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Le voile se lève sur la Carte blanche PMU 2017
Rencontre avec Elina Brotherus

Temps de lecture estimé : 7mins

Cinq mois après avoir été sélectionnée par le jury de la Carte blanche PMU, Elina Brotherus vient de clore sa réalisation photographique. Alors qu’elle entre dans la conception de l’exposition qui ouvrira ses portes au Centre Pompidou le 27 septembre prochain, et de celle de son ouvrage à paraître aux éditions Filigranes, nous avons rencontré la photographe finlandaise afin qu’elle nous dévoile sa Carte blanche et nous présente sa « Règle du jeu »…

Avec ce nouveau travail, Elina ouvre un nouveau chapitre de sa création photographique. Après 20 ans d’autoportraits, on découvre son double, incarné dans un second personnage qui prend vie dans ses images.

L’art est la seule discipline humaine qui permet aux adultes de continuer à jouer.

9 lives : Pouvez-vous nous présenter votre projet artistique de cette huitième Carte blanche PMU ? Comment avez-vous abordé le thème du jeu dans cette nouvelle série ? 

Elina Brotherus : Dans l’appel à candidature de la Carte blanche PMU, il était demandé « un regard décalé sur l’univers du jeu ». J’ai proposé de m’éloigner du premier degré et de prendre le mot « jeu » non pas littéralement connecté aux jeux PMU, mais en pensant à ses autres sens : Amusements soumis à des règles – Jeu d’enfant – Jeu d’esprit – Jeu de mots – Se servir d’un instrument quelconque – Exécuter un air – Jouer la comédie – Jouer un rôle – Se jouer d’une chose – Jouer le jeu…
L’art est la seule discipline humaine qui permet aux adultes de continuer à jouer. Non pas pour l’argent, mais pour le plaisir et pour la curiosité.

Au début, le titre de mon travail était « Homo ludens, ou Jouer le jeu ». Plus tard, je l’ai remplacé par « Règle du jeu » que je trouvais mieux adapté. Comme outil de travail, j’utilise des « event scores ». J’ai entamé cette pratique il y a un an lors de ma nomination pour le Prix du Musée de l’Elysée de Lausanne. Je cherche dans la littérature des « partitions » écrites par des artistes, principalement dans les années 1960 et 1970. Les « scores » étaient notamment developpés par des artistes Fluxus (mouvement d’art contemporain né dans les années 60), dont nombreux étaient des élèves de John Cage qui enseignait la musique expérimentale dans les années 1950 au Black Mountain College et à la New School for Social Research à New York. Leurs partitions ont commencé à virer vers une expression non-classique avec des signes graphiques ou encore avec des mots. Au lieux de « musical scores » (partitions musicales), ils ont donc commencé à parler des « event scores », (que l’on pourrait traduire en français par « partitions d’événements »).

Ces partitions sont pour moi des règles du jeu et m’indiquent une marche à suivre ; toutefois elles sont suffisamment ouvertes pour laisser agir ma créativité. Cela me sauve d’un problème rencontré après 20 ans d’autoportaits : comment se tenir devant l’appareil photo puisque j’ai déjà tout fait ? Cette démarche m’a permis de tourner la page, trouver quelque chose de véritablement nouveau, tout en continuant à faire ce que je sais faire le mieux.

Jusqu’à présent, j’ai toujours travaillé seule. Pour marquer ce changement et pour le projet de cette Carte blanche j’ai introduit un second personnage. La présence de ce sosie ou double, permet d’exécuter de nouveaux types d’images. Le choix de mon binôme s’est porté sur la danseuse et chorégraphe Vera Nevanlinna. C’est une amie de longue date avec qui j’ai déjà réalisé des photos lorsque nous étions étudiantes. Ce fut un vrai plaisir de retravailler ensemble.

Certains sujets se prêtent particulièrement bien à l’image animée.
J’ai donc, pour cette Carte blanche, réalisé un grand nombre de vidéos en parallèle de mon travail photographique. Pour l’exposition de rentrée nous avons opéré certains choix avec Karolina Lewandowska (Conservatrice au Centre Pompidou) et Françoise Vogt (Responsable du mécénat culturel du PMU), parfois en sélectionnant les photographies et parfois en privilégiant la vidéo.

J’ai réalisé des « event scores » de grands classique de Fluxus comme George Brecht, George Maciunas, Mieko Shiomi, Yoko Ono, ou Walter de Maria… Mais j’ai voulu me donner la liberté de dériver vers d’autres pistes, plus anciennes ou plus contemporaines. Par exemple j’ai fait un Cadavre exquis (inventé par les surréalistes en 1925). J’ai utilisé les instructions de Tristan Tzara pour faire un poème dadaïste. J’ai commandé de nouveaux « scores » à un poète contemporain finlandais, Tuomas Timonen, et avec mon modèle Vera nous en avons écrit nous-mêmes. J’ai utilisé une phrase de Merce Cunningham, piochée dans une interview que j’ai lue récemment. Des fois j’ai pris comme point de départ le titre d’une œuvre de quelqu’un, comme Francesca Woodman ou Marcel Duchamp. En pensant à la toile « Nu descendant un escalier » (1912) de Duchamp, j’ai réalisé une vidéo « Nu montant un escalator » dans l’escalier mécanique extérieur du Centre Pompidou !

9 lives : Comment s’annonce le projet d’exposition et de livre ?

E. B. : J’avais quatre mois pour réaliser mes images, ce qui est très court. Ces quatre mois de prises de vue n’ont pas suffit, et il me reste encore beaucoup de choses à développer pour les années à venir… Le Centre Pompidou sera donc une première exposition mais il y en aura d’autres. Je peux déjà vous dire que la série sera présentée au Musée Serlachius en Finlande l’été 2018…

Concernant l’exposition et le livre, nous avancons bien – j’ai terminé cette première phase de prise de vue il y a trois semaines à peu près, suivi de 7 jours et autant de nuits blanches en traitement d’images – maintenant le choix est fait pour les tirages d’exposition dont je lance la production dès à présent.

La dernière maquette de livre que j’ai reçue hier est proche de sa version définitive. Mon expérience dans l’édition m’a prouvé qu’il faut faire confiance aux graphistes. Nous avons fait le séquençage ensemble, mais c’est Caroline Magre, du studio graphique WPS, qui a su trouver l’idée globale et la forme du livre. Le livre traduit à merveille l’esprit ludique et l’humour dead-pan qui traverse la série.

Exposer dans une institution aussi prestigieuse que le Centre Pompidou donne une grande visibilité à l’artiste, alors on se met une pression supplémentaire. Je sais que je peux être parfois très exigeante, et j’espère n’avoir pas trop épuisé mon entourage et mes collaborateurs. Il est déjà temps de remercier et féliciter tout le monde car on touche au but ! Ce projet est quelque chose que je garderai dans mon cœur toute ma vie. Je suis très heureuse que l’on m’ait donné cette opportunité.

9 lives : Comment situez-vous cette nouvelle proposition de Carte blanche PMU parmi les sept précédentes ?

E. B. : Comme je n’habite pas à Paris, je n’ai malheureusement pas vu les expositions des précédents lauréats. Mais à en juger par les livres, je constate des approches très variées. Personnellement je considère que ma série correspond parfaitement à l’appel lancé par les organisateurs : « un regard décalé sur l’univers du jeu ».

Ce qui est peut-être particulier dans mon cas, c’est que mon projet s’intègre pleinement dans mon travail artistique. Je l’aurais fait quoi qu’il en soit, mais là j’ai pu le faire dans d’excellentes conditions.

Ce prix m’a permis non seulement de réaliser une nouvelle exposition et de sortir un nouveau livre, mais il va également améliorer mes conditions de travail pour les années à venir. J’ai suivi le conseil d’un de mes professeurs qui disait : «  Quand vous commencez à gagner quelque chose avec votre art, vous investissez cet argent dans votre art ! ». C’est ce que j’ai fait et j’ai donc acquis un nouvel appareil photo. J’ai aussi pu rémunérer mes collaborateurs. Comme disent les Allemands, « Was wünscht man noch mehr. » (ndlr : que demandez de plus!)

INFORMATIONS PRATIQUES
Règle du Jeu
Carte blanche PMU Elina Brotherus
> Exposition à venir
Du 27 septembre au 22 octobre 2017
Centre Pompidou
Galerie des Photographies
75004 Paris
http://www.centrepompidou.fr
> Ouvrage à Paraître
Aux Editions Filigranes
Graphisme : WhitePapierStudio
Automne 2017
http://www.filigranes.com
http://www.whitepapierstudio.com

http://elinabrotherus.com
http://carteblanchepmu.fr

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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