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Rencontre avec Katerine Louineau du CAAP : « La situation est catastrophique pour les artistes-auteurs »

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Le CAAP, comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et des artistes-autrices, est une organisation syndicale. Sa représentante, Katerine Louineau a répondu à nos questions sur leurs actions auprès des pouvoirs publics pour venir en aide plus justement et plus efficacement aux artistes-auteurs en cette période de crise.

Attention : cet entretien a eu lieu avant l’annonce du ministère de l’économie Bruno Le Maire, le vendredi 10 avril, sur le nouveau mode de calcul pour bénéficier du fonds national de solidarité.

9 Lives : Pouvez-vous présenter brièvement le CAAP ?

Katerine Louineau : Le comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et des artistes-autrices – CAAP, est une organisation syndicale nationale, il défend les intérêts moraux et matériels des artistes-auteurs et des artistes-autrices quel que soit leur domaine de création artistique : œuvres graphiques et plastiques, photographiques, littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques.

9 Lives : Dès le début de la crise sanitaire de la pandémie du covid-19, vous avez rédigé plusieurs communiqués communs avec d’autres organisations syndicales et professionnelles pour demander au gouvernement de mettre en œuvre des mesures en soutien aux artistes. 

K. L. : Oui, les ministères n’ont pas organisé de réunion de concertation par audio conférence avec les syndicats d’artistes-auteurs, mais dès le début de la crise nous avons fait connaître nos positions aux ministère de la culture et diffusé des communiqués communs. Ainsi, le 16 mars, nous avons interpelé le ministre pour demander des mesures urgentes de soutien aux artistes-auteurs, initialement oubliés. Le 20 mars nous avons souligné la nécessité d’une gestion unifiée des artistes-auteurs et d’un fonds d’aide adapté. Le 23 mars, outre la nécessité d’un guichet unique dédié aux artistes-auteurs, les syndicats d’artistes-auteurs ont demandé que les reports et annulations d’interventions prévues donnent lieu à un maintien de la rémunération des artistes-auteurs. Le 25 mars, nous avons alerté le gouvernement sur l’inadéquation pour les artistes-auteurs des conditions d’octroi du fonds de solidarité général

« Aujourd’hui la situation est catastrophique pour les artistes-auteurs. Le gouvernement a fini par mentionner les artistes-auteurs comme potentiellement éligibles au fonds de solidarité mais sans changer les conditions d’octroi. En conséquence, la majorité des artistes-auteurs n’y ont pas accès alors que leurs perspectives de recettes sont totalement annihilées. Tel que conçu, le fonds de solidarité est une sorte de loterie pour les artistes-auteurs. »

9 Lives : Quelle est la situation aujourd’hui ?

K. L. : Le plan d’urgence du gouvernement se décompose en deux, d’une part les mesures économiques générales, d’autre part des mesures « complémentaires et subsidiaires » spécifiques aux artistes-auteurs.
Aujourd’hui la situation est catastrophique pour les artistes-auteurs.

En ce qui concerne les mesures générales, le gouvernement a fini par mentionner les artistes-auteurs comme potentiellement éligibles au fonds de solidarité mais sans changer les conditions d’octroi. En conséquence, la majorité des artistes-auteurs n’y ont pas accès alors que leurs perspectives de recettes sont totalement annihilées. Tel que conçu, le fonds de solidarité est une sorte de loterie pour les artistes-auteurs, ceux qui par hasard auront encaissé des sommes en mars 2019 pourront bénéficier du fonds (effet d’aubaine), les autres non. C’est absurde et inéquitable. De plus, actuellement les artistes-auteurs qui déclarent leurs droits d’auteurs en traitement et salaires sont exclus du dispositif faute d’avoir un numéro de SIRET.

En ce qui concerne les mesures « complémentaires et subsidiaires », le gouvernement et le ministère de la culture sont restés sourds à notre demande de fonds subsidiaire unique dédié aux artistes-auteurs avec des critères communs et transparents. Le Ministre a alloué des sommes distinctes par circuit de diffusion des œuvres . Cette approche aberrante témoigne d’une incompréhension du secteur de la création composé de l’ensemble des artistes-auteurs. Cette division artificielle des sommes allouées aux artistes-auteurs exacerbe les iniquités, les discriminations, les doublons et les trappes de pauvreté.
Les acteurs de l’aval, notamment les industries culturelles et les poids lourds des OGC, ont imposé leur loi qui est fort éloignée de l’intérêt général des artistes-auteurs.
Les budgets éclatés dédiés aux artistes-auteurs (arts visuels, cinéma, musique, livre) sont indépendants de l’effectif des artistes-auteurs vivants concernés.

Faute d’être une industrie, le plus faible montant alloué revient aux 80.000 auteurs vivants des arts visuels soit un fonds de 500.000€ géré par le CNAP.

À cette iniquité des budgets globaux alloués par « industrie culturelle » (arts visuels, cinéma, musique, édition) s’ajoute l’inégalité des aides et des critères d’octroi selon les guichets .
On peut observer que pour sa part le CNAP consacre son budget exclusivement au défaut de rémunérations pour des projets annulés. Ce budget va donc servir de filet aux diffuseurs qui n’auront pas maintenu ces rémunérations aux artistes-auteurs ayant eu la chance d’avoir un projet en cours précisément à cette période.
Sachant que les principales recettes de la majorité des plasticiens proviennent de la vente d’œuvres notamment aux particuliers et de cours donnés dans leur atelier, ces artistes-auteurs ne rentrent dans aucun des critères du CNAP. De même, les graphistes et les photographes voient s’annihiler toute perspective de gain sans pour autant être dans le cas de devis déjà signés. Et pendant ce temps là, leurs frais fixes continuent de courir, peu parmi eux voient leur loyer ou leurs factures reportés…
L’immense majorité des auteurs des arts visuels restent donc sur le carreau. Mais ce ne sont pas les seuls, les auteurs de l’écrit ne sont pas mieux lotis.

Les arts visuels génèrent 313 800 emplois et 21,4 milliards dans l’économie française…

De façon générale, pour un artiste-auteur la probabilité d’obtenir une aide et son montant va dépendre du type d’œuvres créées et de son circuit de diffusion.
On marche sur la tête ! C’est l’auteur qui fait le diffuseur, et non l’inverse.
De plus, les OGC (organismes de gestion collective) ayant obtenu d’utiliser le quart copie privée à des aides relatives à la crise sanitaire, les artistes-auteurs dont l’essentiel des rémunérations ne passe pas par ces sociétés seront pénalisés. Et il s’agit de l’argent des auteurs eux-mêmes…
Ainsi, les étages d’inégalités de traitement s’accumulent entre artistes-auteurs mais aussi entre femmes et hommes, entre inclus et exclus, entre OGC, etc. à l’heure où la solidarité devrait l’emporter.

En toute logique et en toute équité, un seul opérateur public devrait être désigné pour le secteur de la création, donc pour l’ensemble des artistes-auteurs vivants.
Nous espérons encore que la raison finisse par l’emporter et qu’un unique opérateur public d’aide aux artistes-auteurs soit désigné pour gérer un dispositif unifié, équitable et cohérent.
Les artistes-auteurs ont besoin d’urgence d’un guichet unique, le parcours du combattant qui leur est imposé aujourd’hui fera plus de perdants que de gagnants.
Et les gagnants ne seront pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin.
La gestion en « silos » des artistes-auteurs par le ministère de la culture était déjà problématique avant la crise, elle est désormais intenable.

9 Lives : Lorsque l’on voit que nous voisins allemands et autrichiens ont débloqué plusieurs milliards d’euros en faveur de la culture, comme explique t-on que la France soit aussi peu investie dans le soutien de la création artistique face à cette crise majeure ?/strong>

K. L. : : Outre l’importance sociétale de la culture, il est clair que même le poids de la culture dans l’économie française est largement sous-estimée par le gouvernement.
Par exemple les arts visuels génèrent 313 800 emplois et 21,4 milliards dans l’économie française…

9 Lives : Quels conseils donneriez-vous aux artistes-auteurs dans cette situation ?

K. L. : Quand leur situation familiale et leur santé le permet, si ils ont accès à un ordinateur et un scanner dans leur lieu de confinement, pour l’instant nous conseillons aux artistes-auteurs, malgré tout, de se lancer dans le parcours du combattant pour tenter d’avoir des aides. Il est nécessaire de s’informer et de faire des comparaisons (les aides dites « complémentaires » ne sont pas cumulables avec l’hypothétique « principal »), de bien vérifier les conditions d’octroi pour ne pas perdre son temps en remplissage inutile de formulaires, de ne pas hésiter à demander conseil à son syndicat en cas de blocage ou d’incompréhension, etc.
La situation est mouvante, il est donc aussi très important de suivre les actualités syndicales spécialisées en ligne (réseaux sociaux, site, …)

Le CAAP agit en permanence pour que la situation évolue dans le bon sens pour les artistes-auteurs (notamment adaptation des conditions d’accès au fonds de solidarité, fonds subsidiaire unique et gestion unifiée et équitable des artistes-auteurs, …). Économiquement, la situation va continuer de s’empirer. D’autres mesures devront donc être prises, espérons qu’elles seront plus réfléchies et que les syndicats d’artistes-auteurs seront mieux écoutés.

http://caap.asso.fr/

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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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