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Poursuite de mes visites d’ateliers à Montreuil avec Damien Caccia qui présente son exposition résidence chez Jakmousse, laboratoire entre arts et sciences. « Comme l’ombre des arbres » fait appel à l’intelligence artificielle pour évoquer des images-souvenirs qui transférés sur de la colle, deviennent les feuilles ou les pétales d’un atelier devenu jardin d’hiver. La porosité et la fragilité des matériaux est-ce qui intéresse l’artiste dans une interrogation autour de la nature de l’image. Une dialectique engagée avec la peinture, la pellicule ou le verre jusqu’à réduire à la taille d’une lentille des scènes d’archives, des paysages ou des souvenirs personnels.

L’opacité ou la transparence, la soustraction ou le recouvrement, l’abstraction ou la figuration sont parmi ses paramètres d’expérimentation. Damien a répondu à mes questions.

Portrait Damien Caccia crédit : Hélène Bellenger

Né en 1989, Damien Caccia vit et travaille aux Lilas.
Diplômé des Beaux-Arts de Biarritz puis de Nantes, Damien est le co-fondateur de l’artist-run space «Grande Surface» (Bruxelles). Il participe en 2016 à la 66ème édition de «Jeune Création», à la biennale Art press au MAMC+ St-Etienne en 2020 ou à la Biennale de l’image tangible (Paris) la même année et à plusieurs expositions en France et en Belgique.

La matière tient une grande place qu’elle soit soustraite ou ajoutée : qu’est ce qui se joue pour vous ?

La matière occupe une place importante dans mon travail. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ses fragilités et de les utiliser pour créer une tension. Principalement par le biais de la soustraction, je viens creuser pour faire surgir une forme, un paysage. Ces propositions sont principalement abstraites. Les expérimentations autour de la matière en tant que support pictural sont des points d’ancrage dans mon travail. Les séries sont en perpétuel mouvement, elles ne sont pas figées. J’accepte de les réactiver, elles sont comme des cartes mémoire qui enregistrent un geste.

Damien Caccia, Larmes studio view courtesy de l’artiste

Vous avez participé à la Biennale de l’Image Tangible autour de la série « Larmes » : pouvez-vous nous en décrire les mécanismes ?

Le projet « Larmes » a été initié par le désir de retrouver la figuration.

J’ai commencé par imprimer mes images issues des archives de mon téléphone. Ces images, ces enregistrements dans lesquels je capturais des choses comme des couleurs, des regards, de l’architecture, des détails nourrissaient ma pratique picturale quotidienne. Semblables à un herbier elles étaient pour moi comme un catalogue de couleurs que je pouvais consulter à n’importe quel moment.

J’étais particulièrement attiré par cette mosaïque d’images miniatures, de la taille d’un œil ou d’une lentille, qui défilait sur l’écran de mon téléphone. En les observant, je prenais conscience qu’un simple détail pouvait captiver l’attention. J’ai donc décidé d’imprimer ces images en miniature pour ensuite les transférer sur de la colle chaude. La colle chaude, une fois sèche, décolle la fine pellicule de l’image. C’était un geste simple : une goutte de colle pour une image. Peu importait son aspect difforme, l’image existait, unique et précieuse, dans la continuité de mes expérimentations autour de la matière et de l’abstraction. La différence résidait dans le fait que la matière devenait de plus en plus transparente et que la figure réapparaissait en surface.

Ces images/matière faisaient finalement partie de mes souvenirs, tels des larmes.

Damien Caccia, Vue d’exposition Jakmouse « Comme l’ombre des arbres »

L’exposition actuelle et résidence Jakmousse « Comme l’ombre des arbres » : genèse et enjeu du projet

« Comme l’ombre des arbres » est une installation que je mène actuellement en résidence à Jakmousse. Le point de départ a été de travailler autour des souvenirs, plus particulièrement sur l’élasticité et la déformation possible de chacun. Cette installation est constituée d’une grande peinture murale vaporeuse aux couleurs pastel, dans laquelle émergent des branches d’arbres. À la manière de mon projet « Larmes », des images sont transférées sur de la colle, remplissant le rôle de feuilles et de pétales. Cette fois-ci, les images ne proviennent pas de mes archives de téléphone portable. Ce sont des images générées en IA. Ces images évoquent des souvenirs que je n’ai jamais photographiés, mais qui sont pour moi aussi nets que certaines images capturées.

La matière, contrairement au projet des « Larmes », est retravaillée une fois transférée. Refondue, quitte à en perdre la définition de l’image, cela renvoie davantage à l’évocation du souvenir étiré et en mouvement. Cet ensemble de secrets pousse et s’infiltre dans un atelier qui se transforme peu à peu en jardin d’hiver.

Que retenez-vous de votre expérience à Bruxelles ?

Bruxelles est une ville qui a beaucoup compté après mes études. J’y ai vécu pendant 3 ans. Ce que je retiens principalement, ce sont les projets collectifs. En collaboration avec d’autres artistes, j’ai créé deux Artist-un spaces (« Sous les tropiques » et « Grande Surface »). C’était un terrain de jeu très effervescent. Le fait de mettre en place des événements nous a permis d’expérimenter divers formats d’exposition, chacun étant différent. Je pense que cela a influencé la manière dont j’ai abordé mes projets personnels, que ce soit dans des propositions in-situ ou dans des scénarios d’expositions.

Le projet Jakmousse :

Lieu dédié au domaine de la recherche et des pratiques artistiques contemporaines, en lien étroit avec son outil industriel à partir de la rencontre de trois acteurs du monde l’art et du design contemporain : Camille de Bayser, Vincent Labaume et Karine Scherrer. 3.500 m2 sont ainsi consacrés à héberger : 5 ateliers de création dont 2 en logements-résidences, 1 « fablab » encadré par une équipe de professionnels (découpe caoutchouc, métallerie, menuiserie, ferronnerie, impression 3D, céramique, sérigraphie), 1 studio et laboratoire photographique et 1 studio son-vidéo. Une programmation d’expositions liées aux résidences et la publication d’une revue critique et théorique répercutant leurs enjeux artistiques, JAKMOUSSE ±, viennent compléter et enrichir ce dispositif.

INFOS PRATIQUES
Jakmousse+-
124 Rue de Rosny
93100 Montreuil
https://jakmousse.org/

Site de l’artiste :
http://damiencaccia.com/
https://instagram.com/damien.caccia

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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