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Rencontre avec Marie Terrieux, directrice de la Fondation François Schneider, centre d’art contemporain

Temps de lecture estimé : 10mins

Installé dans l’ancienne usine d’embouteillage des sources de Wattwiller, le Centre d’art contemporain de la Fondation François Schneider, outre une collection d’œuvres autour de l’eau et ses symboliques, organise toute l’année une programmation d’expositions en résonnance avec ce thème et un concours Talents contemporains. Sa nouvelle directrice, Marie Terrieux à l’occasion de l’ouverture de la saison estivale « l’Atlas des nuages » est revenue avec nous sur ses ambitions autour de ce nouveau défi et les objectifs qu’elle se donne pour faire rayonner plus encore cette institution à un carrefour géographique stratégique entre la France, l’Allemagne et la Suisse.

1- Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette nouvelle aventure de la Fondation François Schneider ?

Je travaille depuis une quinzaine d’année dans le milieu culturel et je m’aperçois que j’aime arriver dans des projets où beaucoup de choses sont encore à construire : j’ai démarré en 2003 aux Rencontres d’Arles dans une ambiance formidable, les rencontres défrichaient énormément, étaient complètement audacieuses dans leur manière d’investir des lieux atypiques pour l’époque… J’avais effectué auparavant des recherches sur la scène artistique vietnamienne, à laquelle personne ne prêtait attention, dans le cadre de ma maîtrise d’histoire de l’art et d’ethnologie. Je suis partie en Chine pour mon terrain de DEA où je me suis interrogée sur les questions de subversion dans l’art chinois. A l’époque la Chine n’était pas en vogue et cela semblait très étrange de s’intéresser à cette scène. J’ai travaillé plusieurs années dans la friche industrielle 798, aujourd’hui très populaire, mais à l’époque constamment menacée de destruction. J’ai co-fondé une agence culturelle avec des amis, croisant art et musique. Nous étions parmi les seuls européens à proposer ce type de projet et services, à faire venir des artistes internationaux sur la scène chinoise et inversement à créer de nombreux échanges interculturels entre différents continents, sans jamais être dans le mainstream et en conservant des projets de qualité.
La Fondation François Schneider est dans la lignée des projets que j’ai pu mener. C’est un projet qui est en maturation, en devenir, avec une belle base dont l’identité doit être précisée. J’ai été séduite par le lieu évidemment ! Cette ancienne usine d’embouteillage a été très bien transformée. Le centre d’art de la fondation situé aux pieds des Vosges prend place au cœur d’un parc de sculptures incroyables comme Star Fountain de Nicky de Saint Phalle. Le fait que François Schneider ait eu lieu l’envie d’implanter le centre d’art hors d’une grande ville me semblait particulièrement intéressant, le centre d’art s’adresse à un public large avec un souci de démocratisation de l’art contemporain. Dans une région où la dynamique culturelle est importante à la frontière avec la Suisse et l’Allemagne, la fondation navigue d’un territoire à l’autre. Elle alterne entre le côté international de Bâle et les alentours de Mulhouse où l’offre culturelle est riche avec par exemple la Filature, la Kunsthalle ou encore la Forêt Noire à quelques dizaines de kilomètres.

2- Comment définir l’ADN de la Fondation autour de l’eau et ses symboliques ?

La Fondation a été créée en 2000 avec deux grands axes, l’éducation via des bourses pour des bacheliers les aidant à démarrer leurs études supérieures, et le soutien à la création contemporaine sur le thème original de l’eau. En 2011 nous avons lancé notre concours Talents Contemporains qui récompense chaque année 7 lauréats. Ils reçoivent une dotation de 20.000 euros et s’ils proposent une œuvre sous forme de projet nous pouvons allouer une enveloppe supplémentaire d’aide à la production qui peut être conséquente. Chaque année plus de 1000 artistes proposent des œuvres ou projets sur le thème de l’eau, thème évidemment infini. Il ne s’agit pas d’exposer des représentations de l’eau de manière littérale. L’eau est abordée sous ses formes plastiques certes, mais elle peut aussi être appréhendée avec une dimension écologique, philosophique, ludique, sociologique… L’exposition de la 6ème édition des Talents Contemporains présentée en mars proposait des dessins de Mathieu Bonardet abordant les questions de flux et de tensions, des photographies de grands bassins recomposés en numériques par Muriel Bordier -clin d’œil à l’apprentissage de la nage au 19ème siècle-, une utopie par Paul Souviron de conserver un morceau de mer en sculptant une plaque de polypropylène, une vidéo de Johan Parent sur la mécanique des objets et en l’occurrence une station de lavage automobile proposant une chorégraphie à la Charlie Chaplin, alors qu’Asieh Dehghani évoquait les problématiques d’assèchement en Iran… Le spectre de l’eau est large. Talents Contemporains fait partie de l’ADN de la Fondation et du centre d’art puisqu’il expose chaque année les œuvres lauréates et qu’aujourd’hui nous avons une collection d’une cinquantaine d’œuvres liées à l’eau. Cela nous donne une spécificité particulière : des artistes comme Hicham Berrada, Claire Chesnier, Yves Chaudouët, Maxime Marion & Emilie Brout, Laurent Mareschal , Mehdi Meddaci, Jessie Brennan,  Rebecca Digne, Harald Hund, sont dans notre collection. Ils sont pour la plupart des plasticiens à mi-chemin dans leur carrière et nous sommes là pour les soutenir un peu plus.
Toute notre programmation est axée sur le thème de l’eau aussi bien dans les expositions que dans les programmes culturels : nous accueillons par exemple le 1er juillet la compagnie Pernette avec Commandeau qui réalisera une chorégraphie en extérieur en lien direct avec l’eau. J’ai exposé un travail sur la fonte des neiges d’Anna Katharina Scheidegger à l’automne 2017, elle avait réalisé à cette occasion une performance avec de la glace. Nous invitons régulièrement des scientifiques comme des glaciologues ou climatologues, et nous présenterons prochainement des œuvres numériques explorant ce thème de l’eau.

3- L’Atlas des Nuages, génèse et enjeux

L’exposition de cet été L’Atlas des Nuages fait justement partie du type de projet que je mets en œuvre où l’idée est à la fois de garder des œuvres de très grande qualité – nous exposons vingt artistes internationaux, tels que Marco Godhino, Shilpa Gupta, Berndnaudt Smilde, Emilie Faïf ou Caitlind Brown & Wayne Garett – tout en conservant l’idée d’accessibilité à tous les publics. Vous pouvez avoir différents degrés de lecture que vous soyez un enfant fasciné par les volumes et les formes gigantesques proposées dans l’exposition ou rentrer plus en profondeur dans le langage de chaque artiste qui interroge sur les questions de frontière, de liberté, de pollution, d’environnement, de matière, d’interaction sociale, de chamanisme. Je ne suis pas la première à me pencher sur ce thème, depuis des siècles les artistes s’intéressent aux nuages, des commissaires ont eux aussi exploité ce beau sujet. Il me semblait important de cartographier la création internationale à travers le nuage, le sujet lui-même est bien évidemment lié à l’eau et il est très fédérateur. Pour faire connaître notre fondation et notre engagement pour la création avec Talents Contemporains il faut proposer des expositions « démocratiques » et ne pas rester uniquement dans des projets niches. Alterner entre les deux ne peut qu’être enrichissant, jouer à la fois sur le local et l’international aussi.
Pour cette exposition nous avons décliné différents ateliers pour les familles où textile, couture et cianotypes sont au rendez-vous. Nous proposons également des nocturnes tout l’été pour offrir un nouveau regard sur certaines œuvres à la tombée du jour.

4- Vie de la collection : projet à Lisbonne, dernières acquisitions, axes prioritaires

L’année 2017 a été synonyme de développement avec différents projets qui voient le jour progressivement ajourd’hui et jusqu’en 2019.
Nous avons inauguré le 15 juin une grande exposition hors les murs, à Lisbonne Escutar as Aguas (Ecoutez les eaux), présentant plus d’une vingtaine d’œuvres de la collection dialoguant avec de l’art moderne et contemporain portugais. L’exposition s’ouvre sur la métaphore du voyage avec une œuvre emblématique d’Helena Vieira da Silva et parle de l’origine, la plasticité, et le passage du temps. Ce sont des réinterprétations de Danaé avec Hélène Mugot ou Francesco Tropa. L’eau modèle le territoire chez Antoine Gonin ou Angelo Sousa, elle se métamorphose tout comme le temps chez Gustavo Million ou Fernando Calhau. L’exposition est présentée dans les très beaux édifices du Museu do Dinheiro et la galerie Torreao Nascente de la Cordoaria Nacional.
Nous essayons de prêter le plus possible les œuvres de la collection pour les partager. Le but n’est pas de les stocker dans nos réserves. Des vidéos de collection ont été montrées en début d’année au centre d’art de la Lune en Parachute à Epinal et nous avons des projets pour des prêts de grandes pièces jusqu’en Chine !
La Fondation a inauguré début juin un programme de résidences d’artistes. Ce programme intitulé KunstArt a pour vocation de recevoir des jeunes artistes diplômés ou encore en école, issus d’écoles le long du Rhin. KunstArt, renouvelé chaque année, prévoit un temps de recherche et de création. 
Pour cette première édition, les résidents bénéficient d’une bourse de 1500 euros. Il n’y a pas d’obligation de restitution mais nous organiserons au cours de l’été un temps d’échanges avec les résidents. Ceux qui le souhaitent pourront présenter le résultat de leurs recherches dans un petit espace dédié à la fondation.
Nous travaillons aussi sur les questions de politique des publics. En janvier-février j’avais donné carte blanche à des écoles du territoire, plus de 800 élèves de la maternelle à la terminale, pour exposer des projets sur le thème de l’eau. À l’automne 2018 nous allons travailler 10 semaines avec les patients psychiatriques d’un hôpital de jour proche de chez nous. Les patients échangeront avec une artiste de la collection et développeront chacun un projet de création. Je réfléchis à mettre en place un projet avec une institution pénitentiaire pour 2019. Chaque année j’aimerais qu’il y ait un projet sociétal.
Enfin nous nous dirigeons sur la possibilité de présenter des œuvres immersives avec une dimension spectaculaire, sans rentrer dans le divertissement. Elles permettront de drainer un public large et de désacraliser l’art contemporain en permettant justement de faire découvrir en parallèle les œuvres des artistes sélectionnés pour Talents Contemporains. Je souhaite aussi présenter des expositions à la croisée avec l’art populaire ou des disciplines comme la bande dessinée ou le textile. Je crois qu’il faut être un maximum ouvert sans non plus être dispersé afin de fidéliser un public large. L’eau est un sujet très vaste qui permet de naviguer à travers différents sujet et medium.

Liste des artistes : Marion Baruch, Hicham Berrada, Olaf Brzeski, Caitlind Brown & Wayne Garrett, Rhona Byrne, Hoang Duong Cam, Julien Discrit, Arpaïs du Bois, Latifa Echakhch, Emilie Faïf, Marco Godinho, Julie Guillem, Shilpa Gupta, Anne Immelé, Hao Jingfang & Wang Lingjie, Feng Li, Jean-Gabriel Lopez, Johan Parent, Berndnaut Smilde, Christophe Urbain, Bruno v. Roels, Sophie Zénon.

Infos Pratiques :
l’Atlas des nuages
jusqu’au 30 septembre 2018

Horaires :
Le centre d’art est ouvert du mercredi au dimanche, jours fériés inclus (sauf 1er mai) : 10h – 18h
Le Bistr’eau est ouvert aux même horaires du centre d’art contemporain
Tarif normal : 5 €
Tarifs réduits : 3 €

Accès : Depuis Paris
Train direct entre Paris Gare de Lyon et Gare de Mulhouse
Train direct entre Paris Gare de l’Est et Gare de Colmar

Fondation François Schneider
27 rue de la Première Armée
68700 Wattwiller
https://www.fondationfrancoisschneider.org/


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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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