des ruelles sombres pour quelque part, aller à la rencontre de mes démons intérieurs.

Comment as-tu su que cette série était terminée ?

Je suis arrivé à une quantité d’images suffisante pour moi. Je peux faire entre 400 photos et 1200 photos par jour (rires!), donc au vue du nombre de jours que j’ai passé là-bas, j’en ai un corpus d’images très important. J’y suis retourné pour compléter certains détails, mais au bout d’un moment j’ai eu l’impression que j’avais ce qu’il fallait, que j’avais fait le tour. Il faut dire que c’est un petit territoire, je risquais donc de me répéter…

Couverture du livre Kashi de Tilby Vattard

Aujourd’hui tu lances un appel à souscription pour l’édition de ton premier livre « Kashi ». Peux-tu nous raconter le parcours de ce projet d’ouvrage ? 

Le projet de réaliser un livre a mis du temps à venir. Mon intérêt même pour l’ouvrage photographique s’est développé au fil du temps. Aujourd’hui, je prends plaisir à feuilleter les ouvrages quand je vais dans des foires et des festivals, on découvre de formidables choses donc fort de ces expériences, il est devenu plus essentiel pour moi d’en publier un. Et j’ai choisi de faire cette première monographie avec « Kashi » parce que c’est le travail qui me semble le plus abouti, et que c’est important pour moi vu l’investissement personnel, émotionnel et financier que j’ai mis dans ce projet, de le concrétiser par un livre. 
Cette aventure éditoriale a commencé par la rencontre de plusieurs maisons d’édition. J’étais en discussion avec plusieurs d’entre elles, mais leurs calendriers de sorties sont très longs avec deux voire trois ans d’attente. Et il y a deux ans et demi, on a concrétisé le projet avec une maison d’édition, mais il y a eu des soucis : avec la crise du covid, on a eu des problèmes financiers ajoutés à cela des divergences éditoriales, l’aventure s’est brusquement arrêtée. J’ai mis à peu près un an à digérer cette histoire.
Au moment où on m’a confirmé l’exposition à l’Espace Saint-Cyprien à Toulouse, je me suis dit que c’était le bon moment pour sortir ce livre ! C’est de l’auto-édition, mais je suis bien accompagné. J’ai la possibilité d’investir dans cet objet, de le faire fabriquer, donc je le fais parce que sinon je vais encore attendre et j’ai envie de passer à autre chose, j’ai d’autres projets en cours…

Kashi © Tilby Vattard

Kashi © Tilby Vattard

Kashi © Tilby Vattard

Un projet d’édition est-il onéreux ?

La production des 350 exemplaires me coûte à peu près 9 000 €. Quand on fait imprimer son livre en Espagne, parce que c’est un peu moins cher, on ne compte pas toujours qu’il faut payer les trajets, l’hébergement… Et il n’y a pas que le coût de l’impression, il y a la photogravure et la partie éditoriale que je rémunère parce que je trouve ça normal. Donc si je vends l’ouvrage 35€, pour rentrer dans mes frais je dois en vendre 260. Mais, je dois prendre en compte les ventes en souscription avec un prix de vente légèrement inférieur (29€), puis certains que je vais mettre en librairie avec une commission de 30 %. Sur ce projet je pense être à zéro, mais si je perds 2 000 €, ça m’ira déjà très bien. Le livre existera et circulera, et je n’aurais pas perdu trop d’argent.

C’est une auto-édition mais tu es entouré pour réaliser ce livre, peux tu nous parler de ceux qui t’accompagnent, et quel est leur rôle ?

En première place, je vais parler de Caroline Bénichou, qui m’accompagne depuis longtemps et qui a suivi le projet depuis ses débuts. Elle a une grande culture de l’image et une belle façon de penser la photographie. Elle m’a aidé sur la sélection des images et pour la concrétisation du livre : choisir la forme de cet objet livre. Je crois qu’on était à peu près d’accord sur la séquence, le choix du papier, le grammage, la couverture souple avec rabat, le format…
Je soit également reparler du photographe Gilles Roudière qui est un ami, impossible de ne pas ne le citer, c’est l’une des premières personnes à qui je montre mes images ou avec qui je parle de mes projets, il m’est d’une grande aide et je suis très heureux que l’on partage autant de choses.
Pour la partie édition, mon ami éditeur, David Fourré, des éditions lamaindonne et dont j’apprécie énormément le travail, m’a conseillé et a partagé ses contacts. Et puis c’est tout un réseau qui se met en place, par exemple Caroline travaille avec Israël Ariño pour les éditions Anomalas et c’est lui qui m’a mis en contact avec le photograveur qui est à Barcelone.
Et il me faudrait des pages pour remercier toux ceux qui m’ont accompagné dans ce projet.

Vous souhaitez profitez de l’appel à souscription. 29€ au lieu de 35€ :
https://www.tilby.fr/produit/kashi-le-livre/

INFORMATIONS PRATIQUES

mer25jan(jan 25)9 h 00 minven24mar(mar 24)18 h 30 minTilby VattardKashiEspace Saint-Cyprien, 56, allées Charles-de-Fitte 31300 Toulouse

A LIRE
Carte blanche à Pierre Faure : Kashi Station de Tilby Vattard

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Edition