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Medellin, une histoire colombienne aux Abattoirs, Année France-Colombie et plus encore…

Temps de lecture estimé : 7mins

Pour la première fois en Europe et l’un des temps forts de l’Année France-Colombie, cette ambitieuse exposition est organisée conjointement par les Abattoirs/Frac Occitanie Toulouse et le musée de Antoquia de Medellin.

Au total 40 artistes, la plupart jamais encore montrés sur notre continent des années 1950 à nos jours, certains ayant été invités en production à Toulouse et d’autres de la diaspora vivant en France. Les œuvres de tous formats confondus interpellent sur le contexte de l’évolution de la violence et ses répercussions collectives et individuelles d’un pays en proie à l’un des plus longs conflit intérieur du continent sud-américain.

Si des générations d’artistes ont été marqués par ces traumatismes ils ont aussi su créer une force de résistance et de renouveau inédits, ce que souligne le parcours à travers l’exemple de nombreuses femmes artistes.

Découpé en 3 temps et 6 chapitres : les ferments de la colère, l’exploitation des territoires, absurde horreur, mélancolie de la mémoire, la résistance à l’oubli et la voie de la réconciliation, le parcours se veut un cheminement métaphysique et sensoriel remarquablement servi par le choix des œuvres.
Dans la halle des Abattoirs se détache dès le départ le mur perforé d’Ivan Argote l’une des étoiles montantes de la scène colombienne représenté par la galerie Perrotin. « If Hunger Is Law Rebellion Is Justice/ Sleep More to Be Less Tired »ces 2 slogans sont accompagnés du film La Estrategia révélé par le Prix SAM pour l’art contemporain en 2011 au Palais de Tokyo. Ce film à forte dimension autobiographique relate l’engagement de ses parents membres de la guérilla communiste dans les années 1960 et pose la question de l’héritage des ainés.

Face à lui, Marcos Avila Forero, jeune colombien vivant à Paris (Diplômé Beaux Arts) et également promis à un bel avenir (actuellement montré à la Biennale de Venise) nous livre un dispositif photographique revisitant le procédé archaïque du sténopé autour de portrait de guérilleros. Mais ce sont les balles du conflit qu’il utilise dans le processus, questionnant ainsi la nature même de l’image et sa portée symbolique.

Le parcours débute sur les origines de la colère remontant à l’époque coloniale avec le peintre le plus célébré d’Antoquia, Francisco Antonio Cano, l’un des chefs d’œuvres des collections du musée. « Horizontes » revient sur l’avenir ouvert à cette famille face à un territoire inviolé et offert. Une vision idyllique de la colonisation. A ses côtés Fernando Botero, autre icône revisite ses souvenirs d’enfance à Antoquia confrontés aux grands maîtres de la peinture européenne.
Autre figure emblématique, Antonio Caro qui s’inscrit dans la mouvance de l’art conceptuel à partir de messages publicitaires qu’il détourne avec humour comme ici, la calligraphie de la marque Coca Cola omniprésente sur le continent sud africain, reprise avec le nom « Colombia ».
Viki Ospina avec la « Reunion de Caciques » revient sur le passé indigène et les traditions de métissage en Colombie, parfois mal comprises.

Une fois ce décor posé nous passons à l’exploitation sans vergogne des territoires et l’apparition de milices d’autodéfense paysannes qui donneront naissance aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) dans un contexte extrêmement tendu avec les narco-trafics.
Le photographe Federico Rios apporte un témoignage fascinant de vie parmi les Farc « the last days in the jungle ».
Carlos Uribe propose une relecture contemporaine du tableau « Horizontes »de Francisco Antonio Cano de ces paysans confrontés à des conséquences désastreuses sur leur santé suite aux destructions aériennes massives américaines sur les champs de coca.
L’on bascule dans l’absurde horreur avec l’impressionnante installation de Delcy Morelos « la sombra terrestre » toute constituée de parois rouge sang, renvoyant à la zone rouge détruite par les guérilleros dans le Département de Cordoba. Il faut emprunter ce chemin par ces cloisons pour physiquement faire une expérience sans retour.
Santiago Vélez avec « Agua oro » dénonce la recherche effrénée d’or dans des régions du Département d’Antoquia entrainant des contaminations et déviations  polluantes dangereuses.
La séquence mélancolie de la mémoire me semble la plus subtile et poétique à travers les vidéos immersives de Clemencia Echeverri autour des cicatrices qui affleurent d’un fleuve ou d’un champ de fouille (céramiques de Cristina Castagneda). Libia Posada signe sans doute le plus beau projet dédié aux traces des trajets faits aux femmes fuyant la violence domestique. Ces agrandissements de jambes marqués par les cartes et tatouages géodésiques ramenés à des points cardinaux fictifs traduit la violence faite au corps de la femme et ces périples dangereux qu’elles sont prêtes à accomplir rencontrant parfois des « zones de massacre ».
Le chapitre suivant la résistance à l’oubli s’ouvre avec Oscar Munoz, l’un des artistes les plus reconnus de scène latino-américaine. Son installation vidéo vue dans de nombreux lieux prestigieux « Proyecto para un mémorial » dépeint cette impossibilité de la mémoire à travers ces portraits dont l’encre s’efface. Un jeu entre apparition et disparition.
Miguel Angel Rosas pointe les inégalités entre pays producteurs et consommateurs de stupéfiants dans le collage « Medellin New York »en feuilles de coca et de dollars et à travers une esthétique homo-érotique redonne sa gloire à un soldat colombien mutilé à la jambe qu’il met en scène et photographie comme le David de Michel Ange.
Enfin la voie de la réconciliation après l’accord de paix signé le 24 novembre 2016 entre le Prix Nobel de la Paix Juan Manuel Santo (Président) et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) laisse poindre un message plus optimiste, comme il en ressort des travaux du collectif Pacifista à la fin de la halle. Il est certain que la scène actuelle colombienne se révèle l’une des plus fertiles, le plus souvent à l’extérieur du continent avec des protagonistes comme ceux cités précédemment : Ivan Argote ou Marcos Avila Forero.
La foire internationale de Bogota, ArtBo qui se tient en octobre, a fait ce pari de ville au fort potentiel artistique. L’avenir dira si les tourments du passé ne viendront pas ternir les espoirs présents.

Ne manquez pas lors de votre visite :

Hessie, Survival Art
Née aux Caraïbes en 1936, Hessie est plus souvent connue comme compagne du peintre Dado avec qui elle s’installe en Normandie en 1962 dans un moulin cédé par le collectionneur Daniel Cordier, or il s’avère que cette représentante du Survival Art fait l’objet d’une véritable redécouverte. Son œuvre inscrite dans le courtant des « Nouvelles Pénélopes »s’inscrit en regard des mouvements contemporains tels que le Process art, Support/Surface, le soft art, l’arte povera, comme en témoigne son exposition monographique organisée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (l’ARC) en 1975. Cette rétrospective aux Abattoirs sous le commissariat de Sonia Recasens, organisée en partenariat avec le MUSAC à Léon (Espagne) présente les multi facettes d’œuvres bordées ou collées, dessins microscopiques, « Bactéries » et « Végétations » s’appropriant des matériaux obsolètes qu’elle recoud, soigne, en guise de survie et de libération féministe.
Trop souvent marginalisée elle livre une part de son mystère également dans le film de Perrine Lacroix qui l’avait présentée à la BF 15 en 2016, visible en fin de parcours.

Last but not least, Suspended Animation : à corps perdu dans l’espace numérique

Organisée par le Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, avec la collaboration des Abattoirs – Frac Occitanie Toulouse, c’est l’unique étape en Europe de l’exposition présentée à Washington (10 février 2016-26 mars 2017), enrichie à Toulouse de trois artistes.
Ed Atkins, Antoine Catala, Ian Cheng, Kate Cooper, Josh Kline, Helen Marten Agnieszka Polska, Jon Rafman, Avery Singer sont les représentants de ces nouveaux enjeux d’une humanité virtuelle à l’ère des avatars et de la simulation en continu. Captivant ! L’on retrouve de nombreux protagonistes de l’exposition Co-Workers organisée par le musée d’art moderne de la ville de Paris.

INFORMATIONS PRATIQUES :
• Medellín, une histoire colombienne
Des années 1950 à aujourd’hui
Jusqu’au 21 janvier 2018
• Hessie, Survival Art
Jusqu’au 4 mars 2018
• Suspended Animation
À corps perdu dans l’espace numérique
Jusqu’au 26 novembre 2017
Au moins 3 bonnes raisons d’aller aux Abattoirs !
Les Abattoirs
Musée-Frac Occitanie
76 allée Charles de Fitte
31000 Toulouse
http://www.lesabattoirs.org

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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