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Le WIELS et les collectionneurs privés belges

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Dirk Snauwaert, directeur du WIELS lors de la formidable interview (du 6 février) qu’il nous avait consacré avait introduit le concept de cette exposition totalement inédite : réunir 35 collectionneurs belges uniquement et, à la différence de la démarche de la Centrale (« Private Choices »), interroger la notion de la valeur d’une œuvre d’art. « Dès lors comme pour le Musée Absent, nous nous confrontons à cet enjeu : peut-on travailler avec les collectionneurs privées et monter une exposition représentative et qui fasse sens ? » pour reprendre ses propos. Il est certain que la Belgique a la plus grosse concentration de collectionneurs en Europe mais faut-il y voir également une réponse à l’ouverture de Kanal-Centre Pompidou qui ne fait pas l’unanimité chez les belges ?

« Unexchangeable » donc pour ces 73 œuvres qui ne sont pas monnayables ou quantifiables au sens du marché. Le seul critère demandé était de s’inscrire à la fin des années 1980, début 90, un séquençage qui s’explique par cette période charnière de la chute du Mur de Berlin, les prémices de la globalisation avec l’essor du World Wide Web et l’exposition marquante des « Magiciens de la terre » qui ouvre les frontières de l’art jusqu’alors cantonné à l’Europe et les Etats-Unis. De nouvelles interprétations de valeur émergent de ces continents, loin de la logique de spéculation en vigueur.
A la fin des années 80 domine la question du rôle de l’ image et son aura, jusqu’ à la simulation et le simulacre (Baudrillard) à travers les propositions qui ouvrent le parcours de Richard Prince (le cow boy mythique de la publicité), Jeff Wall (le guitariste en salle 4), Louise Lawler (l’œuvre d’art comme trophée) ou Cindy Sherman (déconstruction des stéréotypes en salle 8).
Allan Mc Collum réduit l’œuvre d’art à sa reproductibilité à l’infini, tandis que plusieurs dont Haim Steinbach s’attachent à ennoblir le banal puisque la notion d’original était balayée par un monde de duplications, de même David Hammons qui pare les objets du quotidien de forces sombres et complexes comme ces bouteilles de whisky vides, ces pneus de voiture noirs ou ce matelas roulé qui respire renvoyant à la part de refoulé d’une civilisation qui s’est construite sur la négation de certaines minorités. Robert Gober va un degré plus loin avec ses sculptures à la fois familières et oppressantes.
Contre culture également chez Jean-Michel Basquiat et ses références à la symbolique afro-américaine, tout comme l’artiste amérindien Jimmie Durham et son ironique « We have made progress ».
Thierry de Cordier reprend la notion de totem et de fétiche pour amorcer une réévaluation symbolique, tandis que Jim Shaw interroge la notion du goût avec sa fascinante installation, la pièce maîtresse du parcours selon moi, qui rejoue le mur d’un collectionneur sans faire aucune distinction entre arts majeurs et arts populaires, ainsi ces tableaux d’anonymes trouvés chez des prêteurs sur gage classés selon les catégories habituelles portraits, natures mortes, paysages..renvoient aux fantasmes et pulsions voyeuristes d’une pensée déviante.
Enfin l’ouverture à de nouveaux continents dont l’Afrique est représentée par l’artiste Chéri Samba ou Bodys Isek Kingelez ou l’Amérique latine avec Gabriel Orozco et sa « pierre qui cède »belle métaphore du déplacement continu, de la migration volontaire ou subie.

Le défi est magnifiquement relevé dans ce parcours pluriel et fluctuant qui annonce l’instabilité des années à venir et nécessaire résistance et déconstruction par les artistes des stéréotypes de masse.

A signaler également : Hana Miletic, Dependencies
Née en 1982 dans l’actuelle Croatie, l’artiste qui vit en Belgique pratique l’activisme doux par le biais du tissage, conçu comme un acte métaphorique de soin et de réparation. Elle travaille avec des femmes d’origines sociales diverses avec qui elle organise des ateliers de feutrage (collaboration avec la Maison des Arts Globe). C’est sa première véritable exposition en Belgique.

Infos pratiques :
Unexchangeable
Hana Miletic, Dependencies
jusqu’au 12 août 2018
WIELS, Centre d’Art Contemporain
Avenue Van Volxem 354
1190 Bruxelles
Tarifs
10 € Visiteur individuel
Horaires d’ouverture
Mardi au dimanche : 11:00 – 18:00
http://www.wiels.org


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01317
Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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