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Le titre est issu d’une chanson de Cabrel, « Je l’aime à mourir ». Il n’est ici question que d’amour, celui qui fait vibrer, celui qui transporte mais aussi celui qui peut faire souffrir. Dans ce nouvel ouvrage édité à 6000 exemplaires, oui, vous avez bien lu, 6000 exemplaires pour un livre photo qui parle… de lesbiennes, Marie Docher a sillonné la France pour partir à la rencontre de ces femmes ordinaires qui ont la particularité d’aimer d’autres femmes. Elles sont plurielles, il n’existe pas une seule lesbienne, mais des milliers et ce livre participe à apporter une représentation d’une partie de la communauté queer invisibilisée.

Alors qu’en moyenne, les livres photographiques sont édités à 850 exemplaires (lire notre enquête), les éditions La Déferlante, qui portent l’indispensable revue trimestrielle féministe du même nom frappe fort : « Et l’amour aussi » est édité à 6000 exemplaires pour ce premier tirage, car il risque bien y en avoir d’autres ! Et on vous explique pourquoi dans cet article.

Rima Abdul Malak et Marie Docher lors du salon Paris Photo 2023 © Florent Drillon / Paris Photo

Marie Docher est photographe, réalisatrice, elle est aussi militante féministe et co-fondatrice du collectif La Part des femmes. Je pense que dans le milieu de la photographie, on lui doit beaucoup : sans son travail d’étude de visibilité de genre dans le secteur (institutions, festivals, presse…), il est fort à parier que les femmes photographes seraient encore le second choix, avec une visibilité ne dépassant pas les 20% en moyenne. Dans son entretien consacré au Monde publié ces jours-ci, notre ministre de la Culture, Rima Abdul Malak affirme : « 36% de femmes exposées à Paris Photo, ce n’est pas encore assez ! », c’est certain, mais il faut imaginer le chemin qu’il a fallu traverser pour en arriver là. Est-ce que Marie aurait fait tout ce travail en étant hétérosexuelle ? Sincèrement, je ne le pense pas (fait qu’elle a d’ailleurs évoqué à l’occasion de plusieurs entretiens). Elle n’aurait sans doute pas pu, car être queer, cela veut dire qu’une grande partie de déconstruction personnelle et sociale a été opérée. Cela participe à l’envie, la rage de faire bouger les lignes. Mais il ne faut pas penser que cela est facile, car avant de vouloir faire évoluer le monde, il faut faire face à un cyclone intérieur et je peux vous dire qu’il peut causer de sacrés dégâts.

À la fin des années 70, à l’adolescence, période des premières amours, Marie n’a aucun modèle, aucune représentation, aucun mot pour dire ce qu’elle ressent. Difficile de concilier les sentiments et l’esprit dans de telles conditions, aujourd’hui les choses ont changé fort heureusement, mais vivre son homosexualité et en particulier son amour pour les femmes dans une société patriarcale où l’Homme est au cœur de tout, n’est pas si facile. Et ce sont les chiffres qui l’attestent, la violence lesbophobe explose ces dernières années ! Par exemple la jeune chanteuse Hoshi qui lors d’une prestation aux Victoires de la musique sur le titre « Amour censure (amour sincère) », embrasse sur la bouche une de ses danseuses, et c’est un déferlement de haine et de violence qui s’abat sur elle et perdure encore aujourd’hui, trois ans plus tard…

Sophie (à gauche), 47 ans, est enseignante – chercheuse et autrice. Sarah, 34 ans, est chercheuse en sociologie. Montreuil (Seine-Saint- Denis), février 2022. A propos de cette photo Marie Docher écrit : « Si “un baiser lesbien est une révolution”, il se pratique encore peu en public, et encore moins face à un appareil photo. Avec Sarah et Sophie, nous sommes amies. Les images réalisées ce jour-là n’auraient pas été possibles autrement. Il fallait qu’elles se sentent en confiance. » © Marie Docher / Grande commande photojournalisme

Cy Jung, 60 ans, est écrivaine. Johnny Delort-Dedieu est double champion de judo de France FSGT en − 73 kg. Paris, février 2022. A propos de cette photo Marie Docher explique : « Cy avait décidé que la photo se ferait avec Johnny. Être ceinture noire de judo et déficiente visuelle, c’est une performance. Il fallait l’honorer. “Si un gamin de 28 ans, champion de France de judo se fait plaisir avec une femme de 59 ans, socialement et culturellement à l’opposé, c’est que j’ai gagné quelque chose”, m’a-t-elle dit plus tard à propos de ce portrait. »
© Marie Docher / Grande commande photojournalisme

Qui sont elles ? Comment vivent-elles ? Qu’est ce qu’être une lesbienne en France aujourd’hui ? C’est à ces questions que répond ce livre. Lorsque la Grande commande photographique du Ministère de la culture/BnF est lancée, Marie Docher sait bien que c’est l’anniversaire des 10 ans des débats et manifestations autour du mariage pour toutes et tous. Elle présente, et remporte, son projet visant à créer une représentation inédite des lesbiennes, à aller à leur rencontre, où elle veulent, quand elles veulent. Si essentielle, à en juger par la photo commémorative publiée par Anne Hidalgo célébrant les 10 ans du mariage pour tous, qui représente uniquement des hommes homosexuels (et non, ce n’est pas parce que les lesbiennes ne se marient pas, je peux en témoigner, je suis moi-même mariée). Une preuve de plus, que les lesbiennes sont encore les grandes oubliées…
Alors ce livre en petit format et à petit prix (25€!) est le bienvenu et il fait du bien, on y découvre des femmes qui partagent un petit bout de qui elles sont, de toutes générations, tout profils sociologiques, handicapées, valides, mariées, célibataires, mères, racisées, militantes… Bref autant de profils qu’il y a d’individualités. Il y a les portraits photographiques bien sûr, mais il y a surtout un incroyable travail d’écriture avec de sublimes témoignages, forts et vrais sur les identités lesbiennes. Ce livre leur donne vie et elles le méritent ! C’est un livre qui parlera aux lesbiennes, mais il est d’une nécessité absolue pour tou·tes les autres !

INFORMATIONS PRATIQUES
Et l’amour aussi
Marie Docher
Éditions la Déferlante
25€
https://revueladeferlante.fr/et-lamour-aussi/

Ces photographies ont été produites dans le cadre de la grande commande nationale « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire » financée par le Ministère de la culture et pilotée par la BnF

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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