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Dans cette troisième carte blanche, il est question d’écosophie en photographie. Le gérant et fondateur de la galerie L’Angle, située à Hendaye (64), Didier Mandart, nous parle d’un des sujets qui le passionne et qui constitue un intérêt pour la programmation de sa galerie : celui qui lie la recherche d’une connexion profonde et existentielle de l’Humain avec le monde. Il nous explique pourquoi à travers notamment les travaux d’Aurélien David et David Tatin.

Ce qui motive et anime la création et la programmation d’une galerie dédiée à la photographie, est sans aucun doute la passion, tant pour les particularités de ce médium que pour les créations des auteurs qui le pratique.

Pour le designer que je suis, technique et poésie ont toujours été intimement liées. Et pour ce qui est de la définition complexe et intarissable d’une œuvre d’art, on peut malgré tout citer Kant en référence, quand il détermine à propos de celle(s)-ci : « Puisque l’artiste ne produit pas de valeurs d’usage, ses œuvres ont la gratuité des choses naturelles sans toutefois être naturelles puisqu’elles sont bien le produit d’une activité technicisée ». Cette dualité de l’art et de la technique se manifeste naturellement en photographie, où de surcroît et comme souvent, la liberté de création s’exprime dans la contrainte d’un format défini.
À ces deux composantes de la passion du galeriste pour le médium photographique et pour la beauté de l’art visuel, viennent s’ajouter deux autres notions qui méritent intérêt : la recherche de sens d’une part, et l’engagement d’autre part. Le sens, fut-il caché, est entendu en amont, comme le fondement même de la réflexion de l’artiste ayant menée à l’œuvre, et in fine, comme le socle de la transmission de l’œuvre à son public. L’engagement est perçu et assumé quant à lui, dans un caractère de prosélytisme, pour défendre une cause universelle envers un public à convertir.

Parmi les nombreux sujets réunissant quête de sens et engagement qui ne manquent pas d’intéresser L’ANGLE, il en est un qui retient tout particulièrement mon attention, c’est celui qui lie la recherche d’une connexion profonde et existentielle de l’Humain avec le monde, avec l’engagement qui défend l’habitabilité de ce monde pour l’ensemble du Vivant. Il rejoint ainsi le concept au combien d’actualité, forgé par le philosophe écologiste norvégien Arne Næss en 1960 et qui invite à un renversement de la perspective anthropocentriste : l’écosophie.

Quoi de plus naturel alors, qu’au sein de la sélection des photographes présentés à L’ANGLE depuis 2018, plusieurs d’entre eux peuvent inscrire leurs travaux dans cette veine écosophique, tels Guillaume Pépy, Bernard Langenstein, Patrick Bogner, Véronique Durruty, Aurélien David et David Tatin. Ces deux derniers faisant ouvertement référence dans leurs travaux, aux écrits de philosophes du Vivant comme Bruno Latour, Baptiste Morizot ou Philippe Descola.

BeLeaf / collage
anthotype sur feuille de bananier
© Aurélien David

Clorophyllians /
réhausse sur tirage au vert de Hooker
© Aurélien David

Aurélien David, dont L’ANGLE a présenté le travail pour la première fois en 2021, puis exposé les deux séries : BeLeaf et Chlorophyllians à la galerie en 2022, a suivi une double formation en ethnologie et photographie. Depuis, il développe au fil de ses voyages à bord de son voilier-atelier, une écriture « chlorophyllienne » interrogeant nos représentations de l’environnement.
Par l’emploi de procédés photographiques naturels tel que l’anthotype, le photographe nous parle de l’abandon de ce qui nous fait Humain. Paradoxalement, en fusionnant ses sujets avec le végétal, il alerte en creux sur notre abandon à Gaïa, la terre-mère, et sur la perte progressive de notre relation à l’Autre, à l’Être, au Vivant. De ses expériences glanées auprès des communautés d’Afrique de l’Ouest, et par le biais d’une photographie que l’on pourrait qualifier d’humaniste, exprimée dans une forme simple – mais non simpliste -, l’artiste traite de ces abandons qui nous menacent mais aussi des solutions qui s’offrent à nous, telles que la force du collectif – en opposition à l’individualisme – et d’une conscience écologique en évolution vers une forme plus éco-sociale. Ainsi, par son travail de recherche, Aurélien David nous conduit à envisager une mutation urgente et vitale qui doit nous mener du biomorphisme à la biopolitique.

© David Tatin / Courtesy l’Angle Gallery

Cosmos #6 © David Tatin / Courtesy l’Angle Gallery

Le photographe naturaliste et biologiste David Tatin, dont la série Bestiaire participât à l’inauguration de la galerie en 2018 et auquel L’ANGLE a consacré à ce jour pas moins de cinq expositions dans et hors les murs, est un infatigable marcheur, observateur en connexion avec le cosmos, ainsi qu’il le précise lui-même: « Dans la nature sauvage comme dans les sites qui ne semblent qu’urbains, mes photographies questionnent notre rapport au vivant, au territoire, et aux traces laissées par l’Homme. J’aime arpenter les marges et les zones de frottement, marcher, et m’imprégner des espaces que je parcours. »
Faisant usage autant des procédés anciens que du numérique, David tatin est aussi l’auteur de plusieurs livres qui font éloge de cette écosophie photographique : Mes pierres de passage, L’animal montagne, À travers la frontière, Cosmos, L’île Monde.

Ainsi que le note le critique et professeur d’histoire de l’art, Michel Poivert, qui consacre au photographe un passage de son ouvrage « Contre-culture dans la photographie contemporaine » aux Éditions Textuel en 2022 : « Randonner sur de longues périodes en toute autonomie permet au photographe d’engager un autre « habiter » et, dans l’époque de basculement que nous vivons, de créer, selon ses mots, « un ‘’ailleurs’’ cosmique ». David Tatin dépasse les motifs attendus pour une approche transcendantale : les cieux, l’eau, les végétaux et la terre ainsi que les phénomènes atmosphériques sont traduits de façon presque hallucinée. Ce n’est plus un regard porté sur la nature, mais une forme d’imprégnation qui génère une vision. Toutefois, cette immersion par la marche n’est pas qu’une quête intérieure puisqu’elle donne lieu à des moments de restitution et de transmission : le photographique est une marche écosophique ».

La Rédaction
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