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« Histoire(s) sans fin » est la toute dernière exposition présentée à la Galerie Le Réverbère, à Lyon. Catherine Derioz et Jacques Damez ont annoncé avant l’été la fermeture définitive de la galerie après 43 ans d’activité. Un arrêt aussi triste que brutal. Après avoir interrogé les premiers photographes de la galerie, nous publions ce nouvel entretien avec le photographe britannique, Rip Hopkins, représenté par la galerie depuis 2002 que nous avons contacté depuis ses champs d’olivier en Grèce pour revenir sur son aventure photographique et humaine à la Galerie Le Réverbère.

Rano Azizova, 40 ans, couturière, Usine de tapis
Kolinkho, district de Kairakkum, près des frontières
ouzbèque et kirghize, Tadjikistan, 20 août 2001
© Rip Hopkins / Agence VU’
Tadjikistan tissages, 2001

Sasha Destyarova, 11 ans, écolière, Nurek, centre du
Tadjikistan, 14 août 2001
© Rip Hopkins / Agence VU’
Tadjikistan tissages, 2001

Angela Nebradovskaya, 29 ans, femme au foyer, et son
fils Boris, 9 ans, écolier, au Musée d’Histoire populaire
Hamadani, Kulyab, près de la frontière afghane,
Tadjikistan, 13 août 2001
© Rip Hopkins / Agence VU’
Tadjikistan tissages, 2001

Ericka Weidmann : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Catherine et Jacques et comment avez-vous intégré la galerie en 2002 ?

Rip Hopkins : C’est une histoire un peu tumultueuse, c’est un peu comme quand on quitte sa femme pour une autre… À l’époque, je venais tout juste d’intégrer la Galerie Baudoin Lebon, parce que je venais de faire une exposition dans son espace à Paris. Peu après il y a eu la FIAC, je les ai rencontrés sur leur stand… Mes souvenirs sont un peu confus, je ne me rappelle plus exactement comment nous nous sommes rencontrés avec Catherine et Jacques, mais je sais qu’ils appréciaient beaucoup mon travail, c’était une approche très différente de la galerie Baudoin Lebon. D’un côté, vous aviez une galerie parisienne très attachée aux aspects financiers de la photographie et de l’autre, avec Catherine et Jacques, j’ai tout de suite senti qu’ils s’intéressaient aussi bien aux œuvres qu’aux artistes eux-mêmes ! Les deux sont pourtant indissociables, c’était donc très important pour moi. Et donc, lors de la foire, j’ai fait part à Baudoin Lebon de ma décision de quitter la galerie pour être représenté par la Galerie Le Réverbère. Je ne vous cache pas, que cela a été assez litigieux, car il n’était pas vraiment d’accord… J’étais également représenté par la Galerie Camera Obscura, je suis resté avec Didier Brousse quelques années avant de partir parce que je me suis rendu compte que c’était impossible d’avoir deux galeries sur le même territoire national. Je suis parti, mais cette fois-ci en très bons termes. Et voilà, cela fait plus de 20 ans que je travaille avec Catherine et Jacques !

Podium des dignitaires, 10ième anniversaire de
l’indépendance à Murgab, région du Pamir, près de la
frontière chinoise, 9 septembre 2001
© Rip Hopkins / Agence VU’
Tadjikistan tissages, 2001

Podium des dignitaires, 10e anniversaire de
l’indépendance, Murgab, région du Pamir, près de la
frontière chinoise, Tadjikistan,
9 septembre 2001.
© Rip Hopkins / Agence VU’
Tadjikistan tissages, 2001

Anahita Makhamadshoeva, 6 ans, village de Duoba,
région du Gharm, centre du Tadjikistan, 25 août 2001
© Rip Hopkins / Agence VU’
Tadjikistan tissages, 2001

E. W. : Que représente pour vous cette collaboration ?

R. H. : C C’est bien plus qu’une simple collaboration, c’est un véritable suivi dans le temps. Si je compare par exemple avec la galerie Camera Obscura, Didier Brousse me proposait de faire des expositions lorsque j’avais une série qui était intéressante, qui avait été médiatisée ou soumise à la critique… Mais quand je ne produisais pas et que j’étais dans des moments de vide, ces moment où vous vous posez beaucoup de questions, que vous avez des doutes et que vous allez même jusqu’à vous remettre en question, j’étais seul. Alors qu’avec Catherine, il y a un suivi qui est constant, c’est un peu comme une famille ou une amie, quelqu’un qui se soucie aussi bien de ma personne que de ma production et de mon œuvre. Je parle de Catherine parce qu’elle a toujours été mon interlocutrice principale. C’est vraiment elle qui est la face active de la galerie, même si c’est un tandem, Jacques est plus en arrière-plan, c’est le « back office », comme on dit, tandis que Catherine, c’est le « front end ». C’est un duo intéressant. Jacques et moi avons beaucoup de points en commun, c’est un manuel, il fait tous les travaux. Moi aussi, j’aime beaucoup le travail de la main, l’intelligence de la main, le rapport de la main avec le matériau. Nous avons cette sorte de connivence très précieuse avec Jacques et Catherine.

© Rip Hopkins. Série Another Country.
« Je n’y retournerai jamais » – Rachel Evans (42 ans) a quitté Solihull, près de Birmingham, en 1986. Ses enfants, Louis (17 ans) et Sophie (14 ans) sont nés ici. Elle est artiste et possède une boutique d’objets d’art. Stan (13 ans) est son âne. Il est hors de question qu’elle retourne en Angleterre.
Courtesy Galerie Le Reverbère.

© Rip Hopkins. Série Another Country.
« Je lui gratterai le dos s’il me gratte le mien » – Will (47 ans) et Trilby (45 ans) Spall sont venus de Brooklands dans le Kent en 2005. Will avait une entreprise d’échafaudages dont le principal client était une centrale nucléaire. Trilby était coiffeuse. Le premier rénove la maison pendant que la seconde s’occupe des chevaux. Ils veulent rentrer.
Courtesy Galerie Le Reverbère.

E. W. : Comment vous avez réagi à l’annonce de la fermeture de la galerie ?

R. H. : Je m’y attendais un peu. Disons que c’est comme tout : tout a une fin. Cette galerie, ce n’est pas une entreprise. Quand vous avez une entreprise vous pouvez faire en sorte que quelqu’un puisse reprendre après vous. Vous pouvez valoriser votre travail financièrement, vous avez une clientèle, un chiffre d’affaires… Mais cette galerie, c’est avant tout deux personnages, et ce n’est pas quelque chose que vous pouvez transmettre facilement. Et puis j’ai l’impression qu’ils n’ont pas eu cette envie de transmission. Ce n’est pas une entité qui peut leur survivre. Et donc j’étais prêt à cela. C’était sûr que ça allait se terminer un jour. Et puis c’est peut-être mieux ainsi, vous savez c’est comme un bon restaurant, quand le chef part, on peut essayer de tenir quelques années, mais ce n’est jamais aussi bon.

© Rip Hopkins. Série Another Country.
« Nous faisons notre propre vie » – Peter Whitehouse (76 ans) a été propriétaire de plusieurs maisons de vacances dans cette région, avec son compagnon Ted Moore, en une trentaine d’années. Il a passé sa jeunesse à Londres et dans le Surrey, puis a vécu de 1956 à 2005 avec Ted à Lagos, au Nigeria, où il était architecte, avant de s’installer ici. Rain (11 ans) est un lévrier italien, Dune (12 ans) un lévrier persan et Wallis (11 ans), un carlin hérité de leur ami Eric Boyes. Tous sont déterminés à rester là.
Courtesy Galerie Le Reverbère.

© Rip Hopkins. Série Another Country.
« Jamais dure longtemps » – Antony Mair (62 ans) et Paul McQuillan (50 ans) viennent des quartiers ouest de Londres mais sont originaires respectivement du Norfolk et de Belfast. L’un était conseiller juridique, l’autre agent immobilier. Ils ont ouvert une agence immobilière à Ribérac, spécialisée dans les biens exceptionnels destinés à une clientèle majoritairement anglo-saxonne. Balzac (6 ans) est un coton de Tuléar et Oscar (2 ans), un shih tzu. Ils sont tous là pour de bon.
Courtesy Galerie Le Reverbère.

E. W. : Comment vous voyez la suite sans Le Réverbère ? Cherchez-vous une autre galerie ?

R? H. : J’ai été voir des galeries à Paris, mais je n’ai pas très envie… Vous savez c’est comme une séparation, si vous quittez votre femme ou votre mari, après tant d’années, vous avez partagé tellement de choses qu’il est difficile de se projeter dans une autre relation parce ce qu’il faut déjà faire son deuil. Pour le moment, je n’ai pas très envie d’être dans une autre galerie, il y a l’aspect financier évidemment, mais en parallèle et c’est ce qui était précieux au Réverbère, c’est que vous avez quelqu’un qui vous accompagne, qui vous rassure, qui vous aiguille, qui vous donne des conseils, qui vous dit quand vous faites des erreurs, qui vous encourage et qui vous dit les vérités que vous n’avez pas envie d’entendre. Une personne qui vous tient tête.
Pour retrouver une autre personne comme ça, ça va être dur.
Donc, personnellement, je me demande si je vais faire l’effort de chercher.
J’ai d’autres sources de revenus, par la photographie d’une part, mais je vends aussi mon huile d’olive. Donc, je n’ai pas forcément besoin d’une plateforme pour vendre mon travail photographique, au moins en galerie, parce que je travaille avec l’agence VU’ qui est très bien et qui participe à véhiculer mon travail sur d’autres supports

E.W. : J’imagine que la relation que vous aviez avec Catherine et même avec Jacques va vous manquer ?

R.H. : La galerie s’arrête, mais nous allons poursuivre notre relation parce qu’en fait, on a plein d’intérêts en commun en dehors de la photographie.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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