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Fermé le lundi, espèce d’espace photographique pas comme les autres

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Lieu(x) au double titre en clin d’oeil que le livreur a pris au pied de la lettre et dont il ne franchit jamais la porte le lundi. Inauguré en novembre dernier à Marseille, lieu atypique dédié à la photographie créée par une artiste plasticienne, Roxane Daumas et trois photographes Pierre-Emmanuel Daumas, Olivier Monge (agence Myop) et Julian Perez. Ni agence, ni seulement galerie ou atelier, le lieu est tout cela à la fois, protéiforme, pensé par et pour des artistes.

A l’heure où l’on ne cesse d’alerter sur le paradoxe photographique avec d’un côté une profusion d’images jamais égalée et de l’autre une profession grandement fragilisée – fermeture d’agences, un marché de la presse en récession constante qui profite à un tout petit nombre pendant que d’autres peinent à créer et à en vivre. Dans ce contexte, certains réfléchissent et tentent de nouveaux modèles, “Fermé le lundi…” est de ceux-là et fait sienne la devise : l’union fait la force. A suivre donc…

Rencontre à trois voix avec Roxane Daumas, Pierre-Emmanuel Daumas et Olivier Monge.

Le nom du lieu Fermé, le lundi comporte un sous-titre, espèce d’espaces photographique ce qui est extrêmement rare, pourquoi?

On avait besoin d’un sous-titre qui permette aux gens d’appréhender à peu près ce qu’on fait à l’intérieur. Fermé le lundi, c’est en référence aux musées, qui est le jour de fermeture. Mais il fallait trouver une phrase qui nous raconte dans notre complexité car nous ne sommes pas un lieu d’art contemporain.
Espèce d’espace photographique est une référence au texte de Georges Pérec, Espèces d’espaces où il parle de la délimitation de l’espace privé depuis le lit, la chambre, l’appartement… et il poursuit cette décomposition de l’espace privé jusqu’à l’univers. Dans cet ouvrage, il y a aussi la manière dont il appréhende la page, l’espace de la page. Le texte correspond aux définitions qu’on aime et qu’on a envie d’aborder car nous travaillons sur le territoire. Cest ce qui nous unit.
Par rapport à notre lieu, l’espèce d’espaces peut se décliner à différents niveaux. Nous avons des pratiques différentes, chacun travaille sur des caractéristiques du territoire qui sont assez définies. On travaille aussi dans différentes catégories, donc dans différents types d’espèces d’espaces. Il y a en plus l’idée du malléable, car notre espace est multiple (atelier, lieu d’exposition, de formation, de rencontre), il est changeant et modulable. Le lieu correspond à notre envie de faire plein de choses liées autour du territoire, de l’espace, et du paysage. Il ouvre sur le questionnement et ce sous-titre soulève des questions.

La génèse du lieu ?

On s’est retrouvés avec des envies communes et des préoccupations communes. Au départ, on avait tous envie de créer un lieu et besoin d’un espace de travail. Le projet est donc parti du lieu de travail, du besoin d’avoir un lieu. Et petit à petit, en cherchant le lieu, on imagine les fonctions et c’est là qu’on découvre nos envies. Est-ce que on va le faire modulable ou pas modulable? Si modulable, pourquoi faire? On affine nos envies et on fait le lieu qui va avec. On a fait quelque chose qui nous correspond.

Marseille, comme une évidence?

Oui, car nous sommes tous ancrés à Marseille. C’est une ville qui est à définir, qui n’est pas arrêtée, pas posée, une ville en construction, en mouvance depuis très longtemps, on sait pas si elle sera contruite un jour. Il y a une sorte de latence dans cette ville, beaucoup de petits
microcosmes fermés, des choses qui se contruisent, se déconstruisent, des espaces abandonnés, des volontés politiques qui échouent régulièrement… Il y a un décalage entre la volonté politique et la façon dont les gens vivent…
La diversité en termes d’histoire, d’architecture, de population, le fait que ce soit un port, une gare importante, joue beaucoup sur la structure de la ville. L’histoire de cette ville est assez unique. Au 19e siècle, la ville a fait fortune grâce au port et ensuite, la concurrence des autres ports à réduit son activité. Pour toutes ces raisons, elle est très intéressante. La ville reste à décrire. C’est une ville qui nourrit notre envie. Le simple fait d’etre là nous donne envie de produire. C’est un territoire des possibles car il n’y a pas de structure qui ferme et clôture la ville.
Ca laisse des espaces de respiration et il y a cette émulation générale, car tout le monde doit s’en sortir. Il faut ajouter la proximité d’Arles et la présence de collègues photographes avec lesquels on peut converser, échanger.
On a aussi la volonté de faire perdurer et de faire vivre la photographie à Marseille, centraliser les envies des photographes, on avait envie de s’inscrire dans cette mouvance là car il y a réellement quelque chose à faire ici. Ce lieu peut-être une plaque tournante où les gens se rassemblent pour la photographie.

Quels sont les missions de Fermé le lundi?

Pour l’instant, ce sont des projets car notre programme n’est pas arrêté mais nous avons des idées très précises sur ce que nous voulons faire. On a très envie de collaborer avec des partenaires naturels. Par exemple, travailler avec l’ecole d’architecture sur les problématiques de territoire avec des regards différents, par exemple, un architecte et un photographe. Les architectes sont très préoccupés par l’image, en général ce sont de très bons photographes puisqu’ils se posent la question depuis le départ de comment montrer les espaces et les bâtiments.
Nous allons aussi développer des expositions, des rencontres, des conférences en regard des expositions afin de croiser les publics autour de cette thématique.
L’autre idée pour croiser les publics, c’est les formations. Une activité qui sera importante dans ce lieu. D’une part, des formations destinés aux amateurs qui ont envie d’avoir une lecture, un bagage, un accompagnement dans leur démarche personnelle. Et également, des formations destinées au public professionnel. On a chacun une grande expérience et un parcours dans l’éducation et la formation à la photographie. A nous trois, on a enseigné du primaire à l’université, dans le cadre d’école de photographie et de centre de formation professionnnelle. A long terme, nous souhaitons faire venir des intervenants extérieurs, et ainsi proposer des ateliers spécifiques.
Nous organiserons aussi des workshops. Un photographe ou un artiste est invité à exposer ici et dans la foulée, nous proposerons un workshop. Ce qui permet une rencontre et d’apporter des pierres à la réflexion générale. Nous allons donc bien choisir les intervenants de manière à ce que cela corresponde à notre idée du lieu.
L’espace d’exposition c’est évidemment une façon de diffuser une certaine vision de la photographie qu’on a envie de promouvoir mais cela passe aussi par la formation.Tout ce qu’on va mettre en place sera toujours lié à la problématique du territoire même si ça nous empêchera pas de toucher au portrait mais selon cet axe de réflexion là.
Nous avons aussi le projet d’une librairie éphémère qui se tiendra deux fois par an afin de créer un évènement, de diffuser notre vision car montrer et choisir des livres, c’est pas anodin. Une sélection cohérente élaborée toujours selon notre axe de réflexion.

Créer à huit mains ou plus?

On travaille déjà tous avec l’image photographique donc on va pas forcément appeler un 5e photographe, mais plutôt un cartographe, un géographe, un architecte, un sociologue, et regrouper les compétences pour avoir des regards transversaux.
On a plus ou moins décidé de faire un projet ensemble par an. Nous allons choisir un sujet qui nous correspond. Cela nous permet de créer très fortement le groupe. Travailler ensemble sur un projet commun, c’est encore une autre aventure.
On choisit un bout de territoire et on travaille à quatre dessus : qu’est-ce qui se passe sur ce territoire, quels sont les projets, les enjeux, qui va-ton faire intervenir pour que cela puisse nous nourrir? quel partenaires cela va intéresser? après se posera la question de la monstration. Se voir, en parler, se faire des retours l’un l’autre. Car l’artiste est souvent seul, encore plus aujourd’hui car les agences ont péréclité. Travailler ensemble, c’est aussi une manière de partager plus qu’un lieu. Produire ensemble dans ces conditions là, ça apporte une autre dimension, les projets de groupe, c’est très excitant. On a envie d’aller sur des activités communes comme celles-ci.

Le modèle économique du lieu?

Le modèle est prudent. Pour l’instant, chacun gagne sa vie avec son activité photographique en dehors de la structure. Petit à petit, on va mettre des choses en place pour aller dans le sens de ce qu’on veut faire et amasser un peu d’argent pour faire vivre et grandir le lieu, monter des projets. Les formations et le développement des partenariats contribueront aussi à faire de ce lieu un véritable lieu de formation.

Qu’attendez-vous de la photographie?

Roxane Daumas : Je crois qu’aujourd’hui la photographie pénètre tous les champs : peinture, dessin, installation, art vivant, performance. Et c’est ce qui m’intéresse : essayer d’aller plus loin que la photographie, questionner le médium, créer une interrogation, un pont entre la photo et différentes pratiques. La photographie a un impact qui est très important et voir comment elle se décline, c’est ce qui m’interpelle. Aujoud’hui, on va beaucoup plus loin qu’une image photographique.

Olivier Monge

Depuis l’âge de 20 ans, je n’ai fais que de la photographie. J’ai touché un petit peu à tout. J’ai suivi l’évolution de la photographie à travers ma carrière, Parfois, j’ai subi cette évolution de la photographie et par rapport à ça j’ai toujours réagi d’une certaine manière. Je suis dans cette réaction en permanence. Pour moi, la photographie c’est un moyen d’expression personnelle artistique, qui est fondateur et qui construit plein de choses autour de moi. Donc, ce que j’en attends est totalement lié à moi, à ma personnalité, à ma façon de voir le monde. J’essaie de regarder ce qui se passe autour de moi et quand je fais des projets, ces projets déterminent ma manière de vivre. C’est la partie personnelle de mon attente.
Après, j’ai une vision, j’aime bien décrire et la photographie est un très bon médium pour ça.
J’aime bien aborder un sujet, le décrire et avoir finir en me disant : j’ai décrit la partie d’une chose et que cette chose semble achevée. Comme j’ai beaucoup travaillé dans le patrimoine, j’aime bien faire des images qui sont définitives, des images qui restent… Cette photo-là, elle reste là, elle parle et elle parler. Décrire des territoires et les partager avec des gens à partir d’objets pérennes : les tirages, les livres… car le rendu, le regard, le discours du photographe est sur le tirage.

Pierre-Emmanuel Daumas

Ce que je travaille beaucoup dans la photo, c’est cette cohabitation entre document et fiction. Et ce n’est pas vrai pour tout le monde, mais c’est souvent très cloisonné, ou tu fais de la photo publicitaire, ou du reportage, ou tu fais du documentaire… Quand je travaille, justement j’aime bien partir d’une base assez documentaire pour aller vers quelque chose de plus fictionnel.
Tu enregistres quelque chose qui est devant toi, il a l’aspect enregistrement du réel et en même temps, c’est une image qui doit se lire visuellement. Il y a tout un engagement sur le sujet, qu’est ce qui fait que ton sujet est fort? qu’est-ce qui fait qu’il va pouvoir t’emmener ailleurs? C’est la présence de l’onirique, de l’allégorique etc…
Ce qui m’intéresse ou en tout cas, c’est là que j’ai envie d’amener la photographie, c’est dans ce jeu là. La fiction c’est aussi une vision de la réalité, de l’esprit, c’est comme les theorèmes de mathématiques. Ils sont purement fictionnels mais ils ont une réelle emprise sur le réel. Et je pense que la fiction en photographie aussi. C’est une manière de décrire ce qu’on peut voir, ressentir, ce qu’on peut penser. Donc, ce que j’en attends, c’est justement de pouvoir jongler entre les deux, c’est ce qui m’attache à la photographie en tout cas.

INFORMATIONS PRATIQUES
Fermé le lundi, espèce d’espace photographique
130, boulevard de la Libération
13004 Marseille
http://www.fermelelundi.com

Selma Bella Zarhloul
Après une double formation en Information et Communication à la Sorbonne et histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, elle choisit de se consacrer à la photographie. D’abord, en tant que praticienne afin de bien comprendre et maîtriser les spécificités du médium pour pouvoir s’exprimer avec. Parallèlement, en 2001, elle rejoint la Donation Henri Lartigue, sous tutelle du Ministère français de la Culture. Pendant plus de 10 ans, elle contribue au développement, assurant la production et la distribution de la collection à travers le monde. En 2017, elle commence à travailler en tant qu’ indépendante endossant plusieurs casquettes : commissaire d’exposition, critique d’art et cheffe de projet spécialisée dans la photographie contemporaine. Entre autres, elle assure le rôle d’administratrice générale du Festival Voies Off à Arles en 2018-2019. En 2021, sa passion pour la photographie contemporaine la pousse à ouvrir La Volante à Arles, une galerie d’art dédiée à la photographie et autres arts.

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