L'Invité·e

Carte blanche à Jacques Revon : Rencontres avec de grandes signatures de la photographie

Temps de lecture estimé : 6mins

Pour cette troisième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe et journaliste, Jacques Revon partage avec nous quelques trésors issus de ses archives. Pas n’importe lesquelles, celles de ses belles rencontres, avec les maîtres de la photographie : William Klein, Robert Doisneau ou encore Raymond Depardon.

En général, dans une vie professionnelle les occasions ne sont pas forcément courantes ni nombreuses pour rencontrer ses mentors ou tout simplement des confrères que l’on apprécie par leurs qualités, leur approche du métier et leur savoir faire. En revanche, dans le monde des arts, les occasions de rencontres peuvent se présenter lors des salons, festivals, forums ou expositions. Dans ma carrière, c’est un privilège que j’ai eu en tant que photographe puis journaliste, de vivre ces belles rencontres sur le terrain.
La première occasion date du tout début de mon activité, lorsque j’étais encore photographe chez Citroën. Un soir, j’ai croisé, était-ce un hasard? le photographe Jean-Pierre Leloir, spécialisé dans l’image musicale et théâtrale. A l’époque, JP Leloir cherchait un assistant. Après un essai concluant réalisé avec lui lors d’un concert à l’Olympia, il m’avait confié son appareil, je m’en souviens encore, il décida de m’engager. Mais je ne pus accepter, le salaire qu’il me proposait ne me permettrait pas d’envisager une vie à Paris. Mon avenir n’était pas là.
Je décidais alors de quitter la capitale pour comme on le dit “descendre” sur Lyon, où deux années plus tard, le prix Niépce de 1958, René Basset m’embauchait comme assistant. En région lyonnaise la vie était un peu moins chère et j’allais aussi me marier avec une étudiante en médecine, ma femme depuis toujours.
Mais revenons aux grands moments de mes rencontres avec les “Maîtres”. Elles ont vraiment débutées puis se sont enchaînées lorsque je suis rentré chez Ilford en 1976 comme photographe et technicien. Je vais alors avoir durant cinq années, l’opportunité de côtoyer les plus grands de cette époque de l’argentique, et aussi grâce aux expositions réalisées par la Fondation Nationale de la Photographie. De grands photographes français des années 1970 / 1980 y exposeront dès 1978.

Clin d’oeil à William Klein.

Je me souviens tout particulièrement d’une exposition celle consacrée à William Klein. Après le vernissage de cette exposition, nous sommes allés diner dans un petit restaurant lyonnais. William Klein, avait posé délicatement son boitier sur un bord de table, appareil qu’il n’avait pas quitté des mains toute la soirée. Assis pas très loin de lui, je me suis dit que je pourrais peut être lui faire une petite surprise photographique. Discrètement, j’ai pris son boitier puis je l’ai photographié. En fait, je ne saurai jamais s’il avait découvert un jour ce petit clin d’oeil en développant son film.
C’est aussi durant toutes ces années, lors de différents essais techniques de films et de papiers argentiques et par ma présence aux d’expositions de la Fondation que j’ai pu côtoyer plusieurs fois d’autres grandes signatures; Willy Ronis, Robert Doisneau, Yvette Troispoux, Jean Philippe Charbonnier, Eva Rubinstein, Jacques-Henri Lartigue, Jean Dieuzaide, Roger Pic, Marc Riboud, Janine Niépce, Bernard Plossu, John Batho… je les ai tous photographiés.

Robert Doisneau dans son petit labo.

En 1978, lors d’une visite technique chez Robert Doisneau, dans son atelier à Montrouge, j’ai pu non seulement échanger avec lui sur l’évolution du métier mais aussi regarder quelques négatifs de sa grande époque, de vrais trésors!. Ce jour là, j’ai eu l’idée de le photographier avec mon Leica dans son minuscule laboratoire. Mon boitier était chargé en noir et blanc et réglé pour 3200 asa, je lui ai demandé la permission et il m’a immédiatement dit oui!, ce sera un souvenir inoubliable. Plus tard nous nous sommes retrouvés à d’autres occasions, à Roanne, à Dijon…et je l’ai encore photographié.

Les Rencontres de la Photographie à Arles m’ont permis, elles aussi, d’approcher en 1979 et 1980 d’autres grands noms du huitième art. Pour Ilford je serai détaché dans le staff des Rencontres, en mission pour développer la nuit, les films noir et blanc faits par les stagiaires inscrits dans les ateliers. Certes, les temps de repos étaient courts mais la situation se présentait comme un privilège. Le jour, j’allais dans les différents ateliers des grands Maîtres pour observer et écouter leurs conseils. Ainsi, j’ai pu côtoyer, outre le responsable apprécié Lucien Clergue, Hubert Grooteclaes, Guy Le Querrec, Fulvio Reuter, Ralph Gipson, André Kertesz, Manuel Alvarez Bravo, Jerry Uelsmann, Eiko Hosoe…..et c’est là, que j’ai pu photographier “en douce” de manière bien trop furtive, Henri Cartier-Bresson, de passage devant la statue de Mistral, en compagnie de Martine Frank, Hervé Gloagen et Alain Desvergnes. C’est Jacques Régent ,responsable technique de chez Ilford mais aussi ami, qui m’avait prévenu à la terrasse d’un café de la place où je prenais un peu de temps libre, que HBC allait passer mais qu’il ne fallait surtout pas le photographier ( Jacques savait que j’avais toujours mon petit 24×36 avec moi) en effet le Maître parait-il n’aimait pas! un comble, mais comment ne pas désobéir? pas question la tentation était trop forte, je déclencherai…

Raymond Depardon, le discret.

Beaucoup d’autres occasions et situations sur le terrain se sont succédées. En 1982, devenu JRI à France 3 Lyon, j’ai eu la joie de retrouver Raymond Depardon, qui est devenu plus tard pour moi davantage qu’un confrère. C’est lors d’un reportage au grand prix de Monaco en 1978 que nous nous sommes rencontrés pour la première fois, avec Jean-Claude Francolon et Daniel Simon de l’agence Gamma. En 1982 je vais le revoir à la ferme du Garet, à la propriété de sa famille située près de Villefranche sur Saône. C’est là que je l’ai photographié pour la première fois, lors du tournage d’un petit magazine portrait, à l’occasion de la sortie d’un de ses films. Nous resterons de loin toujours en contact et c’est il y a deux ans à Paris, chez Magnum, que j’ai eu le plaisir de le retrouver pour son exposition sur New-York et je l’ai photographié à nouveau, cette fois-ci avec quelques uns de ses amis photographes.
Dans une vie professionnelle, on ne peut pas oublier tous ces visages de confrères ici ou là, sur le terrain, en tête à tête, dans des agences de presse photo, comme chez Gamma, ou Chez Sygma: Patrick Chauvel, Alain Dejean, Henri Bureau, Léonard de Raémy, Alain Noguès…… à l’AFP Eric Feferberg… comme tous ces riches moments vécus avec aussi de nombreux confrères reporters photographes de la presse quotidienne régionale, ou d’autres amis photographes indépendants moins médiatisés avec qui j’ai fait un petit bout de chemin, difficile ici de tous les citer sans en oublier. Ce ne sont que de très bons souvenirs. Il m’arrive encore d’en retrouver quelques uns, j’ai toujours envie de les photographier. Malgré mon âge, je n’ai pas encore décidé de ranger mon appareil photo, bien au contraire, ma passion pour la photographie est encore là.

Jacques Revon
Jacques Revon est photographe, journaliste d'investigation et grand reporter français. Reportages humanitaires, conflits divers, rallyes aériens, sujets économiques et sociaux, médicaux et scientifiques, échanges culturels, tournés dans de nombreux pays… Il réalise de nombreux reportages pour France 3 dans le domaine du jazz, et en photographie pour Culture Jazz et Media Music, il couvre de nombreux festivals. En 2020, il publie "Au temps du coronavirus", un ouvrage rassemblant des images d'un collectif de photographes qui témoignent de la vie quotidienne sous pandémie (L'Harmattan).

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